mercredi 14 février 2018

Évasion fiscale. Le procès bâillon de l’empire contre Attac

Des militants d’Attac se sont rassemblés hier à Paris avant l’audience du tribunal de grande instance sur le référé qu’a déposé Apple pour interdire les manifestations de l’ONG dans ses magasins. Stéphane de Sakutin/AFP
La multinationale du numérique Apple, qui optimise ses bénéfices en Europe via Jersey et l’Irlande, veut mettre fin aux actions de l’ONG en la tapant au porte-monnaie.
C’était hier une journée à donner un torticolis au contribuable de passage au palais de justice de Paris. D’un côté, Jérôme Cahuzac, ancien ministre du Budget, comparaissait en appel pour ses 3,5 millions d’euros cachés en Suisse (voir l’Humanité de lundi). De l’autre, les dirigeants d’Attac étaient traînés par Apple devant le juge des référés du tribunal de grande instance pour une courte audience avec décision mise en délibéré. Ils sauront donc le 23 février si l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac) sera astreinte à payer 150 000 euros à chacune de ses nouvelles manifestations dans un magasin de la marque à la pomme, pour dénoncer sa politique d’évasion fiscale.
Cette plainte fait suite à l’action « festive, symbolique et à visage découvert » du 2 décembre 2017 dans l’Apple Store d’Opéra, à Paris. Une manifestation menée par les militants d’Attac pour obtenir de la multinationale californienne qu’elle mette fin à sa politique d’optimisation fiscale tous azimuts, et qu’elle s’acquitte d’un redressement fiscal de 13 milliards d’euros, établi par la Commission européenne en 2016 à l’encontre de ses pratiques abusives en Irlande, son pays de domiciliation fiscale. Le coup d’éclat, mené avec force déguisements et slogans joyeux, n’avait causé aucun dommage matériel, mis à part l’emploi d’une peinture blanche à base de craie apposée sur les vitrines symbolisant l’opacité de la société. Une peinture facilement effaçable. Mais c’en était visiblement trop pour Apple, qui a dénoncé dans son assignation un trouble « au fonctionnement de l’activité commerciale des magasins à forte activité », ainsi que les « menaces » d’autres actions à son encontre proférées par les représentants de l’association lors d’une entrevue, le 18 décembre dernier.

«C’est la première fois qu’ils portent plainte contre une ONG »

Hier, l’avocat d’Apple, qui a refusé de répondre à nos questions, a insisté à l’audience sur le profond respect de la liberté d’expression de l’entreprise, stigmatisant dans le même temps les « mensonges » d’Attac quant à l’amende de 13 milliards d’euros. Pour Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac, cette procédure judiciaire accélérée montre qu’« un pas a été franchi. C’est la première fois, à notre connaissance, qu’ils portent plainte contre une ONG. C’est clairement une procédure bâillon. Il s’agit de nous décourager en réclamant l’équivalent d’un cinquième de notre budget pour chacune de nos prochaines actions. Mais ça démontre qu’on a visé juste. Ça nous encourage à continuer ».
Elle n’est visiblement pas la seule à y déceler un encouragement. Une centaine de personnes étaient présentes hier au rassemblement de soutien à Attac, regroupant des organisations syndicales (CGT, FSU, Solidaires), politiques (FI, PCF, EELV, NPA) et associatives (Crid, MNCP), toutes contre « les deux nouveaux produits d’Apple : après l’I-Phone, l’I-Piquelepognon et l’I-Bâillon », sourit Éric Beynel (Solidaires). « Il y a une inversion des rôles insupportable. Ceux qui demandent le respect de l’intérêt général se retrouvent sur le banc des accusés, s’offusque Sophie Binet (CGT). Le gouvernement devrait être là pour faire respecter l’intérêt général. Où est-il ? »

Monique Pinçon-Charlot est passée apporter son soutien à Attac

Ce dernier sera bien forcé de prendre position à l’Assemblée nationale. « L’an dernier, nous avons fait voter l’idée d’une COP fiscale pour mettre un terme à l’évasion fiscale. Le 8 mars, les députés communistes porteront un projet de loi pour établir une nouvelle liste des paradis fiscaux à placer sous contrôle citoyen », signale Isabelle de Almeida (PCF). Éric Coquerel (FI) liste des mesures complémentaires à prendre : « Faire sauter le verrou de Bercy (qui permet à l’administration des arrangements discrétionnaires avec les fraudeurs – NDLR), imposer aux banques françaises de sortir des paradis fiscaux, instaurer un même taux d’imposition pour les Français en France et à l’étranger, comme le font les États-Unis, créer un délit d’incitation fiscale et renforcer le nombre de fonctionnaires du fisc pour accroître les contrôles. »
Scrutatrice scrupuleuse des mœurs des riches, Monique Pinçon-Charlot est passée apporter son soutien à Attac, avant d’écouter la défense de Cahuzac. « Pour moi, Apple ou Cahuzac représentent la même chose : le vol des contribuables par l’oligarchie et leurs multinationales, explique la sociologue. Mais gagner quelques batailles contre eux, comme j’espère Attac face à Apple, ne nous permet pas de gagner la guerre contre l’évasion fiscale. Car, à chaque fois, ils trouvent une nouvelle parade. Ils n’auront bientôt plus besoin de paradis fiscaux, puisque Trump a la volonté de faire des États-Unis le plus grand paradis fiscal pour les sociétés comme pour leurs actionnaires. Voilà pourquoi il faut mener un combat global contre cette oligarchie. »

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