jeudi 14 mars 2019

SUBVENTIONS PUBLIQUES, FIN DES CONTRATS AIDÉS.... COMMENT FAIRE VIVRE LES ASSOCIATIONS ?

Rappel des faits Notre pays compte 1,3 million d’associations actives comprenant 15 millions de bénévoles et salariés. Les conditions de leur existence sont posées.
Marie-George Buffet Députée PCF de Seine-Saint-Denis et ancienne ministre de la Jeunesse et des Sports
Philippe Jahshan Président du Mouvement associatif
Jean-Baptiste Jobard et Gilles Rouby Coordinateur et administrateur du Collectif des associations citoyennes

être à la hauteur de l’engagement citoyen

Marie-George Buffet
Députée PCF de Seine-Saint-Denis et ancienne ministre de la Jeunesse et des Sports
Le monde associatif n’a pas mis longtemps à comprendre comment se traduirait pour lui l’arrivée du « nouveau monde » au pouvoir. Baisse du budget dédié au développement de la vie associative, fin brutale des contrats aidés, recours toujours aussi massif aux appels à projet et baisse des subventions pluriannuelles : voilà la mise en marche de l’affaiblissement d’un secteur apparaissant de plus en plus comme un pilier fondamental de l’État dans la mise en œuvre de ses politiques publiques.
Le monde associatif représente 1,3 million de structures, 13 millions de bénévoles et pratiquement 1,9 million de salariés dans 163 400 associations employeuses. Derrière ces chiffres se cache une utilité sociale difficilement quantifiable mais tellement importante, tant les associations apparaissent comme le lien vital à la cohésion de notre pays. Lorsque l’État se désengage, il se tourne le plus souvent vers le monde associatif pour prendre le relais de ses actions. C’est ainsi que les associations payent deux fois le prix des politiques comptables de l’État. D’une part, parce qu’elles assument pleinement le rôle qu’il ne veut plus remplir et que les collectivités territoriales ne peuvent plus assumer. D’autre part, parce qu’il leur est donné de moins en moins de stabilité financière.
En juillet 2017, soit seulement quelques mois après l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, la baisse brutale des contrats aidés a déstabilisé durablement les structures associatives. Au nombre de 459 000 en 2017, les contrats aidés ont été réduits à seulement 200 000 en 2018. Leur prise en charge par l’État a également chuté, passant de 60 % à 85 % du Smic horaire brut avec les anciens contrats à 50 % de prise en charge avec les nouveaux Parcours Emploi Compétences. Si les contrats aidés n’étaient pas toujours le dispositif le plus adapté pour leurs bénéficiaires, ils permettaient néanmoins aux associations de pallier le désengagement des pouvoirs publics. C’est pour cela que je réclame la mise en place de véritables emplois associatifs qualifiés, en parallèle des dispositifs d’insertion.
D’autres mesures ont eu un impact conséquent sur les ressources des associations. La réserve parlementaire représentait environ 50 millions d’euros reversés par les parlementaires aux associations actives dans leur circonscription. Lorsque la fin de cette réserve a été adoptée, seulement 25 millions supplémentaires sont venus abonder, en 2018, le Fonds pour le développement de la vie associative afin de compenser cette suppression.
Enfin, la transformation progressive des subventions pluriannuelles en appels à projet qui a eu lieu ces dernières années, doit cesser car elle dévoie le fait associatif, obligeant les structures à se contorsionner pour être éligibles au financement. Il convient ainsi de redonner aux associations plus de visibilité financière pour qu’elles développent leurs propres actions sans les considérer comme de simples prestataires de l’État.
Le gouvernement et sa majorité doivent renouer le lien de confiance entre l’État, le monde associatif et les bénévoles qui le font vivre. Leur engagement doit être mieux valorisé, le fait associatif doit être respecté et, surtout, il faut cesser de demander aux associations de remplir des missions qui, normalement, incombent à la puissance publique. Ce n’est qu’à ces conditions que l’État sera enfin à la hauteur des femmes et des hommes qui s’engagent au quotidien au service des autres.

Pourquoi soutenir la vie associative ?

Philippe Jahshan
Président du Mouvement associatif
Les associations sont partout présentes en France. De la multitude d’associations locales, rassemblant les habitants d’un village autour d’activités de toute nature, jusqu’aux associations nationales agissant partout au travers de leur réseau au service de la solidarité, de la défense des droits, de la protection de l’environnement, en passant par les clubs sportifs, les associations culturelles, les associations d’aide à domicile, les centres d’animation qui permettent l’accès à tous les publics à des activités et services autrement inaccessibles, le tissu associatif, multiforme, est un acteur essentiel du lien social et de la cohésion territoriale. La vie associative, ce sont des innovations sociales au quotidien pour trouver des solutions aux besoins, le premier lieu d’engagement, une école de l’émancipation citoyenne. C’est aussi de l’emploi, et de l’économie sociale et solidaire qui produit des richesses matérielles et immatérielles, dans un but non lucratif, fondé sur le principe de la gestion désintéressée et de la propriété collective. Autant d’éléments qui appellent à ce que la vie associative, et son développement, soit un véritable sujet de politique publique parce qu’elle est constitutive de notre contrat social, de ce qui tient la nation, de ce qui fait société.
Pourtant, c’est plutôt à une fragilisation du tissu associatif qu’on a assisté ces dernières années : choix de la commande publique au détriment des subventions qui vient affaiblir l’initiative associative, suppression brutale des emplois aidés mettant en danger des activités menées au service des citoyens, réforme de l’ISF venant fortement impacter les dons, renforcement des complexités administratives de toutes sortes ne tenant pas compte de la nature bénévole de nombreuses activités associatives… La vie associative ne dépend pas que des politiques publiques, loin de là, la constance de l’engagement des Français dans les associations le montre bien. Mais dans la situation actuelle que traverse notre pays, plus que jamais négliger la force que représente l’action associative au service d’une société plus juste, plus durable, plus solidaire serait une erreur certaine. Les questions de vie associative devraient non pas occuper la périphérie de nos politiques, comme cela est toujours le cas, mais en constituer la centralité. Cela passe certainement par des moyens : moyens mis au service de l’emploi associatif pour soutenir le développement d’activités socialement utiles ; moyens mis sur la formation des bénévoles, qui, par leur action, produisent une richesse jamais mesurée mais pourtant essentielle à notre société ; moyens mis pour l’accompagnement des organisations associatives dans leur développement et leurs enjeux d’évolution. Mais si les moyens sont importants, il ne peut s’agir que de cela. Il s’agit surtout de construire, avec les acteurs, une véritable stratégie pour le développement de la vie associative : politique interministérielle pour favoriser l’engagement tout au long des parcours de vie ; reconnaissance du modèle non lucratif dans les politiques économiques, en matière de commande publique, de fiscalité, de modes de financement ; préservation des libertés associatives dans toutes leurs expressions, et soutien aux initiatives citoyennes, cœur de la vitalité associative et démocratique de notre pays. Ce sont les enjeux d’une politique de vie associative ambitieuse, essentielle aujourd’hui au regard des réponses que les associations, par leur modèle et par leurs actions, sont en capacité d’apporter aux enjeux de société et aux crises que nous traversons.

sous la coupe du néolibéralisme

Jean-Baptiste Jobard et Gilles Rouby
Coordinateur et administrateur du Collectif des associations citoyennes
Tandis que j’agonise. Ce sont peut-être des titres issus de l’œuvre de W. Faulkner qui trament le mieux un propos cherchant à décrire pourquoi et comment les associations sont au bord de la rupture.
Lumière d’août. À l’été 2017, la décision brutale de la suppression de nombreux emplois aidants est venue accélérer la fin programmée de petites et moyennes structures pourtant nécessaires à la biodiversité d’un paysage associatif composé par un ensemble d’organisations, hétérogènes certes, mais qui doivent toujours faire plus avec moins ! Le Bruit et la Fureur. Le front commun des fédérations et représentants d’associations qui ont réagi à cette mesure inique est sans précédent historique et ces voix se sont naturellement mêlées à d’autres protestations. « En même temps », les tentations répressives du pouvoir en place se concrétisaient à travers des « procès bâillons » ou d’ubuesques poursuites de militants écologistes ou de défenseurs des droits humains… La situation est telle qu’elle nous amène, quelques années après avoir élaboré une « cartocrise participative », à concevoir actuellement un observatoire de la répression de la vie associative ! Depuis 2016, le gouvernement prône le développement de « contrats à impact social », qui introduisent les tristement célèbres partenariats public/privé dans le domaine social. Avec la « French Impact » qui incite les associations à se transformer en start-up dans une économie de marché, leur mise en concurrence avec les entreprises privées devient la règle.
Sanctuaire. De la loi dite Macron de 2015 aux lois sur la sécurité intérieure banalisant l’état d’urgence, sur une société de confiance, sur le secret des affaires… les associations ont plus de difficultés pour intervenir dans le débat public. Cette atteinte aux capacités d’expression, de contestation et d’action de la société civile n’est évidemment pas sans rapport avec un certain nombre d’aspirations politiques exprimées dans les plus récents mouvements sociaux comme celui des gilets jaunes.
Il s’agit de les sanctuariser, c’est-à-dire de contrer la tendance de fond qui assèche les sources de financement des espaces publics de proximité, où se construisent les enjeux territoriaux du vivre-ensemble, où s’expriment les besoins sociaux et où les initiatives non lucratives inventent tous les jours des solutions, comme l’atteste la cartographie commune à voir sur transiscope.org.
Le défi est de taille car il ne s’agit pas seulement d’une question de baisse de moyens, mais plus généralement de la conception même qu’on se fait de la liberté associative en France. À l’heure où les subventions publiques ne représentent plus qu’un euro sur cinq dans les budgets associatifs, on observe deux phénomènes antinomiques avec l’esprit même de la loi de 1901. D’une part, l’appel croissant à des ressources privées pousse les actions des associations vers les logiques de marché, parfois au détriment des populations les plus en difficulté. D’autre part, la survie des associations (et d’un nombre important des presque 2 millions d’emplois qui s’y rattachent) passe de plus en plus par un rôle subi d’exécutant de politiques publiques… décidées sans elles. À cet égard, la réduction du périmètre des services publics promise par le programme Action publique 2022 n’est pas faite pour rassurer…
Cette sanctuarisation consistant à préserver l’ADN associatif relève de notre responsabilité collective. Nous atteler à la tâche aussi vitale qu’urgente consistant à construire une société soutenable, participative et solidaire nécessite de « changer de cap ».

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