lundi 24 octobre 2011

L’école condamnée à produire du capital humain

Suppressions de postes, résultats des élèves en baisse, enseignants désorientés… L’éducation sera l’un des sujets de la campagne présidentielle et la Nouvelle Ecole capitaliste - le livre de Christian Laval (1), Francis Vergne, Pierre Clément et Guy Dreux - tombe à point pour le nourrir. Les auteurs, enseignants et chercheurs, analysent les transformations en profondeur entraînées par le néolibéralisme dans le système éducatif. Christian Laval, professeur de sociologie à l’université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, revient sur les mécanismes ayant conduit à une redéfinition des missions de l’école au service de l’entreprise et plaide pour un renouvellement de la pensée sociologique.
Vous décrivez une «nouvelle école capitaliste» soumise à la concurrence, gérée comme le privé et au service de l’économie : est-elle née sous Sarkozy ?
Non, ce serait une grande erreur de le croire. Le sarkozysme a accéléré et rendu plus visibles les transformations néolibérales ou, pour appeler un chat un chat, la mutation capitaliste de l’école. Mais elles étaient amorcées depuis longtemps en France et à l’étranger. Le programme de transformation de l’université française a ainsi été ébauché à la fin des années 90, puis a commencé à s’appliquer au début des années 2000, avant d’être parachevé avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy et la loi sur l’autonomie des universités [la LRU, votée en août 2007, qui avait suscité un vaste mouvement de protestations, ndlr]. Bien au-delà de la finance et des marchés de biens et services, le néolibéralisme a progressivement touché toutes les institutions, y compris l’école, notamment avec l’apparition du nouveau management public, c’est-à-dire avec l’importation des techniques managériales du privé dans les services publics
Vous dénoncez la concurrence qui a gagné l’école, les compétences qui ont remplacé les connaissances et l’obsession de l’employabilité : ce sont les caractéristiques de l’«école capitaliste» ?
Oui, c’en sont des aspects majeurs. D’abord, les missions de l’école et de l’université ont été progressivement redéfinies. Les systèmes éducatifs ont été sommés de justifier les dépenses qu’on leur consacre par un «retour sur investissement» de nature économique. Cela devient la préoccupation exclusive de cette nouvelle école : elle est au service de l’économie et doit s’intégrer à la course à la compétitivité et à la productivité. Logiquement, elle doit donc s’organiser selon le principe de la concurrence et faire sien l’impératif de «performance». Ces nouvelles dimensions sont progressivement devenues une norme évidente, une sorte de rationalité incontestable qui a conquis les esprits. Experts, administrateurs, responsables politiques, certains syndicats minoritaires ont même vu dans cette adaptation au monde moderne la solution à tous les maux de l’école. Ces transformations ont touché au cœur du métier enseignant. Elles ont entamé profondément un système de valeurs partagées, l’idée ancrée chez les enseignants que leurs missions dépassent le cadre d’un métier ordinaire, leur sens de l’intérêt général… Ils ont eu l’impression d’être dépossédés de leur métier par un flot torrentiel des réformes.
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