Le Festival de Cannes, dont l’édition 2025 vient de s’achever, célébrera l’an prochain son 80e anniversaire. Marché du film qui brasse des enjeux considérables, il est surtout la plus belle vitrine de la création cinématographique mondiale. Connecté aux préoccupations socio-politiques, il a dès l’origine été la chambre d’écho des préoccupations du moment. Sans revenir trop longuement sur ces quatre-vingts ans d’histoire, on a tous en mémoire quelques péripéties qui l’ont illustré, comme la fameuse édition de 1968, qui s’auto-supprima, l’irruption de la bataille des intermittents en 2004, la mobilisation des Sans-Papiers en 1997, la mémorable intervention de Justine Triet en 2023… Et cette année, Gaza.
Le Festival de Cannes est né une première fois en 1939.
L’idée est née de la volonté politique du gouvernement de l’époque de répliquer à la Mostra de Venise. Le diplomate Philippe Erlanger, qui lança l’idée, y constate la mainmise de plus en plus voyante du régime fasciste sur le Festival, aggravée avec le resserrement des liens de l’Italie de Mussolini avec l’Allemagne nazie. C’est ainsi que Les dieux du stade de Leni Riefensthal se vit attribuer le Grand Prix 1938 sur intervention directe d’Hitler. Les Français sont atterrés, et Jean Zay, un des derniers progressistes au sein du gouvernement de Front populaire, décide de créer un « Festival des démocraties du monde », un festival antifasciste à la gloire du cinéma et de la paix. La première édition devait commencer le 1er septembre 1939. Ce fut le jour d’entrée des troupes nazies en Pologne. Elle n’eut donc pas lieu.
La première édition effective a lieu en 1946, dans le contexte de la Libération. La France est à reconstruire, les ministres communistes sont au gouvernement. De grandes réformes sont engagées. Ambroise Croizat met en place le régime général de Sécurité sociale, les nationalisations et le statut de la fonction publique s’engagent. La mobilisation populaire est là, mais les caisses sont vides. C’est grâce à l’obstination du maire de Cannes de l’époque Roger Picaud et de la profession représentée par la CGT, en la personne de Louis Daquin, responsable national du syndicat des techniciens de la production cinématographique, que l’alchimie fonctionne.
Le Festival rencontre d’emblée un grand succès populaire, mais aussi auprès de la critique et à l’international. Le Grand Prix (qui n’est pas encore la Palme d’Or) est décerné à La Bataille du rail de René Clément, film produit par la Coopérative générale du cinéma français, créée par la CGT avec de nombreux militants communistes, à la gloire de la Résistance et de la victoire des Alliés, comme d’ailleurs de nombreux films de la sélection. Ce premier Festival du film est véritablement une grande fête civique et cinématographique.
Mais pour exister, dans les conditions de l’époque, il a fallu toute la mobilisation de la population cannoise. En moins de quatre mois, il a fallu tout inventer, à commencer par le premier lieu de projection, dans les conditions particulièrement difficiles de l’après-guerre. Dès 1946, la CGT est un acteur clé du Festival. Cofondatrice de l’événement, elle participe à son conseil d’administration et ce jusqu’à nos jours. Les syndicats mobilisent ouvriers et techniciens pour construire le premier Palais des Festivals, souvent bénévolement après leurs journées de travail, en moins de quatre mois. Il était toutefois inachevé le jour de l’ouverture, mais les projections se déroulèrent sans encombre.µ
Jean-Jacques Barey
PS : Cet article doit beaucoup au travail exemplaire de l’historien Tangui Perron sur le sujet, qu’on retrouvera notamment ici :
- Tangui Perron : Tapis rouge et lutte des classes, une autre histoire du Festival de Cannes (Éditions de l’Atelier, 2024).
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