mercredi 31 juillet 2019

Jadot, ouvert à des alliances à droite, tancé par la gauche

Invité samedi au Festival des idées dans la Nièvre, où se rendait une partie de la gauche, Yannick Jadot avait prôné le « pragmatisme » dans des municipalités « où vous avez des gens qui sont sans étiquette ou même divers droite ».
Le chef de file des communistes aux élections municipales à Paris, Ian Brossat, l’a tancé dimanche 7 juillet. « Je suis très surpris par les déclarations de Yannick Jadot, même si cette petite musique s’était déjà fait entendre aux européennes », a déclaré sur France 3 Ian Brossat. « Je ne pense pas que l’écologie soit soluble dans le libéralisme — car c’est produire n’importe quoi dans n’importe quelles conditions sociales et environnementales —, et monsieur Jadot nous dit qu’on peut faire alliance avec la droite, s’est-il indigné. Moi, la droite je l’affronte au Conseil de Paris, elle s’est opposée au tramway, à la reconquête des voies sur berges. »
La députée européenne La France insoumise (LFI) Manon Aubry a de son côté jugé « inquiétants » les « signaux donnés par Yannick Jadot » : « alliances locales avec la droite, acceptation de l’économie de marché ».

mardi 30 juillet 2019

« Plage au peuple ! »

En clin-d’œil, tel pourrait être l’objectif des communistes pour l’été durant lequel trop de nos concitoyens ne partent pas en vacances pour des raisons financières. En effet, ce sont toujours plus de la moitié des ouvriers et des personnes touchant moins de 1900 euros par mois qui sont privés de vacances, un taux de départ inférieur aux années 90 (source Observatoire des Inégalités), injustice sociale profonde dans un pays aussi riche que le nôtre. Une situation qui donne tout son sens aux fameuses « journées à la mer, pour le droit aux vacances » organisées depuis des décennies, par les communistes, dans une série de communes, avec en particulier les emblématiques Journées des communistes du Nord à Malo-les-Bains et celle des communistes de l’Oise, qui fêteront respectivement leur 30e et 25e édition, avec des milliers de personnes, fin août. Des journées très attendues et dont on parle plusieurs mois à l’avance, dans les quartiers et villes où des départs ont lieu chaque année car elles sont des petits moments de bonheur gagnés sur les difficultés de la vie quotidienne ! Autres actions de « solidarité concrète », les ventes de fruits et légumes, à prix coûtant, en lien avec des producteurs, sur le modèle de la grande opération menée à Paris et sur l’Île-de-France, fin août également, mais démultipliées désormais dans des dizaines de localités sur le reste du territoire, et parfois à différents moments de l’année : là aussi, offrir la possibilité de pouvoir manger des produits de qualité, à un prix accessible pour des consommateurs même modestes, mais avec une juste rémunération pour le producteur, favoriser le contact et l’échange entre les uns et les autres, sont des actes politiques forts. Les fédérations PCF concernées sont à la disposition des organisations du Parti qui souhaiteraient à leur tour prendre de telles initiatives, pour échanger sur les dispositions concrètes de préparation. Ces actions solidaires auxquelles on pourrait ajouter toutes les initiatives de forme conviviales et festives prises l’été, concours de pétanque, barbecue, vide-grenier, fêtes ou autre Rando Vélo Coco, sont autant de moments de présence des communistes, et donc de possibilités de discussions, d’échanges dans la situation politique difficile, incertaine et dangereuse que connait notre pays. C’est tout d’abord l’occasion de marquer que « nous sommes là », pardelà les échéances électorales. Alors que la défiance est grande vis-àvis des partis et des discours politiques, ces actions font vivre concrètement que « nous ne sommes pas un parti comme les autres », que nous mettons nos actes en accord avec nos paroles, et que pour nous, la solidarité, « l’humain d’abord » ne sont pas que des mots. Dans une société où tout est fait pour diviser, où tant de personnes ont le sentiment d’être abandonnées, méprisées (le mouvement des Gilets jaunes a fait entendre largement cela), tout ce qui construit des moments collectifs, solidaires, de partage, d’échanges, en associant femmes et hommes, par-delà leur diversité de situations, d’origines, de culture est, en soi, un acte concret de résistance et d’espoir dans une autre société et d’autres choix possibles. Chacune de ces initiatives, si elle est préparée avec cet objectif, est une occasion de discussion avec des personnes que l’on ne voit pas dans d’autres réunions, débats ou points de rencontres : nous pouvons y gagner des signatures pour le référendum contre la privatisation d’ADP, auprès de personnes qui n’en auront jamais entendu parler ; nous pouvons y parler préparation des élections municipales à partir des préoccupations de femmes et d’hommes habitant les quartiers populaires, d’ouvriers, de jeunes précaires, de retraités modestes et gagner des inscriptions sur les listes électorales et peut-être des candidat.e.s. Nous pouvons, dans tous les cas, y collecter des coordonnées, des contacts, des adhésions qui nous permettent de redévelopper notre présence, notre organisation dans des quartiers et des villes populaires. Alors, partout, soyons à l’initiative pour un été solidaire ! µ Thierry Aury Responsable national initiatives de solidarité

lundi 29 juillet 2019

Le traité de libre-échange avec le Canada devant l’Assemblée

La France doit-elle ratifier le CETA ? C'est la question qui sera demain, mercredi 17 juillet, à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Pour la CGT et un collectif de plus  de 70 organisations de la société civile, la réponse est non.
La journée du mercredi 17 juillet s'annonce mouvementée à l'Assemblée nationale. Nos députés doivent en effet se prononcer de manière définitive sur le CETA, l'« Accord économique et commercial global » signé entre le Canada et l'Union européenne en 2016 et, pour l'instant, en « application provisoire » depuis septembre 2017 en France.
Un traité de libre-échange dont les premiers résultats laissent pour le moins perplexe Sylvain Goldstein, conseiller confédéral chargé des questions économique internationales à la CGT. « Les seules informations que l'on a sont celles données par Jean-BaptisteLemoyne, le secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, qui nous dit que le CETA n'entraîne aucun problème pour l'industrie et les agriculteurs français et que le grand gagnant, c'est la France. »

Des points qui inquiètent

Un discours peu convaincant pour Sylvain et la CGT qui, au sein d'un collectif d'ampleur nationale, « stop TAFTA », réunissant plus de 70 organisations syndicales et associations de la société civile demandent à nos députés de ne pas signer ce texte. Non sans arguments.
« Trois points nous inquiètent. Premièrement, et comme dans tous les accords de libre-échange, on ne parle pas du tout des droits sociaux ou ce que l'on en dit n'a pas de caractère impératif », déplore le conseiller confédéral, qui craint là de voir ouvertes les portes d'un dumping social trans-Atlantique. « Moins de taxes d'un côté que de l'autre de l'Atlantique, ça peut donner des idées. »
Autre souci, et non des moindres : celui de voir de Canada se transformer en sous-marin économique des États-Unis. « Il y a déjà beaucoup d'accords économiques entre le Canada et les États-Unis », rappelle Sylvain. « Ce qui fait que l'on pourrait, par exemple, très bien vendre en France de la viande provenant d'animaux élevés avec des antibiotiques aux États-Unis, qui n'est pas conforme aux législations européenne et française ». Quant au dernier point d'achoppement, il découle tout naturellement du précédent. « Cela fout en l'air le principe de précaution mais aussi celui de la protection des consommateurs. Pour une raison toute simple : en cas de litige, les entreprises peuvent aller devant un tribunal d'arbitrage dont la juridiction est supérieure aux juridictions nationales ! » De quoi permettre à toute société de dicter en quelque sorte ses conditions et d'attaquer un États partenaire du CETA, voire de réclamer des indemnités.

Faire pression sur les élus

Autant de raisons qui poussent le collectif « stop TAFTA » à appeler aujourd'hui mardi à un grand « Rassemblement citoyen » devant le palais Bourbon pour faire pression sur nos élus. Avec, pour l'occasion, un allié inattendu. L'irruption soudaine dans le débat du Mercosur, le traité de libre-échange avec quatre pays d'Amérique du Sud, qui s'est immédiatement attiré les foudres de tous bords. « On s'attendait à un débat de routine mais le Mercosur a rebattu les cartes », estime Sylvain Goldstein. « Un certain nombre de Macronistes élus des zones rurales et même le ministre de l'Agriculture se sont prononcés contre le Mercosur. Logiquement, ils devraient être aussi contre le CETA. Cela peut avoir des conséquences auxquelles on ne s'attend pas. » La réponse ne devrait pas tarder…

dimanche 28 juillet 2019

Accueil/Actualités/Brèves Brexit : une odeur de hareng pourri

Boris Johnson, probable prochain Premier ministre conservateur britannique, qui a fait campagne en faveur du brexit, a brandi un hareng fumé lors d'un meeting pour dénoncer les réglementations « inutiles et néfastes » imposées aux pêcheurs de l'île de Man par l'Union européenne (UE).
Manque de peau (de hareng), l'île de Man ne fait pas partie de l'UE, et la réglementation en question est imposée, en réalité, par l'Etat britannique.
Les propos protectionnistes de Johnson relèvent de la même démagogie que ceux développés par les protectionnistes d'ici. Car les frontières et les droits de douane ne protègent pas le monde du travail de la crise du capitalisme, pas plus que de la politique des démagogues à la Boris Johnson.

samedi 27 juillet 2019

Le Parlement adopte la réforme de la fonction publique, «un mauvais coup» pour les syndicats

Le Parlement a adopté définitivement mardi, par un ultime vote du Sénat à majorité de droite, le projet de réforme de la fonction publique, qui prévoit notamment un recours accru aux contractuels, dénoncé comme «un mauvais coup» par les syndicats.
Le projet de loi de «transformation de la fonction publique» concerne 5,5 millions d’agents répartis entre Etat (44%), collectivités territoriales (35%) et hôpitaux (21%).


Assurant qu’il ne remet pas en cause le statut de la fonction publique, comme le craignent les syndicats et la gauche, le gouvernement vante un texte de «modernisation».
Cela passe notamment par l’élargissement du recours aux contractuels (déjà au nombre d’un million) qui doit rendre l’administration «plus attractive et plus réactive», mais aussi par des mobilités facilitées.
Plusieurs dispositions s’inspirent de dispositifs en vigueur dans le privé : dialogue social «simplifié» avec une refonte des instances, expérimentation durant cinq ans des ruptures conventionnelles ou encore «contrat de projet».
«Ce 23 juillet restera un mauvais coup porté à la fonction publique, à l’emploi public, au service public et à l’ensemble de la population», ont réagi les neuf organisations syndicales de la fonction publique (CGT,CFDT,FO, Unsa,FSU, Solidaires, CFE-CGC, CFTC, FA-FP) dans un communiqué commun.
La majorité sénatoriale s’est félicitée de voir que plusieurs apports de la chambre haute ont été conservés, avec de «nouvelles souplesses pour les maires». Le texte prévoit notamment un encadrement de l’exercice du droit de grève dans la fonction publique territoriale.
Surtout, le Sénat a permis de calmer le jeu sur le dossier des conseillers techniques sportifs (CTS), ces fonctionnaires placés auprès des fédérations sportives: est inscrit dans la loi qu’ils seront exclus du dispositif de «détachement» automatique en cas d’externalisation du service.
- Pantouflage -
Parmi les autres dispositions du texte figurent de nouvelles règles de déontologie, pour un contrôle plus efficace du «pantouflage» (départs d’agents dans le privé). Inspiré par l’affaire Benalla, le Sénat a élargi les contrôles aux fonctionnaires membres du cabinet du président de la République et à ceux des cabinets ministériels.
Enfin, le projet de loi habilite le gouvernement à légiférer par ordonnances pour réformer la haute fonction publique. C’est dans ce cadre que s’inscrit la mission confiée à Frédéric Thiriez par Emmanuel Macron. Le chef de l’Etat s’est dit favorable à la suppression de l’École nationale d’Administration (ENA).
Pour le secrétaire d’Etat Olivier Dussopt, le texte est «équilibré», «entre la souplesse nécessaire pour l’employeur mais aussi la volonté de renforcer les droits pour les agents publics».
«Il répond à une réalité et à un besoin», a renchéri Agnès Canayer (LR), tandis que le co-rapporteur centriste Loïc Hervé saluait «des améliorations», «à défaut de modification en profondeur».
Sans surprise, les groupes PS et CRCE (à majorité communiste) ont voté contre. Jerôme Durain (PS) a dénoncé des «reculades», «un tournant, dans un contexte social pourtant difficile».
Ce projet de loi «au fond c’est bien la disparition de l’Etat et la suppression de 120.000 fonctionnaires», a accusé Pascal Savoldelli (CRCE à majorité communistes), fustigeant les «convergences» entre majorité sénatoriale et majorité présidentielle «pour briser le modèle social de notre pays».
Les organisations syndicales de fonctionnaires ont annoncé qu’elles se rencontreraient le 5 septembre pour «aborder tous les enjeux majeurs comme ceux du pouvoir d’achat, des retraites et de cette loi».
M. Dussopt a affirmé la semaine dernière que l’objectif d’une réduction de 50.000 postes dans la fonction publique d’Etat, promise durant la campagne présidentielle par Emmanuel Macron, serait «extrêmement difficile à atteindre d’ici 2022».
Concernant les collectivités territoriales, il a en revanche estimé que l’objectif de suppression de 70.000 postes pendant le quinquennat pourrait être maintenu.

vendredi 26 juillet 2019

Face à un pouvoir en difficulté, le potentiel de mobilisation est considérable

Les temps ont changé. En janvier dernier, un sondage indiquait que deux Français sur trois approuvaient une réforme des retraites « Macron », présentée comme plus égalitaire et moins complexe, avec « un système par points où un euro cotisé donnera les mêmes droits ». Le pouvoir insistait alors sur les thèmes de justice et d’équité, tout en sachant que l’opinion publique n’est pas satisfaite du système actuel, mis à mal par les contre-réformes successives des dernières années. Patatras. Un récent sondage1 montre, d’une manière saisissante, combien le climat s’est modifié. Aujourd’hui, quasiment la moitié des sondés se dit « opposée » à la réforme voulue par E. Macron. Les interrogations sur l’âge réel de départ à la retraite et les inquiétudes sur le niveau des pensions sont installées dans le pays. L’irruption du thème « travailler davantage » a eu un effet de souffle. La défiance s’est installée. Beaucoup de personnes soupçonnent une arnaque, un piège : « il faudra travailler plus longtemps », « le montant des pensions va diminuer »... E. Macron et le gouvernement ont donc modifié la méthode et le calendrier. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites, présentera ses recommandations le 18 juillet. Le calendrier, qui prévoyait une réforme votée à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine, n’est plus d’actualité. Alors qu’Emmanuel Macron refusait, en janvier 2018, « les approches comptables qui rognent des droits sans avoir de nouvelles perspectives  », le gouvernement prépare une réforme des paramètres, dès le prochain budget de la Sécurité sociale, pour faire des économies en accélérant l’allongement de la durée de cotisations (réforme Touraine de 2014) dès 2020. Il n’y aura donc pas une mais deux réformes. Ce dispositif va créer de la confusion et faire grandir la défiance. Le potentiel de mobilisation est très certainement considérable. Les communistes peuvent y contribuer, dès cet été, par des échanges politiques permettant de dire les dits et les non-dits des réformes Macron. Notre collectif de travail a produit une première note aidant à un premier décryptage. Un modèle de tract, en réaction aux annonces de J.-P. Delevoye et aux projets gouvernementaux pour le PLFSS 2020, sera disponible le 20 juillet. “L’ambition d’une nouvelle innovation sociale et démocratique” Quoi d’autre que l’arnaque Macron ? Ayons l’ambition d’une nouvelle innovation sociale et démocratique. Parlons d’un enjeu de société et de civilisation en répondant à un triple défi : l’augmentation de la part des plus de 60 ans dans la population, l’allongement de la durée de vie, l’aspiration à une autre vie. À l’opposé du système Macron, nous proposons un système de retraites à prestations définies, avec un âge de départ connu, garantissant la solidarité entre les salariés, notamment en matière de pénibilité et de durée de carrière. Chacun peut ainsi connaître les droits dont il disposera à 60 ans, sans vivre dans la crainte d’une réduction de la valeur du « point retraite ». Il est donc nécessaire et possible de consacrer plus de richesses aux pensions versées à un nombre croissant de retraités et aux dépenses visant à préserver la santé et l’autonomie des personnes âgées quand le pouvoir entend plafonner les dépenses pour les retraites à l’actuel 14 % du PIB. Or, un prélèvement sur les revenus financiers des entreprises et des banques, une modulation des cotisations sociales patronales, une modulation de l’impôt sur les sociétés, une réorientation du crédit bancaire et de la politique monétaire pourraient permettre de mobiliser entre 70 et 90 milliards d’euros de ressources à consacrer chaque année au financement des retraites. Et pour quelle vie à la retraite ? Alors que E. Macron vise un véritable hold-up sur les plus belles années à la retraite, celles en bonne santé, nous proposons un nouveau cycle de vie pour décider de sa vie, pour un nouveau développement humain, pour une nouvelle utilité sociale, non marchande, pour celles et ceux qui le souhaiteront. C’est aussi la question essentielle de la garantie de conditions de vie digne avec un véritable service public de nouveau type, à l’opposé des projets de « silver economy » qui cherchent à élargir l’emprise du marché. La prochaine Université d’été sera un temps fort sur ces enjeux avec une séance plénière, un débat avec les forces politiques de gauche et deux ateliers. D’autres rendez-vous seront proposés lors de la Fête de l’Humanité. Préparons les conditions d’un front politique et social le plus large. Le PCF va agir en ce sens. Les membres du collectif de travail peuvent être sollicités pour animer des débats dans les fédérations et les sections. µ Olivier Dartigolles membre du CEN, en charge de l’animation de la campagne sur les retraites. 1. Les Français et la réforme des retraites, Elabe, Les É

jeudi 25 juillet 2019

Espagne : femmes de chambre en colère

Si l'Espagne reste pour beaucoup d'entre nous synonyme de soleil et de vacances, les conditions de travail des femmes de ménage dans les hôtels locaux sont, elles, loin d'être paradisiaques…
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Avec 82 millions de visiteurs accueillis en 2017, derniers chiffres officiels, l'Espagne est devenue la deuxième destination touristique mondiale. Une activité qui génère désormais 14,9 % du produit intérieur brut du pays mais surtout, dans une Espagne où le taux de chômage tutoie les 15 %, emploie quelque 2,5 millions de personnes rien que dans l'hôtellerie. Bref, un secteur loin d'être anodin dans l'économie espagnole, dont l'embellie et les bons résultats de ces dernières années ne semblent pas pour autant profiter à tous. En témoigne la colère grandissante des plus humbles, des plus invisibles de ses salariés : les femmes de ménage.

Services externalisés

« Les problèmes ont commencé après la réforme du Code de travail qui a eu lieu en 2012 », explique Mari Carmen Casin, elle-même femme de ménage dans un quatre étoiles de la capitale et membre du syndicat espagnol UGT. « En favorisant les conventions d'entreprise aux dépends des conventions nationales par branche, cette réforme a permis aux hôteliers de commencer à externaliser certains services avec des coûts beaucoup moins chers. Et les plus touchés par cette externalisation ont été ceux du nettoyage et des femmes de ménage dans les hôtels. »
Résultat, elles ne sont plus aujourd'hui que 60 % à bénéficier d'un CDI quand les autres sont employées avec des contrats temporaires par des entreprises « multiservices ». Des sociétés dont les conditions de travail sont largement revues à la baisse. « Même si le salaire dépend aussi du nombre d'étoiles des hôtels, les femmes de ménage « externalisées » gagnent 40 % de moins que celles qui travaillent en CDI, soit entre 600 et 700 euros par mois. Pour des journées de 10 heures de travail et sur six ou sept jours par semaine, poursuit Mari Carmen. Ça, c'est quand elles sont salariées. Car d'autres sont payées à la chambre : 2,50 euros la chambre ! Quand tu sais qu'il faut un minimum de 30 minutes par chambre… »
Le salaire n'est pas le seul problème. Congés, Sécurité sociale, retraite, contrats frauduleux et/ou non respect des horaires, les irrégularités commises par les sous-traitants sont en effet nombreuses. Sans oublier les maux de dos et autres troubles musculo-squelettiques dont elles sont, pour le coup, toutes victimes, CDI et « externalisées ».

Des améliorations obtenues

Autant de raisons qui ont poussé ces femmes d'habitude invisibles à faire entendre leur voix. Au travers d'associations comme les Kellys, contraction espagnole de « celles qui nettoient », mais aussi avec les syndicats. Des améliorations ont été obtenues. « Le 30 août 2018, lors d'une table ronde sur la qualité du tourisme, nous avons réussi à faire reconnaître certaines maladies comme maladies professionnelles », rappelle Mari Carmen Casin, qui a dû se faire opérer des tendons des épaules.  « Et aujourd'hui, 50 conventions d'entreprises externalisées ont été dénoncées et ont disparues. » Mais elles veulent plus. « Ce que l'UGT demande au gouvernement, c'est que la loi de 2012 soit éliminée ou, à défaut d'être éliminée, qu'elle soit modifié pour revenir à ce qu'il y avait avant 2012 et que les conventions par branche redeviennent la référence. »

mercredi 24 juillet 2019

La qualité de vie au travail, QVT : késako ?

Dialogue entre militants :
  • On vient de stopper la négo sur la QVT. Le taulier l'avait commencée avec les DS mais maintenant, il attend les élections à venir du CSE.
  • Ne te plains pas. Le mien s'en fout des RPS. De toute façon un accord QVT, nous on n'en veut pas !
  • Pourtant l'ANACT le conseille !
Bienvenue dans le monde merveilleux des acronymes ! Il est devenu fréquent d'employer QVT pour parler de qualité de vie au travail. Une manière d'ajouter du flou sur une expression qui n'en manque pas.
L'ouverture de négociations sur « la qualité de vie au travail » fut une réponse aux risques psycho-sociaux (RPS), l'expression évoquant pudiquement la souffrance au travail. L'émotion qu'ont provoquée les suicides au travail nécessitait une réponse. Il est compréhensible que des élus du personnel se soient saisis de « la qualité de vie au travail » comme d'une tentative de prise en charge de la détresse des travailleurs.
Il n'est pas dans la nature de cette rubrique que de se prononcer sur le bien-fondé de cette démarche. Contentons-nous d'interroger l'expression. L'insertion du terme « vie », entre qualité et travail, ne proscrit-il pas habilement la question de l'organisation du travail, de son sens, du potentiel pouvoir d'agir des travailleurs pour ne rester que sur la notion d'environnement ? Allons-nous gérer le risque, apprendre à vivre avec, ou bien l'éviter comme l'imposent les principes de prévention ?
Nous avons eu l'occasion dans une précédente rubrique d'évoquer la notion de « qualité du travail », soulignant que « progressivement, le mot qualité, s'éloignant toujours plus du travail bien fait, finit par signifier uniquement le respect total de la prescription ».
Or il ne peut pas y avoir de réelle santé au travail sans que chacun puisse donner sens à ce qu'il fait et le mettre en débat avec les autres. Il n'est pas impossible qu'un accord sur la qualité de vie au travail aborde cela. Dans la «littérature» sur la QVT, rares sont les évocations de la santé des salariés, au profit de celle du marché et de l'entreprise.
Une fois n'est pas coutume, volons au secours des patrons en les libérant de cette « lourde charge » : plutôt que de s'occuper de la vie au travail, proposons-leur de se centrer sur ce à quoi la loi les oblige en termes de réponse « aux besoins intellectuels et psychologiques des salariés dans l'exercice de leur travail » (art. 4, ANI 17 mars 1975). Pour ce qui est de la qualité de vie des salariés dans et hors de l'entreprise, écoutons la curiosité et l'intelligence de chacun et développons avec eux les possibilités d'y contribuer. Les activités sociales et culturelles peuvent en fournir l'espace.

mardi 23 juillet 2019

Âge de départ à 64 ans, décote et surcote : les principales mesures préconisées par Delevoye

Le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, a proposé que le futur « système universel » comprenne un « âge d’équilibre » à 64 ans assorti d’un système de décote/surcote. Il souhaite ainsi inciter « au prolongement de l’activité ». La CGT a déjà indiqué hier, par la voix de son secrétaire général, Philippe Martinez, son intention de mobiliser contre cette réforme.
Le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, a proposé que le futur « système universel » comprenne un « âge d’équilibre » assorti d’un système de décote/surcote, de 64 ans pour la génération née en 1963, dans son rapport rendu public jeudi. Ce système par points, qui doit être mis en place en 2025 et remplacera les 42 régimes de retraite actuels, incitera « au prolongement de l’activité », soulignent les préconisations que Delevoye doit remettre en fin de matinée au Premier ministre Édouard Philippe.
Les assurés « auront toujours la liberté de partir en retraite » à l’âge légal de 62 ans. Mais Jean-Paul Delevoye préconise que « l’âge du taux plein » permettant une retraite complète « soit le même pour tous, contrairement à aujourd’hui où il est compris entre 62 et 67 ans en fonction de la durée travaillée », et qu’il évolue « comme l’espérance de vie ». Ceux qui partiront avant cet âge-pivot, vivement contesté par plusieurs syndicats, verront ce rendement diminuer de 5% par année d’écart, quand ceux qui prolongeront leur activité au-delà bénéficieront d’un rendement majoré de 5% par an.
Parmi les autres préconisations, le rapport Delevoye propose de garantir dans le futur « système universel » un minimum de retraite égal à 85 % du SMIC net, contre 81 % pour les salariés et 75 % pour les agriculteurs actuellement.
Il envisage que les pensions de réversion versées aux conjoints survivants, le plus souvent des femmes, leur assurent 70 % du total des retraites perçues par le couple.
Il suggère en outre de majorer les droits à la retraite de 5 % par enfant dès la première naissance, contre 10 % actuellement pour les parents de trois enfants et plus, afin d’adapter les droits familiaux « aux évolutions de la société » et de favoriser les femmes, dont la pension moyenne est aujourd’hui « inférieure de 42 % » à celle des hommes.
Ces préconisations devraient servir de base à un projet de loi maintes fois repoussé et attendu en Conseil des ministres à l’automne, avant un examen au Parlement probablement après les municipales de mars.

lundi 22 juillet 2019

Plafonnement des indemnités prud’homales : comment le gouvernement encourage la délinquance patronale

Grâce à la troisième ordonnance réformant le code du travail, les employeurs pourront bientôt anticiper – et donc provisionner dans leurs budgets – le coût aux prud’hommes d’un licenciement réalisé de manière illégale... Drôle de conception de la justice ! Des indemnités divisées par deux, un préjudice évalué sur le seul critère de l’ancienneté dans l’entreprise, ou encore un délai réduit à un an pour saisir le tribunal... Les salariés ont-ils réellement quelque chose à y gagner ? Revue de détails.
« Il faut davantage d’équité entre les salariés », invoque le gouvernement pour justifier la mise en place d’un barème d’indemnisation obligatoire aux prud’hommes, quand le licenciement d’un salarié est jugé abusif. Équité, vraiment ? Le dispositif diminue sensiblement les sanctions financières en cas de licenciement illégal. Il limite également la capacité du juge à évaluer le préjudice subi par les salariés victimes d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Du côté du patronat, on se réjouit de pouvoir enfin « mettre un prix derrière l’acte de licenciement » [1], que celui-ci soit légalement motivé... ou non.
« On s’occupe de gens qui travaillent dans le nettoyage. Quand ils sont embauchés, certains employeurs leur font signer en même temps une lettre de démission. Comme ils ne savent pas lire, ce n’est pas très compliqué », commence Étienne Deschamps, syndicaliste de la Confédération national des travailleurs - Solidarité ouvrière (CNT-SO). Sur les étagères du petit local syndical, les chemises de couleur s’entassent. 450 dossiers prud’homaux sont en cours d’instruction. La plupart concernent des licenciements et des CDD illicites.
Le syndicaliste connaît tous les recoins de la section « commerce » du conseil des prud’hommes de la rue Louis Blanc, à Paris. Il y est fourré toutes les semaines. « Il faut y aller aux prud’hommes. Aux référés, tu as toute la misère du monde. Tu as la jeune coiffeuse qui n’a pas été payée pendant trois mois, et l’employeur qui répond qu’elle travaillait bénévolement. Que cela lui faisait plaisir de bosser gratuitement dix heures par jour, à faire des mises en pli et des brushings. »

Des dommages et intérêts divisés par deux

Que pense-t-il du barème obligatoire de dommages et intérêts en cas de licenciement abusif, fixé par la troisième ordonnance [2] ? Étienne Deschamps oscille entre inquiétude et indignation. Le plus grave selon lui : la très forte diminution du plancher de dommages et intérêts pour les entreprises de plus de 10 salariés, jusqu’ici fixé à six mois de salaire minimum (à partir de deux ans d’ancienneté) [3]. Avec pour conséquence – assez peu soulignée –, une division par deux voire plus, dans certains cas, des indemnités qui pourront être accordées par le juge (voir notre tableau ci-dessous). Exemple ? Un employé au Smic dans une entreprise de 20 salariés, licencié abusivement après deux ans d’ancienneté, recevait jusqu’ici une indemnité minimale de 8880 euros. Avec la réforme, même si son licenciement est reconnu illégal, il ne pourra percevoir, dans tous les cas, que la moitié de cette somme !
Nous avons comparé la situation de salariés (au Smic, au salaire médian, et gagnant deux fois le salaire médian) confrontés à un licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse. Voici les indemnités prud’homales qu’ils pourraient percevoir avant et après les ordonnances, en fonction des barèmes fixés.
« Les patrons vont s’engouffrer là-dedans, prévient Étienne Deschamps. Car la règle c’est : quand il y a un minimum, cela devient l’applicable. Avant, avec les six mois du Code du travail, les plaignants pouvaient obtenir plus, mais ils devaient prouver à l’euro près le préjudice qui justifiait que les indemnités demandées aillent au-delà de ces six mois. Maintenant, le minimum a été divisé par deux, et le juge n’aura pas le droit d’aller au-delà d’un maximum. »
Il prend l’exemple d’une personne de 59 ans qui affiche 20 ans d’ancienneté dans son entreprise. Compte tenu de son âge, retrouver un travail ne sera pas une sinécure. Le montant de son préjudice est donc calculé à partir de l’écart entre son indemnité de chômage et son salaire, sur la période qu’il lui reste pour atteindre ses annuités de retraite. Au regard de ces éléments, le juge pouvait ainsi accorder 30 mois de salaire en dommages et intérêts. Avec l’ordonnance, il sera limité à 15,5 mois. Quant au maximum de 20 mois, il concerne les personnes ayant 30 ans d’ancienneté dans l’entreprise. Et compte tenu des transformations qui se profilent dans le monde du travail, le nombre de salariés en poste durant trois décennies dans la même entreprise va fondre comme neige au soleil.

Un frein à l’embauche ? Non, répondent plusieurs études

Les dommages et intérêts prud’homaux sont-ils un frein à l’embauche ? Non, répond une note rédigée en 2016 par France Stratégie, organisme de réflexion rattaché au Premier ministre, qui constate que les contentieux sont stables et faibles en France. Actuellement, indique France Stratégie, les indemnités prud’homales s’élèvent en moyenne à dix mois de salaire et sont d’un montant moyen de 24 000 euros. Cette moyenne cache cependant des écarts importants. Sur 401 arrêts étudiés par le ministère de la Justice, les montants varient entre 2500 euros et 310 000 euros, pour le plus élevé. Ces grosses indemnités sont accordées à des cadres de haut niveau. « En moyenne, les cadres touchent trois fois plus d’indemnités que les ouvriers et techniciens, et six fois plus que les employés », détaille France Stratégie.
Une note de l’Insee enfonce le clou. L’institut, qui a interrogé 10 000 patrons, a conclu le 20 juin 2017 que le principal frein à l’embauche n’était pas, aux yeux des employeurs, le code du travail, mais un carnet de commande qui peine à se remplir. Quant à l’argument qui prétend que l’existence même de PME serait menacée par ces contentieux en prud’hommes, il est battu en brèche par une étude du ministère de la Justice portant sur 83 jugements prud’homaux rendus entre 1998 et 2008. Cette enquête démontre que les juges prennent en compte la situation économique des employeurs lorsqu’ils statuent sur les indemnités : ce sont les grands groupes qui sont les plus lourdement condamnés – trois fois plus d’indemnités prud’homales en moyenne que les PME.

« Une atteinte particulièrement grave à l’office du juge »

Étienne Deschamps n’est pas le seul à voir d’un mauvais œil la mise en place de ce barème. Le Syndicat des avocats de France (SAF) considère que les ordonnances portent atteinte au droit des salariés à un recours effectif et utile, grâce à la justice prud’homale. Selon le SAF, la baisse du plancher et l’instauration d’un plafond minoré en cas de licenciement consiste à exonérer les entreprises de l’obligation (qui incombe à tout citoyen) d’assumer la responsabilité de ses fautes. Pire, la nouvelle législation leur permettra de provisionner des montants pour budgéter des licenciements potentiellement illégaux – et donc, le cas échéant, de déclencher délibérément ces licenciements abusifs.
De son côté, l’Union des syndicats de la magistrature (USM) rappelle que la réparation intégrale d’un préjudice reconnu par la Justice fait partie des principes fondamentaux du droit français. Or avec les ordonnances, cette réparation sera uniquement indemnisée en tenant compte d’un seul critère : l’ancienneté du salarié. Comme si une personne victime d’un délit ou d’un préjudice n’obtenait des réparations qu’en fonction de son âge ! Cela « porte une atteinte inédite et particulièrement grave à l’office du juge, en limitant de manière drastique l’individualisation des décisions de justice pour réparer complètement la perte injustifiée de l’emploi », estime l’USM. 

Droit à l’erreur pour l’employeur, pas pour l’employé

Plusieurs autres nouveautés ne manqueront pas de susciter l’inquiétude. Comme, par exemple, la possibilité pour le juge de tenir compte des indemnités de licenciement pour déterminer le montant des dommages et intérêts. Au final, par exemple, une jeune salariée embauchée en CDI avec de bonnes conditions, puis abusivement licenciée, risque d’obtenir des dommages et intérêts très faibles à cause de son absence ancienneté, malgré la gravité du préjudice subi. Idem pour une mère seule, avec trois enfants, dont la situation personnelle passera au second plan.
Les employeurs auront également la possibilité d’ajouter a posteriori d’autres motifs dans leur lettre de licenciement. « Le but est d’éviter les condamnations basées sur les imprécisions de l’employeur au moment de la rédaction de la lettre de licenciement », commente Étienne Deschamps. « Le gouvernement estime également que l’employeur, qui n’est pas juriste, a le droit à l’erreur. Un droit qui n’est pas accordé au salarié », poursuit le syndicaliste. Le gouvernement considèrerait-il qu’il existe, d’un côté, des patrons qui se démènent pour créer des emplois et, de l’autre, des salariés procéduriers qui ne pensent qu’à la meilleure manière de se faire indemniser à la moindre erreur ?

Depuis 2008, les délais de recours réduits de 30 ans à... un an !

Le délai de prescription pour saisir les prud’hommes a également été réduit depuis plusieurs années. Jusqu’en 2008, un salarié bénéficiait d’une période de 30 ans pour contester son licenciement et demander le paiement de dommages et intérêts. La loi du 17 juin 2008 a ramené ce délai à cinq ans. En 2013, la loi sur la sécurisation de l’emploi, consécutive à la signature de l’Accord national interprofessionnel (ANI), a réduit le délai à deux ans pour un licenciement pour faute, à un an pour un licenciement économique. Aujourd’hui, le délai de recours serait réduit, pour tous les licenciements, à un an...
« De nombreuses personnes viennent me voir trois ou quatre ans après leur licenciement, et je leur dis que leur affaire est prescrite », témoigne Étienne Deschamps, pour qui l’un des moyens utilisés par les gouvernements successifs pour résoudre les problèmes d’encombrement et de budget de la justice, a été de réduire la capacité des justiciables à la saisir. D’abord en rendant les procédures plus complexes. Pour être entendu par les prud’hommes, un salarié doit déposer un dossier complet, comprenant des arguments de droit. Le formulaire Cerfa comporte six pages compliquées à remplir pour celui qui ne maîtrise pas toutes les subtilités d’un tel document.

Aux prud’hommes, un vrai parcours d’obstacles

Résultat : Une baisse de 41 % des affaires étudiées au conseil des prud’hommes de Paris en 2016, une diminution de 43 % à Roubaix. Une tendance que l’on retrouve au niveau national dans les statistiques du ministère de la Justice. Entre 2009 et 2015, le nombre de nouvelles affaires déposées aux prud’hommes a chuté de 228 901 à 184 096. Les raisons de cette baisse ? La mise en place en 2008 de la rupture conventionnelle de contrat de travail. En huit ans, ce type de rupture a quasiment doublé, passant de 200 000 à 390 000.
La redéfinition de la carte judiciaire opérée en 2010 par la Garde des Sceaux de l’époque, Rachida Dati, a aussi des conséquences sur la baisse du nombre des affaires. 62 conseils des prud’hommes avaient alors été fermés – on en compte 210 aujourd’hui. Dans certaines régions rurales, les salariés sont contraints de faire plusieurs dizaines de kilomètres pour faire valoir leurs droits.
La loi El Khomri est également passée par là. Depuis 2016, les conseillers prud’homaux ont la possibilité d’utiliser un barème indicatif pour fixer le montant des indemnités en cas de licenciement illégal. Compte tenu du montant des honoraires d’un avocat et les indemnités inférieures que les plaignants peuvent parfois espérer, certains salariés licenciés peuvent jeter l’éponge.

Plus de trois ans pour obtenir justice

À cela s’ajoute la baisse des moyens alloués à la justice. Manque de salles disponibles, d’encre et de papier, de greffiers, d’assistants aux greffiers... La justice prud’homale a été concernée par trois lois en moins de dix ans : celle sur la représentativité syndicale votée en 2008, la loi Macron de 2015, notamment son article 258 créant le statut de défenseur syndical, et enfin la loi du 18 décembre 2014 qui enterre définitivement l’élection des conseillers prud’homaux au profit de leur désignation.
Les dernières élections prud’homales se sont tenues en 2008, pour des mandats de cinq ans. Le renouvellement des conseillers était programmé en 2013 mais le dispositif de représentativité patronale n’étant pas prêt, le mandat des conseillers a été prorogé jusqu’à 2015, puis jusqu’au 31 décembre 2017. Soit neuf ans plus tard ! Résultat : certains conseillers, censés ne détenir qu’un mandat de cinq ans, ont déménagé, d’autres sont même décédés.
Tous ces facteurs expliquent l’allongement des délais pour obtenir justice. Les délais les plus longs sont observés à Paris, Bobigny, Nanterre, Lyon, Marseille et Bordeaux, où un quart des affaires sont traitées. Les délais d’attente y sont en moyenne de plus d’un an et demi (20 mois). En 2015, il fallait patienter quasiment trois ans en moyenne à Marseille ou à Meaux (Seine-et-Marne) – parfois avec des délais jusqu’à 43 mois ! – avant que la justice prud’homale soit rendue au tribunal. Quel meilleur moyen de décrédibiliser cette forme de justice ?

« C’est le salarié qui supportera le prix de la perte de son emploi »

La mise en place de ce barème obligatoire contraindra les défenseurs des salariés à travailler les dossiers différemment. Au lieu d’invoquer le licenciement sans cause réelle et sérieuse, il leur faudra trouver des manquements graves de l’employeur dans l’exécution du contrat de travail. « On en trouve tout le temps, sourit Etienne Deschamps. Une fois, j’ai écrit à un employeur : "Vous payez votre salarié 4,75 € de l’heure, cela doit être une erreur". Il me répond : "Elle est à temps partiel". On va aux prud’hommes, et il dit au président, qui était un employeur : "C’est la faute du comptable". Le président rétorque : "Je peux vous dire que vous allez être condamné, donc nous vous conseillons d’essayer de discuter avec le défenseur du salarié." Il n’a pas voulu discuter, il a donc pris plein pot. »
Il cite également l’exemple de cet employé de ménage qui travaillait deux heures par jour dans un grand théâtre parisien. Son employeur cesse, du jour au lendemain, de lui payer ses heures. « Il vient me voir au bout de six mois, on écrit à l’employeur, raconte le syndicaliste. Réponse de l’employeur : une lettre de licenciement pour mauvaise exécution du contrat de travail. » Pour Marie-Laure Morin, ancienne conseillère à la Cour de cassation, en privant le salarié d’une réparation intégrale du préjudice, et en déresponsabilisant partiellement l’employeur qui décide de priver une personne de son travail – et donc de ses moyens de subsistance – « l’institution d’un barème est lourde de conséquences sociales, car malgré la faute de l’employeur, c’est le salarié qui supportera en définitive le prix de la perte de son emploi, ainsi que la collectivité ».