lundi 22 juin 2015

Julian Mischi : « Il y a une dévalorisation générale des milieux populaires »

Sociologue et codirecteur de collection aux éditions Agone, Mischi a signé deux ouvrages consacrés au Parti communiste français : Servir la classe ouvrière (en 2010) et Le communisme désarmé (en 2014). Mais plus que l'histoire propre d'un parti (et de ses débats internes), c'est ce qu'il dit de la société tout entière qui nous intéresse et nous retient ici : rappelons qu'il avait obtenu 21 % des suffrages à la présidentielle de 1969 et moins de 2 % en 2007 — pareille évolution n'est pas, de toute évidence, sans significations sur notre époque. Comment en est-on venu à croire qu'il n'existait presque plus d'ouvriers en France ? Comment est-on passé de l'héroïsation du prolétariat au mépris des ploucs et des beaufs ? Le FN est-il le nouveau parti du peuple ? Mischi nous répond et propose, surtout, de redonner des armes au communisme français —  en replaçant, en son cœur, la lecture de classes.

Mettons les pieds dans le plat : pourquoi tant de personnes, en France, sont-elles persuadées que les ouvriers n'existent presque plus ? Qu'a-t-il pu se produire, collectivement, pour que cette idée folle ait pu prendre corps ?
Le groupe ouvrier, s’il a décliné depuis les années 1970, est en effet loin d’avoir disparu. Avec 6,8 millions d’individus au dernier recensement de 2011, il s’agit de l’un des principaux groupes sociaux, représentant 23 % de la population active française. Et, si l’on s’en tient à la seule composante masculine, un homme actif sur trois est ouvrier ! La population ouvrière reste donc importante, même si sa composition interne change — tout comme ses conditions de vie et de travail. Cependant, dans les représentations partagées par une majorité de Français, la composante ouvrière de la société est très largement sous-évaluée. Les ouvriers sont le plus souvent perçus comme des figures du passé ou des figures étrangères, travaillant en Chine ou au Bangladesh. Comment expliquer cette distorsion des représentations avec la réalité ? Tout d’abord, sûrement par le fait que l’on confond souvent le mouvement ouvrier et les ouvriers eux-mêmes. De la fragilisation de la classe ouvrière et de l’affaiblissement des organisations ouvrières, on en conclut trop rapidement à la fin des ouvriers, dont l’image est associée aux bastions industriels et aux conflits sociaux. Or les ouvriers d’aujourd’hui sont moins syndiqués, travaillent davantage dans des petites unités de production, dans le secteur des services, et beaucoup résident dans les espaces ruraux et périurbains. Ils ne correspondent pas aux images toutes faites de la classe ouvrière, qui ont été produites par les militants du siècle dernier. Il faut cependant rappeler que les figures ouvrières classiques, telles que les métallos ou les cheminots, sont bien sûr loin d’avoir disparu.
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