mardi 1 juillet 2014

Jean Jaurès, l’historien de la Révolution

Par Roger Martelli
Philosophe érudit, orateur brillant, journaliste flamboyant, Jaurès a su aussi montrer de remarquables qualités d’historien. Indissociablement socialiste et républicain, il ne pouvait se désintéresser de ce moment fondateur que fut la Révolution française.
À la fin du XIXe siècle, le socialisme émergent avait besoin d’affirmer son ancrage dans le sol du progressisme et de l’esprit révolutionnaire. En 1898, l’éditeur Jules Rouff propose à Jean Jaurès le projet de ce qui va devenir L’Histoire socialiste 1789-1900. Parue en 13 volumes, de 1900 à 1908, elle est rédigée entièrement par des socialistes. Tous pourtant ne sont pas là. Quand l’ouvrage paraît, le socialisme français n’est pas encore réunifié et Jaurès, c’est le moins qu’on puisse dire, n’a pas que des amis. Son rival, Jules Guesde, a ainsi refusé vivement de prendre la plume. Mais le député de Carmaux réussit malgré tout à réunir une palette brillante et diverse, des "guesdistes" (Louis Dubreuilh) aux "possibilistes" (Paul Brousse).
« Matérialiste avec Marx et mystique avec Michelet »
Lui-même décide de rédiger les volumes consacrés à la Révolution française, publiés entre 1901 et 1904, juste avant la fondation de l’Humanité et la création de la SFIO. Pour ce faire, il puise pendant trois ans dans une documentation impressionnante. Il en tire une somme qui va constituer une rupture dans l’historiographie de la Révolution. Ses bases intellectuelles ? La pensée de Marx, bien sûr, que Jaurès, parfaitement germanophone, est un des rares en France à avoir fréquenté dans le texte original. Mais on sait que Jaurès entend conjuguer rigueur et éclectisme. Il ne veut pas d’une, mais d’« une triple inspiration de Marx, Michelet et Plutarque ». Ailleurs, il dit qu’il veut être « matérialiste avec Marx et mystique avec Michelet ».
Jaurès croit au poids des déterminations "lourdes", celle des structures économiques et sociales et de leurs contradictions, qui structurent l’arrière-plan de l’action des hommes. Pas de compréhension, donc, de la Révolution sans regard sur le capitalisme en gestation. Mais le poids des superstructures n’annule pas l’impact de la volonté des individus et des groupes. Le grand apport de Jaurès, en rupture avec l’historiographie de l’époque, tournée vers les "sommets", les gouvernements et les assemblées (c’est l’histoire telle que la décrit brillamment le radical Alphonse Aulard), est de porter le regard sur "le bas", les luttes urbaines et rurales qui ponctuent la chronologie révolutionnaire.
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