jeudi 15 mai 2025

Naissance d’une nouvelle « Linke » en Allemagne


 Die Linke réunissait la 3e session de son IXe congrès ce week-end à Chemnitz. Nos camarades ont en effet l’habitude d’organiser leurs congrès en différentes sessions qui se réunissent d’une année sur l’autre. Celle-ci se déroulait dans un triple contexte.

D’abord, celui de la mise en place de la nouvelle coalition dirigée par les conservateurs de Friedrich Merz, avec les sociaux-démocrates comme force d’appoint. Le SPD, qui a subi sa pire claque électorale depuis le XIXe siècle avec 16 % des voix, conserve des ministères clés : les finances et la défense par exemple. Cette coalition est affaiblie dès sa naissance, par son incapacité à réunir une majorité de députés lors du premier tour de scrutin. C’est une première dans l’histoire de la République fédérale. Elle est surtout marquée par un contrat de coalition libéral-conservateur. Celui-ci est marqué par plusieurs inflexions par rapport à la doxa ordo-libérale portée par exemple par Wolfgang Schäuble qui a aggravé considérablement la crise de l’UE capitaliste et qui est en vigueur traditionnellement au sein la bourgeoisie allemande. Ce pas de côté porte notamment sur le financement de l’économie par la puissance publique. Mais il demeure totalement dans l’épure du libéralisme. On y trouve par exemple l’appel à un accord de libre-échange avec les États-Unis (avec Trump !), tout en appelant à « protéger » l’industrie nationale par la loi. Socialement, l’accord de coalition est très conservateur : la pression sur les chômeurs est renforcée et la retraite par capitalisation privilégiée. Sur le plan de la politique étrangère, Merz a annoncé vouloir revenir sur la décision de son prédécesseur Olaf Scholz en acceptant de livrer des Taurus à l’Ukraine. Là encore, le lien transatlantique est réaffirmé alors qu’aucune mention n’y est faite d’une « autonomie stratégique » européenne, même au sens macroniste, c’est-à-dire vide, du terme. C’est ici une approche très traditionnelle de la bourgeoisie allemande qui s’impose. Les règles du frein à la dette ne s’appliqueront pas sur les dépenses de défense, ce qui rejoint les annonces de la Commission européenne de ne pas les prendre en compte dans le calcul du déficit. Ce contrat de coalition est donc marqué par : de l’investissement à la Draghi, dans un ensemble conservateur et de plus en plus militariste.

Ensuite, la confirmation par le renseignement intérieur de la classification de l’AfD comme « extrémiste de droite avéré » donne un coup de fouet aux mobilisations qui exigent son interdiction. Plusieurs milliers de personnes ont encore manifesté dimanche dernier. Cela démontre que des résistances importantes à l’extrême droite demeurent dans la société allemande, après les manifestations massives du début de 2024 qui furent les plus importantes que l’Allemagne ait connues depuis 1992. L’enjeu est brûlant. Avec 10,3 millions de voix et 152 députés, l’extrême droite est numériquement la première opposition à la coalition. L’évolution des rapports de force dans la société allemande dans les mois qui viennent est donc cruciale pour l’avenir de la politique allemande.

Enfin, ce congrès fait suite au succès électoral de die Linke qui, avec 8,8 % des voix, a obtenu 64 députés, soit son meilleur résultat depuis 2013. Le profil social affirmé, s’opposant à l’extrême droite et à la militarisation, lui a incontestablement profité, alors que le parti traversait des difficultés existentielles dans la phase précédente. 
Le congrès de die Linke fut donc celui de la mobilisation. Les interventions des quatre principaux dirigeants du parti (les co-présidents Ines Schwerdtner et Jan van Aken et les co-présidents de la fraction parlementaire, la populaire Heidi Reichinnek et Sören Pellmann) ont tous insisté sur l’importance de la question sociale : à savoir la question de l’emploi et celle du logement. Ils ont également porté une critique acerbe de la militarisation du discours et des actions gouvernementales. S’appuyant sur 30 000 nouveaux adhérents, en passant de 52 000 à 82 000 membres, c’est un nouveau parti qui est en train de naître. Le renouvellement de la direction lors de la session précédente du congrès, en octobre 2024, allié à un recentrage de la ligne sur les deux piliers que sont les questions sociales et celles de la lutte contre le militarisme, en a fourni les prémices. Le dynamisme de la campagne et la place nouvelle de die Linke à gauche, capable de s’affirmer comme la première opposition de gauche, fait le reste.

Mais la bataille ne fait que commencer. Elle s’annonce rude contre la coalition conservatrice et sociale-démocrate d’une part et contre l’extrême droite d’autre part. Elle est cruciale pour l’avenir du pays et pour ce à quoi pourrait ressembler l’Europe demain. Le renouveau de die Linke appelle en effet à un renouveau de la gauche européenne sur des bases de transformation sociale et d’une politique de paix. Transformer le sursaut en alternative politique à gauche, voilà la feuille de route que les militants de die Linke se sont fixée ce week-end.

Vincent Boulet

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