lundi 21 novembre 2016

Évasion fiscale. Joseph Stiglitz: « Il faut une tolérance zéro envers le secret ! »

Invité à Bruxelles par la Commission d’enquête parlementaire sur les Panama Papers, le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz en appelle à une transformation radicale du système fiscal international qui dans son état actuel, sape, selon lui, les fondements mêmes de la société mondiale.
C’est peut-être parce qu’il a le même âge que Mick Jagger et qu’il en partage la célébrité, qu’on l’affuble souvent du surnom de rock star de l’économie. Sans doute aussi parce que, comme le chanteur de Satisfaction, le prix Nobel d’économie n’hésite pas à hausser la voix lorsqu’il s’agit de dénoncer les travers de l’ordre économique mondial. Il en a pourtant été à plusieurs reprises l’un des acteurs au plus haut niveau: entre autres, comme membre de l’administration Clinton, ou comme vice-président du FMI, ce qui ne l’empêchera pas de critiquer vivement cette institution.
En tous cas, le monde entier se l’arrache dès qu’il s’agit de donner un avis sur une question économique, et les députés européens n’ont pas résisté, eux non plus, à l’envie d’inviter le boss, pour l’entendre donner son avis sur le scandale des Panama Papers, et au delà, sur les moyens de lutter contre ce fléau mondial qu’est l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent.
Un fléau qui pour Joseph Stiglitz, n’est d’ailleurs pas uniquement économique, mais dont les effets pernicieux s’étendent à l’ensemble de la société - « car le blanchiment encourage la corruption », dit-il - et pas seulement au Panama, mais au niveau mondial.
« 80% de ce que révèlent les Panamas Papers ne se déroule pas au Panama, » explique le Prix Nobel pour qui, si les documents qui ont fuité sont bien « une mine d’or », ils ne constituent pourtant qu’une minuscule partie du gigantesque iceberg de l’évasion fiscale.
D’abord parce qu’il y a des centaines d’autres sociétés au Panama du même type que Mossack Fonseca ( le cabinet d’avocats par qui le scandale est arrivé ), mais aussi parce que, malgré les 214 000 sociétés offshore qu’elle abrite, c’est une des moins importantes du pays.
Quand on sait que sur la base des informations contenues dans les seuls Panama Papers, la France vient de lancer 560 contrôles fiscaux, on se met à rêver aux sommes cachées qu’il serait possible de débusquer si l’on avait accès aux coffres de toutes les sociétés qui se livrent au même business partout dans le monde.
« L’évasion fiscale, le blanchiment d’argent sapent les bases de la société mondiale, c’est le côté obscur de la mondialisation », explique Joseph Stiglitz, qui exhorte à s’attaquer de front à ce problème, sinon  « la confiance des citoyens sera définitivement sapée.»
Comment ?
L’économiste propose plusieurs pistes.
La première, c’est d’avoir une approche globale du secret fiscal, car si ce secret perdure dans un seul endroit, on ne pourra pas efficacement lutter contre. « Il faut une approche planétaire et une tolérance 0 », assure Joseph Stiglitz.
Trop complexe ? Trop difficile ?
« Quand on s’est attaqué au terrorisme, certains disaient la même chose, et pourtant on y est arrivé », répond-il, reconnaissant qu’en ce qui concerne le blanchiment, pour l’instant, « on a choisi de ne pas le faire. » C’est pour lui l’unique raison qui fait que l’évasion fiscale dure toujours et qu’elle se porte si bien.
Pourquoi ?
« Parce que ne sont pas seulement des sociétés offshore », qui se livrent au sport mondial de l’évasion fiscale, explique Joseph Stiglitz, « ce sont aussi les sociétés « onshore », aux Etats-Unis et en Europe.
C’est pourquoi, selon lui, c’est aujourd’hui d’abord aux Etats-Unis et à l’Europe de prendre la tête du combat mondial contre le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale. L’administration américaine a commencé à le faire, explique-t-il, notamment en renforçant la surveillance des banques, mais ce n’est pas suffisant.
L'un des principaux objectifs, selon Joseph Stiglitz, doit être la création d'un registre public répertoriant les véritables propriétaires et bénéficiaires des sociétés de boîtes aux lettres, ce qui empêcherait les entreprises et les particuliers de soustraire leurs richesses à la surveillance des autorités fiscales et du public.
« Beaucoup de multinationales ont des centaines de filiales, explique-t-il. Pour quoi faire ? Quand on tombe sur des enchevêtrements de ce type, il y a un soupçon très net que c’est parce qu’elles veulent éviter de payer les impôts, » ajoutant : «  qui est derrière ces centaines de d’entreprises ? Quel en est le propriétaire ? Qui les a crées ? Pour quoi faire ? Il faut que les états créent un registre public de ces entreprises, ça n’existe nulle part. »
 
Joseph Stiglitz en appelle aussi à la fin de la concurrence fiscale entre les états. Pour lui, cette concurrence est destructrice et engendre des coûts sociaux énormes. Il tacle au passage l’Irlande pour avoir annoncé une augmentation de 26% de ses richesses tout en ayant un taux d’impôts pratiquement nul. Selon lui, une telle croissance est impossible, elle ne correspond à aucune activité économique réelle. Le soupçon pèse donc que ces ressources proviennent de l’évasion fiscale, sans rapporter d’impôts. « Mais c’est une fausse croissance, analyse Stiglitz. Lorsqu’il n’y a pas de recettes fiscales, on ne peut pas investir dans les infrastructures, les recherches technologiques, la formation, etc...Tous les investissements sont touchés. »
 
Comment faire pour convaincre les états de coopérer ?
Là encore, pour le Prix Nobel, d’économie, il faut en passer par des mesures coercitives. « La pression doit être mise sur les états qui ne voudraient pas coopérer, en leur disant que s’ils refusent, leurs banques ne seront plus autorisées à avoir de relations avec les banques des pays qui respectent les règles. » Il faut même, ajoute Stiglitz, refuser aux pays qui ne collaboreraient pas, l’accès aux marchés mondiaux. «  Le droit de commercer, c’est un privilège, pas un droit inconditionnel,» conclut-il.
 
Malgré l’énormité du combat à mener contre l’évasion fiscale, Joseph Stiglitz se veut malgré tout optimiste. Même si tous les pays n’y participent pas, il relève que les Etats-Unis et l’Europe commencent à s’y mettre. Compte tenu de l’arrivée de Trump au pouvoir, il demande cependant à l’Europe de s’apprêter aujourd’hui à assumer le rôle principal dans cette lutte, car « quand votre président est le chef de l’évasion, estime-t-il en parlant de Donald Trump, il est difficile d’avoir confiance dans la direction que va prendre le pays. »
Pour lui, le rôle des citoyens et des opinions publiques est décisif dans cette lutte. C’est pourquoi il en appelle à un véritable statut des lanceurs d’alerte. On en est loin aujourd’hui en Europe, malgré tous les débats autour de cette question.
Interrogé par le député européen, membre de Die Linke, Fabio De Masi ( Gauche unitaire européenne ), sur la façon dont les mesures fiscales pourraient aider l'Europe à surmonter ses problèmes économiques, Joseph Stiglitz a répondu que ces pratiques illicites que sont le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale « ne font rien moins que de mettre en péril l'avenir de l'Europe », car, a-t-il conclut, s’appuyant sur le mauvais exemple de l’Irlande, « s'il n'y a pas de recettes fiscales, on n’a pas de ressources pour faire les investissements dont le pays a besoin. »

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