vendredi 16 novembre 2018

Transports. Ouibus, enjeu d’un Monopoly entre la SNCF et Blablacar

Le groupe ferroviaire public a annoncé lundi son désengagement de sa filiale d’autocars à bas coût, qui souffre d’un déficit chronique, au profit de la start-up de covoiturage dans laquelle il entre au capital. 95 postes devraient être supprimés.
Trois ans après le lancement des cars Macron censés donner aux classes populaires une option de transport à bas coût, le rachat de Ouibus – jusqu’ici détenu par la SNCF – par la start-up de covoiturage Blablacar montre une nouvelle fois l’instabilité de ce secteur. En déficit chronique depuis sa création, en 2012, la filiale de transport par autocars de la SNCF – d’abord baptisée IDBus avant d’être renommée Ouibus en 2015 – a accusé 165 millions d’euros de pertes cumulées depuis 2013.
Avec 40 % de part de marché revendiquée et 55 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017, Ouibus représentait pourtant l’un des leaders du marché. Si le montant de la transaction n’a pas été révélé, on sait en revanche que le groupe ferroviaire public va participer en parallèle à une levée de fonds de 101 millions d’euros pour augmenter le capital de Blablacar aux côtés d’autres investisseurs, et disposera d’un poste d’observateur au conseil d’administration de celle-ci.

Les deux groupes alliés contre l’usage de la voiture individuelle

Les deux sociétés mettent en avant un enrichissement mutuel de leur offre commerciale pour justifier ce rapprochement. « Dès l’été 2019, les clients de Oui SNCF se verront proposer une offre de mobilité intermodale, train et bus dans un premier temps, répondant à leur attente de simplification. La combinaison train et covoiturage suivra dans un second temps. Il sera alors possible, pour aller de leur point de départ à leur point d’arrivée, de combiner les modes de transport : train, bus et covoiturage, et cela en quelques clics », fait valoir la SNCF dans un communiqué de presse.
Les deux groupes prétendent que, loin de se concurrencer, ceux-ci seraient en réalité alliés contre ce que le PDG de Blablacar, Nicolas Brusson, qualifie d’« autosolisme », c’est-à-dire l’usage de la voiture individuelle. « Nous sommes convaincus que, pour faire plus de train, il faut que nous fassions plus que du train », a lâché le président du groupe SNCF, Guillaume Pepy. « On a envie de croire en cette histoire, c’est pour cela qu’on participe à la levée de fonds », a souligné Rachel Picard, directrice générale de Voyages SNCF.
Avant la cession, la direction de Ouibus est censée achever la mutation de son modèle économique en abandonnant totalement l’exploitation d’autocars en propre au profit d’un modèle combinant franchise et appel à la sous-traitance. Ce qui signifie qu’elle va renoncer aux 10 % de production interne qu’elle avait gardés, avec pour conséquence 95 suppressions de postes (dont 84 conducteurs). La SNCF assure que ceux-ci seront reclassés dans d’autres filiales du groupe ferroviaire et que « plus de 500 offres ont d’ores et déjà été mobilisées » pour eux. Le secrétaire général de la CGT cheminots, Laurent Brun, a déploré à l’AFP lundi « le développement du mode routier polluant au détriment des trains d’équilibre du territoire », et exigé que « pas un seul salarié ne soit licencié ». « Loin des espérances de développement de ce nouveau marché low cost, nous assistons à un véritable gâchis financier où l’argent public est déversé dans un puits sans fond », a ajouté dans un communiqué son syndicat.
L’Unsa a de son côté demandé que « des propositions de reclassement soient faites à tous les salariés de la société SNCF C6 (Ouibus) », s’interrogeant en outre sur l’impact de ce partenariat sur les conventions TER (train express régional). « En effet, la plus grande part des recettes commerciales des TER est apportée par les “voyageurs occasionnels” en correspondance avec des TGV. Une partie significative de ces clients pourraient choisir le covoiturage », pointe le syndicat dans un communiqué. « Blablacar, c’est de l’ubérisation. Cette vente, c’est un jeu de Monopoly qui n’a rien à voir avec du service public », a dénoncé de son côté Bruno Poncet, secrétaire fédéral SUD rail, qui accuse la SNCF de « dumping social ». Le responsable syndical craint en effet que, pour rendre l’entreprise d’autocars profitable, Blablacar ne rogne « sur les salaires et les conditions de sécurité des passagers ». Les représentants des salariés devraient en savoir plus sur les conséquences sociales de cette cession à l’occasion d’un conseil d’administration et d’un comité de groupe qui devraient se tenir dans les jours qui viennent.

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