dimanche 18 novembre 2018

ÉNERGIE. « LE PRIVÉ VA PRENDRE LA MAIN »

Alors que le deuxième chapitre de la programmation pluriannuelle de l’énergie n’est toujours pas sorti, de nombreuses questions se posent sur son efficacité. Entretien.
Que doit être une programmation pluriannuelle de l’énergie ?
Aurélien Bernier (*) Quelque chose de très différent de ce que l’on connaît, avec une véritable politique de développement de service public de l’énergie. Il n’y a qu’en sortant du principe de concurrence que l’on peut appliquer une transition énergétique. Mais voilà, il y a un premier enjeu fondamental qui gène tout le monde : la sobriété énergétique. Quand on regarde le cadre européen et la planification au niveau national, on voit bien que dans ce domaine, c’est très pauvre. Je pense que les pouvoirs publics n’ont pas la volonté de réduire la consommation d’énergie, parce que cela touche à des sujets complexes comme le transport, l’aménagement du territoire, l’urbanisme ou le logement. En matière de sobriété, si l’on veut diminuer la consommation d’énergies fossiles, il faut développer massivement les transports en commun, et notamment le ferroviaire. Mais l’ouverture à la concurrence dans le transport ferroviaire a surtout entraîné la SNCF vers la fermeture des petites lignes. Si l’on prend plus globalement les déplacements, se pose aussi la question des bassins d’emploi. Plus on force les gens à s’éloigner de leur lieu de travail sans mettre de moyens dans les transports en commun et plus ceux-ci prennent leur voiture. C’est à contre-courant d’une politique de sobriété énergétique.
Le gouvernement envisage de démanteler EDF, ne met-il pas en péril l’idée même d’une programmation pluriannuelle de l’énergie ?
Aurélien Bernier Oui, c’est même ce qui est délirant. On affiche une programmation, un processus public et dans le même temps on donne tout au privé par petits bouts. C’est totalement contradictoire. Quand vous privatisez une énergie, cela veut dire que vous confiez de manière indirecte les politiques énergétiques de votre pays au privé. Si ensuite, l’État veut reprendre la main, il n’aura d’autre solution que d’offrir des subventions, des incitations mais sans aucune contrainte en retour.
Peut-on revenir sur les risques possibles ?
Aurélien Bernier C’est assez comparable avec ce qui s’est passé dans d’autres secteurs publics. Le privé va toujours vers ce qui est le plus rentable à court terme. Ensuite, il grignote sur les coûts salariaux, les statuts puis la maintenance. On risque d’avoir un service de l’énergie au rabais et à terme d’avoir des prix qui seront très différents d’un territoire à l’autre. C’est la fin de toute solidarité nationale. Dans un premier temps, ces sociétés vont pratiquer des prix d’appel moins chers que les tarifs réglementés et progressivement, une fois bien installées, elles les augmenteront. Mais le pire dans tout cela, c’est que cela va aussi mettre en concurrence les grandes entreprises de différents États. L’Europe de l’énergie tant voulue par la Commission européenne va se mettre en place. Nous ne serons plus dans des interconnexions d’ajustement, mais dans une véritable guerre de l’énergie.
Une transition énergétique à bas carbone n’est donc pas pour demain ?
Aurélien Bernier Oui, l’électricité pourra être produite par du charbon allemand. Dans le domaine du gaz, rien n’empêchera par exemple de faire de la fracturation hydraulique en Pologne et de consommer ce gaz de schiste dans d’autres pays européens. Cela se passe même avec les énergies renouvelables et plus particulièrement le photovoltaïque, que l’on implante maintenant au Maghreb pour ensuite renvoyer cette énergie vers les pays d’Europe du Nord. Elle est où l’idée d’une énergie locale avec des emplois locaux ? Nous sommes dans une situation de concentration industrielle et de délocalisation. Nous sommes aussi dans une période de dérégulation de l’énergie. Très vite, ce sont les grands groupes privés qui vont dicter la politique énergétique des pays. Pour l’instant, la France résiste relativement à cette ouverture à la concurrence, car il y a l’enjeu du nucléaire, mais pour combien de temps ?
(*) Aurélien Bernier Essayiste et spécialiste des politiques énergétiques

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire