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Ce mercredi 14 mai, François Bayrou a été auditionné par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le contrôle des violences à l’école. Le premier ministre a maintenu sa version - contredite par plusieurs témoins - sur l’affaire Bétharram, accusant ses contradicteurs "d'affabuler" ou de mener une cabale politique.
Cela fait trois mois que la polémique colle au premier ministre comme le sparadrap du Capitaine Haddock. Que savait François Bayrou des agressions physiques, sexuelles et psychologiques au sein de l’établissement privé catholique Notre-Dame-de-Bétharram ? A-t-il cherché à protéger l’école béarnaise où sa femme a travaillé et ses enfants ont été scolarisés, dont Hélène Perlant, sa fille elle-même victime qui vient de témoigner ?
Le maire de Pau, ex-député de la circonscription et ancien président du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques, a plusieurs fois assuré, devant la représentation nationale, qu’il ne savait rien. Il aurait pourtant menti à 14 reprises, d’après le décompte de Mediapart. La commission d’enquête devant laquelle auditionne François Bayrou ce mercredi doit notamment faire la lumière sur les faits. Le premier ministre ne peut, cette fois, pas mentir sans risquer une poursuite pour parjure.
Après avoir levé la main et dit « je le jure », François Bayrou a tenu à dire pourquoi cette audition est « très importante ». « Enfin… », a-t-il lâché, avant de forcer la commission à écouter un propos liminaire auquel il n’avait théoriquement pas le droit au vu des règles de fonctionnement de la commission.
Bayrou « cible politique » ?
« Pendant toute cette période où la polémique a été sur moi, il y a des centaines d’articles et des milliers de tweets pour me mettre en cause. J’ai chaque jour pensé que c’était sur elles et sur eux (les victimes, NDLR) que l’attention aurait dû se porter », a commencé le Palois qui se considère comme une « cible politique » victime de « manœuvre » et d’« instrumentalisation » avec « l’arme du scandale ».
Très vite, l’audition se tend. Il faut l’intervention de la présidente de la commission, Fatiha Keloua-Hachi, pour qu’un recadrage intervienne, après que François Bayrou a détaillé son « lien avec Bétharram » datant d’il y a « presque un quart de siècle ». « Cette audition est celle du premier ministre, du président du conseil général et ministre de l’Éducation », l’interrompt la socialiste. Façon de rappeler que ce n’est pas le père d’élève qui est invité à s’exprimer.
« Tout ce que je savais, je l’ai su par la presse », affirme François Bayrou, interrogé sur ses propos tenus devant les députés le 11 février lorsqu’il disait n’avoir « jamais été informé de quoi que ce soit de violences. ». « Je n’ai eu pas d’autres informations, comme ministre de l’Éducation nationale que par la presse. Et je n’ai bénéficié d’aucune information privilégiée », martèle-t-il devant le rapporteur LFI Paul Vannier, accusé de « déformer la réalité à chaque information » et de faire preuve de « perversité » par l’auditionné.
« Jamais je n’avais entendu parler de violences graves »
« Dans ma vie, on m’a accusé de beaucoup de choses, rarement de faits aussi ignominieusement graves » que d’avoir cherché à protéger des auteurs de « violences pédocriminelles », s’indigne l’actuel maire de Pau. « Jamais je n’ai varié dans ma version », insiste-t-il. Et d’oser : « On entendait parler de ces gifles, qu’il y en avait eues. Mais jamais je n’avais entendu parler de violences graves, de violences sexuelles. »
En 1998, François Bayrou avait rencontré son voisin, qui se trouvait être le juge Christian Mirande chargé du dossier du père Carricart accusé de violences sexuelles. Ensemble, ils ont discuté de l’affaire mais le juge Mirande « n’a pas porté atteinte au secret de l’instruction », jure le premier ministre. Tout était déjà, selon lui, dans « le journal du 29 mai ». « Si vous m’interrogiez aujourd’hui avec du sérum de vérité pour me faire dire qu’est-ce que j’aurais pu apprendre qui n’était pas dans le journal, je n’aurais rien pu apprendre car tout ce que j’ai lu sur cette affaire depuis qu’elle a été (…) utilisée comme un missile je n’ai rien appris qui ne soit supplémentaire par rapport à ce qui était dans le journal du 29 mai (sic) », s’énerve-t-il.
« Je ne suis jamais intervenu dans aucune affaire [judiciaire] », martèle le premier ministre, questionné sur le témoignage du gendarme Hontangs, qui avait déclaré que le procureur général avait demandé à voir le dossier judiciaire concernant le père Carricart. « Soit il ment, soit il affabule. »
Le ton monte entre le locataire de Matignon et Paul Vannier. « Vos affirmations sont biaisées. Vous faites de Mediapart la Bible et les prophètes », accuse le premier cité. Celui-ci a d’ailleurs ostensiblement placé à côté de lui le livre enquête La Meute qui étrille la France insoumise.
Ton offensif, François Bayrou ne veut pas perdre la face. Quitte à se contredire à quelques phrases d’intervalle. « J’ai le droit de ne pas lire la presse », dit-il. Avant de reconnaître ne pouvoir « ignorer ce qu’il s’est passé en 1996 », c’est-à-dire qu’un surveillant a frappé un élève, car « il y a eu des articles de presse dans tout le pays ». L’agresseur a été condamné à 5 000 francs avec sursis. « Vous voyez, je suis sous serment. C’est la première fois que j’entends parler de ce jugement », déclare François Bayrou. Mais Le Monde affirme, sur son site, avoir été « mis au courant » par le quotidien du soir le 13 février dernier. Il avait alors répondu « vous me l’apprenez ».
Bordélisation
Il contredit aussi Françoise Gullung, ex-professeure de mathématiques à Bétharram précédemment auditionnée par la commission, qui avait affirmé sous serment avoir informé François Bayrou, « fin 1994 ou début 1995 », de violences. Le Béarnais assure qu’elle se livre à « affabulation sous serment ». « Et moi, je dis sous serment que Mme Gullung ne m’a informé de rien », s’agace-t-il, en grande difficulté. Il en profite pour bordéliser l’audition afin de diffuser coûte que coûte un extrait vidéo de l’ancienne enseignante. Une vidéo qu’il avait refusé de transmettre en amont puisque, d’après lui, la commission n’est pas « totalement objective ». En raison d’un bug technique, elle ne sera pas diffusée.
« Malheureusement pour lui [François Bayrou], il fait erreur », lui répond Françoise Gullung, interrogée par l’AFP.
« Après avoir été sali tous les jours, je viens d’établir que le témoignage principal, sur lequel étaient fondées les diffamations dont je suis l’objet, est fallacieux », lance-t-il, goguenard. « Mme Gullung, c’est un témoignage (…) Nous avons de nombreux autres témoignages », le reprend la rapportrice Violette Spillebout (Rennaissance).
La macroniste rappelle alors qu’une inspection académique a été commandée en 1996 après la plainte. Celle-ci a été « superficielle », juge Violette Spillebout car réalisé par un inspecteur seul qui a dû rendre ses conclusions « en trois jours ». Ce avec quoi François Bayrou est en désaccord : « Il a entendu 20 personnes, 19 peut-être, répond-il. Si on considère que c’est traité par-dessus la jambe… Je trouve, moi, que c’est une vraie vérification. » Il va même jusqu’à évoquer une procédure « très rapide » et « sérieuse » qui a affirmé que Bétharram n’était « pas un établissement où les élèves sont brutalisés ». Le premier ministre esquisse un semblant de mea-culpa : « Est-ce que j’ai lu rapport de 1996 aussi attentivement que j’aurai dû ? Sûrement pas. Je n’ai dû lire que la conclusion. » Lirait-il ce rapport avec un regard différent aujourd’hui ? l’interroge la co-rapportrice.
« Est-ce qu’il y avait des méthodes un peu rudes ? Sûrement oui. Est-ce qu’aujourd’hui, elles seraient acceptées ? Sûrement non », minimise François Bayrou. Il est aussitôt recadré par la présidente la commission : « Tout sévice physique sur un enfant ou même un adulte est interdit par la loi. Que ce soit en 1996 ou en 2025. »
« Vous ne cherchez pas la vérité »
François Bayrou veut laver son honneur qu’il estime salit. « Je ne connais rien de plus abject que des adultes utilisant des enfants comme objet sexuel », soutient, la mine grave, François Bayrou, assurant livrer là son « témoignage d’homme ».
En 1996, le ministre de l’Éducation nationale d’alors demande à la direction de Bétharram d’« engager une réflexion sur la violence » au sein de l’école, selon les dires de Paul Vannier. « Cela veut dire que j’ai saisi que quelque chose n’allait pas. On ne peut pas trouver conduite plus conforme à ce que doit être le devoir d’un ministre que celle-là », affirme François Bayrou. Le député insoumis y voit lui « une contradiction très importante » au regard de la conclusion du rapport qu’il avait commandé la même année. « Jean-Luc Mélenchon dit « vous n’avez pas besoin d’être de bonne foi ». C’est exactement ce que vous faites. Vous ne cherchez pas la vérité ; vous la déformez tout le temps », attaque le premier ministre, brandissant le livre La Meute.
François Bayrou revient même sur l’épisode fameux où il gifle un enfant en 2002. « En passant la main, j’ai trouvé la main d’un petit garçon en train de sortir mon portefeuille de ma poche. Je lui ai donné une tape, pas une claque. Pas quelque chose de brutal », dédramatise-t-il. Avant de flirter avec le complotisme : « Je suis certain que cette scène a été bruitée par les télévisions qui ont fait faire à cette scène le tour de beaucoup de pays. Ce n’était pas une claque mais une tape de père de famille. (…) Pour moi, ce n’est pas de la violence. » Il s’agit même, selon lui, « un geste d’éducation » pour remettre un gamin « sur le droit chemin ».
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