lundi 4 juin 2018

Macron lance le chantier du big-bang des retraites

L’exécutif a donné le coup d’envoi, jeudi, à la réforme qui doit être présentée à la mi-2019, et selon laquelle « chaque euro cotisé doit donner les mêmes droits » à pension pour tous. Derrière se profile un régime par points qui prépare l’éclatement du système solidaire. Décryptage.
Emmanuel Macron en avait fait un de ses slogans de campagne pour l’élection présidentielle : « Un euro cotisé (doit) donne (r) les mêmes droits » à la retraite pour chacun. La formule, séduisante car elle renvoie à une apparence d’égalité parfaite, a été explicitée par Jean-Paul Delevoye à l’occasion du lancement, hier, d’une « consultation citoyenne » sur la future réforme des retraites, qui doit être présentée à la mi-2019. Le haut-commissaire nommé pour préparer ce chantier confirme qu’il s’agit bien de passer à un « système par points ». « L’objectif est qu’à carrière identique, revenu identique, la retraite soit identique », a-t-il déclaré dans un entretien publié dans le Parisien-Aujourd’hui en France. L’égalité, à revenus et carrières comparables, donc. Mais comme, dans la vie, les carrières et les salaires ne sont pas les mêmes pour tous – et encore moins pour toutes –, les capacités contributives de chacun, dans ce nouveau système « à la carte », seront très différentes d’un individu à l’autre. « Dire que pour un euro, on aura la même valeur de retraite, c’est passer outre le fait que certain-es gagnent beaucoup d’euros et d’autres beaucoup moins », a fait ainsi valoir le syndicat Solidaires. Quant à la CGT, elle a réagi hier en estimant que « les problématiques et les questions posées (dans la consultation – NDLR) sont orientées et les réponses attendues téléphonées », et en dénonçant une volonté de « casser notre système de retraite par répartition et solidaire » et de « poursuivre la baisse des pensions ».

1 Un principe faussement juste et inégalitaire

De fait, dans le système à points, quand certains gagneront à peine de quoi cotiser à un taux minimal, d’autres pourront y consacrer une large part de leurs revenus. En clair, plus on est aisé, plus on pourra partir plus tôt à la retraite et avec une meilleure pension. Ce nouveau système va donc en réalité reproduire, voire amplifier, les inégalités au détriment des salaires les plus faibles et des parcours professionnels les plus chaotiques. Les femmes, les ouvriers, les chômeurs, les malades en seront les premières victimes. « L’argument d’un euro cotisé donne les mêmes droits et va à l’envers du principe qui veut que la retraite compense un peu les inégalités de salaires et de carrière, relève Henri Sterdyniak, membre des Économistes atterrés. Dans le système actuel, quand vous ne cotisez pas parce que vous êtes malade ou au chômage, vous avez quand mêmes des droits. » Prévenant les critiques, Jean-Paul Delevoye le promet : « Cette réforme maintiendra et consolidera les solidarités qui seront les piliers du nouveau système. » La majoration pour enfants, la prise en compte des périodes d’invalidité et de chômage, les minima contributifs et la pension de réversion (pension du conjoint décédé versée au conjoint survivant) seront donc conservés dans le nouveau système, mais ces correctifs pourraient être financés par l’impôt, c’est-à-dire par la « solidarité nationale » et non par les cotisations. À l’instar de « la majoration pour enfants (qui) est une politique de caractère familial », prévient Jean-Paul Delevoye : logique, d’une certaine manière, puisque ces politiques de solidarité contredisent le principe posé des « mêmes droits pour chaque euro cotisé ». Ce qui réintroduit un peu de justice dans des carrières fondamentalement inégalitaires pourrait ainsi ne plus relever de la responsabilité sociale des entreprises, à l’exemple de certains avantages sociaux « déjà payés par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), donc en partie par la CSG qui le finance, souligne Henri Sterdyniak, et par l’excédent de la branche famille », dont les ressources sont à 40 % fiscalisées (CSG et autres impôts et taxes) en 2018.

2la retraite à 62 ans réservée aux plus aisés ?

Jean-Paul Delevoye abat franchement ses cartes sur un aspect : « Dans un système à points, la notion de durée (de cotisation pour partir à la retraite – NDLR) disparaît. C’est votre nombre de points qui vous permet un arbitrage personnel. » Adieu, les 43 annuités exigées pour des générations nées à partir de 1973. Désormais, chacun fera « un arbitrage personnel » en fonction du nombre de points collectés. Dans les faits, ce choix sera là encore réservé aux plus aisés, qui auront les moyens de cotiser vite et beaucoup. Les autres devront arbitrer entre une pension réduite ou la poursuite du travail… à condition d’être épargnés par le chômage. Conséquence, fixer un âge de la retraite n’aura plus de sens. « L’âge actuel de 62 ans devrait être conservé », prétend pourtant Jean-Paul Delevoye. Mais il s’agit surtout d’un « seuil en dessous duquel (les gens) ne peuvent pas partir pour éviter que cela pèse » dans les comptes, précise le haut-commissaire. « C’est injuste pour les travailleurs manuels aux carrières longues et pénibles qui ne peuvent pas se maintenir au travail jusqu’à 60-62 ans », estime Henri Sterdyniak. Pour tous les autres, cet âge légal « ne garantit aucunement qu’on parte à 62 ans », souligne encore l’économiste.

3 Un niveau de pension qui ne sera plus garanti

« Dans le système par points, le niveau des retraites n’est pas garanti par un taux de remplacement (le taux de la pension calculé par rapport au salaire de référence) comme dans le système actuel », poursuit Henri Sterdyniak. C’est même tout l’inverse : alors que le système actuel est dit à « prestations définies », c’est-à-dire qu’« il garantit un niveau de pension au moment du départ à la retraite », explique la CGT, le système par points renverse la logique, puisqu’il s’agit d’« un régime à cotisations définies (qui) garantit un plafond de cotisation ». Dès lors, ce ne sont plus les actifs qui supportent les aléas financiers du système grâce au réglage de paramètres comme l’âge de départ, la durée de cotisation, le salaire de référence ou encore le taux de cotisation, mais les retraités eux-mêmes, pour lesquels « le niveau des prestations (...) est imprévisible à long terme », poursuit le syndicat. En d’autres termes, le niveau de pension peut baisser en cours de retraite en cas de choc économique ou démographique. « Dans les systèmes envisagés, on saura ce qu’on paiera chaque année, mais on ne saura qu’à la fin ce qu’on aura comme retraite », résume l’union syndicale Solidaires.

4 Un système à deux vitesses avec les fonds de pension

Le système à la suédoise qui fait la part belle à la capitalisation, « ce n’est pas du tout notre philosophie », jure le haut-commissaire, qui se prononce pour le « maintien d’un système de répartition par cotisation couvrant un maximum d’actifs ». En apparence, l’essentiel est sauf, et les fonds de pension ne sont pas pour demain. En apparence seulement… Car « la question se pose pour les plus gros salaires qui excéderaient un certain plafond », concède Jean-Paul Delevoye. Ceux qui gagnent 120 000 ou 160 000 euros annuels ou davantage pourraient être éligibles à une « épargne individuelle, éventuellement en capitalisation ». Même si cela ne concerne que « 200 000 à 300 000 personnes », le problème serait alors que ces très hauts revenus ne voient plus l’intérêt de cotiser au « système universel » à partir du moment où ils tireraient l’essentiel de leur retraite des fonds de pension. « La grande idée, c’est d’attirer les traders de Londres en fixant un plafond au-delà duquel ils seront exonérés de cotisation. Le risque est alors que ne s’instaure un système à deux vitesses, avec l’abaissement progressif de ce plafond, qui permette à de plus en plus de gens de sortir du régime universel », commente Henri Sterdyniak.
Le medef en renfort de macron, veut « aller vite »
« Il est urgent d’aboutir avant 2019 », expliquait, fin mars, Claude Tendil, vice-président du Medef. En somme, détaillait le Monsieur social de l’organisation patronale, il suffit d’ « inciter les assurés à partir plus tard que l’âge légal » en instaurant « une nouvelle décote suffisamment forte ». De son côté, Jean-Charles Simon, candidat à la succession de Pierre Gattaz, estime qu’il faut carrément supprimer les cotisations Agirc/Arrco au-delà de 3 310 euros de salaire brut mensuel. En clair, exonérer les plus riches de la solidarité et alléger, encore, les entreprises de cotisations. Une « économie » qu’il chiffre à 25 milliards d’euros. Quant aux favoris, Alexandre Saubot et Geoffroy Roux de Bézieux, s’ils entendent conserver le système des complémentaires, ils se laisseraient bien tenter par un financement par fonds de pension.

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