samedi 8 janvier 2011

Des fatmas pour taper sur des fatmas

Par Eric Fassin 
Omerta dans la police ? Sihem Souid s’emploie inlassablement à briser la loi du silence – d’abord de l’intérieur, avec la « police des polices », soit l’Inspection générale des services (IGS) et l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), puis devant la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) et le procureur de la République. Elle poursuit aujourd’hui sa lutte dans les médias, après un livre paru en octobre (1) qui raconte son parcours et en particulier ce qu’elle a vu et subi pendant trois ans en tant qu’adjointe de sécurité à la Police de l’air et des frontières (PAF) d’Orly. Fait remarquable, c’est sans renoncer à son métier de « flic » : elle le clame haut et fort, elle ne mène ce combat que parce qu’elle continue d’y croire.
Toutefois, le premier décembre, Sihem Souid est suspendue de ses fonctions par la préfecture de police, pour atteinte à l’obligation de réserve. Pourquoi la sanction, à laquelle elle échappait jusqu’alors en dépit de sa forte médiatisation, intervient-elle à cette date ? Elle n’en est pas vraiment étonnée : en effet, après avoir appris l’avis défavorable de la Halde à la télévision, le 19 novembre (2), elle avait déposé une plainte visant Jeannette Bougrab. Or celle-ci a quitté la présidence de cette institution pour entrer au gouvernement.
En mars 2009, avec six collègues (« deux gouines », « une d’origine africaine » et trois autres « bougnoules »), la policière avait saisi la Halde, alors dirigée par Louis Schweitzer, pour harcèlement moral discriminatoire. Si elle avait obtenu satisfaction, en étant réaffectée dès novembre au service de prévention de la préfecture, elle n’avait jamais eu communication de l’avis. Elle accuse donc Jeannette Bougrab – qui, selon la dernière page du livre, aurait publiquement reconnu devant elle, début septembre, la réalité de la discrimination –, d’avoir livré à des journalistes une décision qu’elle-même attendait en vain depuis des mois. Ironie de la situation : l’avis négatif de la Halde reprocherait à Sihem Souid d’avoir transmis des documents confidentiels aux médias…
L’enjeu de cette bataille, ce sont bien les discriminations. Que la plainte vise Jeannette Bougrab, dont la brève transition à la Halde lui aura seulement servi de marchepied pour le secrétariat d’Etat à la Jeunesse, et ce au moment précis où cette autorité indépendante est vouée à disparaître, n’est donc pas un hasard. Sihem Souid décrit en effet dans son livre deux logiques discriminatoires complémentaires : d’une part, à l’encontre des voyageurs que la PAF a pour mission de contrôler à l’aéroport (étrangers ou d’origine étrangère, comme cette femme noire, interpellée pour un problème de bagage, filmée nue dans une cellule) ; d’autre part, à l’égard des policiers eux-mêmes, s’ils appartiennent aux minorités raciales ou sexuelles (« c’est comme ça à la PAF d’Orly : on n’aime pas les “bougnoules”, les “nègres”, les “pédés” ni les “gouines” »).
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