jeudi 28 février 2019

Chômage, vie chère ou pollutions : dix ans après la révolte des Guadeloupéens, l’État n’a pas tenu ses engagements

En janvier 2009, le LKP, collectif contre la « profitation », déclenchait la plus longue grève générale de l’histoire guadeloupéenne : 44 jours pour exiger la fin de l’héritage colonial, responsable de la vie chère. Sous la pression populaire, l’État et les collectivités signaient, le 26 février 2009, un accord instaurant une hausse de 200 euros des bas salaires. Un protocole comportant 165 points d’accord était paraphé par le préfet et les élus locaux. Accès à l’emploi, lutte contre la vie chère, création d’un prix unique de l’eau, indemnisation des victimes de pesticides… Dix ans plus tard, la plupart de ces engagements n’ont pas été respectés. Retour sur une lutte, et sur ses promesses trahies.

mercredi 27 février 2019

L'Humanité sous protection populaire et citoyenne

Organisée par la Société des Lectrices et des Lecteurs de l'Humanité en Isère et soutenu par la fédération de l'Isère du Parti communiste français, la mobilisation exceptionnelle en faveur du journal l'Humanité le dimanche 10 mars 2019 à la salle Ambroise Croizat de Saint-Martin-d'Hères, à partir de 9H30, sera un événement incontournable pour la défense de la pluralité de la presse. L'Humanité est en première ligne pour le combat de l'indépendance de la presse française, et il a besoin de nous aujourd'hui !

Journée interprofessionnelle de grève et de mobilisations le 19 mars

La situation sociale en France est marquée par l’expression diverse et multiple d’un mécontentement social grandissant, par l’aspiration à une véritable justice sociale et fiscale, par la dénonciation des reculs sur les libertés publiques comme individuelles.
Le mouvement des gilets jaunes est l’expression récente de cette profonde crise sociale.
Alors que les annonces faites par le président de la République ou son gouvernement n’ont pas répondu aux attentes, alors que des lois portant atteinte aux libertés syndicales et de manifester sont votées, que les prix des produits de consommation courante continuent à la hausse, que la suppression de l’ISF n’est pas remise en cause, que le chômage progresse… Le « grand débat national » ne peut ni se substituer, ni contourner, encore moins être opposé aux revendications sociales et syndicales.
Pour les jeunes, les difficultés ne cessent de croitre : sélection, réforme du lycée et de la voie professionnelle, hausse des frais d’inscription des étudiant-es étranger-ères hors UE, progression de la précarité étudiante et gel des prestations sociales, ne font qu’attaquer le droit d’étudier.
En parallèle, le patronat, particulièrement celui des grands groupes, porte lui aussi une grande responsabilité dans l’exaspération sociale. C’est dans les entreprises et dans les services publics que les salarié-es sont considéré-es comme un coût et non pour ce qu’ils/elles sont : une richesse. C’est là que les conditions de travail se dégradent.
C’est partout que la précarité s’aggrave...
Dans ce contexte, il s’agit de gagner l’augmentation des salaires, des pensions et des minima sociaux, l’égalité femmes-hommes et un véritable droit à l’éducation et à la formation. Il s’agit aussi de renforcer notre protection sociale et notre système solidaire de retraite par répartition. Il s’agit enfin de répondre aux enjeux climatiques et environnementaux, tout en développant des emplois de qualité… C’est dans ce but que nos organisations appellent à l’élargissement et l’amplification de la mobilisation sociale.
Partout sur le territoire, nos organisations engagent un travail en ce sens via des initiatives diverses dans les entreprises, dans les services publics et en prise directe avec les salarié-es, les retraité-es, les privé-es d’emploi et la jeunesse. Ainsi, nous placerons le débat là où il doit être.
Cette démarche s’inscrit dans le cadre de la construction d’une nouvelle journée d’action, de mobilisation et de grève le 19 mars prochain. Nos organisations -CGT, FO, Solidaires, UNEF, UNL- s’engagent à poursuivre un travail commun donnant des perspectives à la mobilisation sociale. Nos organisations appellent à une puissante journée d’action, de mobilisations et de grève le 19 mars !

mardi 26 février 2019

Communiqué de presse fédération Isère

Communiqué de presse

Cahiers de doléances : L’Isère parmi les départements les plus actifs
Le gouvernement doit entendre les revendications populaires !

Près d’un mois après le lancement du « Grand débat national », le département d’ l’Isère apparaît comme l’un des plus actifs de France, avec 375 cahiers de doléances remis en Préfecture. Les dauphinois s’illustrent une nouvelle fois par leur sens de l’expression, dans la lignée de leurs aïeux de 1788.
Parmi les attentes fortes qui s’expriment, nous pouvons citer l’augmentation des retraites (« Pas de retraite en dessous de 1200€ »), la défense des services publics de proximité, les exigences de préservations de l’environnement, le retour de l’ISF… autant d’éléments qui vont dans le sens de la Justice Sociale, en opposition claire avec les politiques menées par le gouvernement Macron/Philippe.

L’heure est maintenant à entendre ces exigences !

Les communistes appellent le gouvernement à prendre en compte les revendications populaires, en revenant sur les politiques menées depuis le début du mandat, et en renonçant aux réformes antisociales annoncées. En effet, qu’il s’agisse de la réforme des retraites, de la réforme de la Santé ou encore de celle du Service public, les orientations annoncées sont aux antipodes de ce qui s’exprime dans les cahiers de doléances.

Si le « Grand débat » ne devait être qu’une opération d’enfumage, et que les cahiers remplis par les citoyens soient remisés dans un tiroir, c’est par la mobilisation que la voix populaire se fera entendre, et les dauphinois pourront compter sur le soutien sans faille des communistes.

Grenoble, le 26 février 2019

Jérémie GIONO,
Secrétaire départemental

L’Allemagne renonce enfin au charbon et sauve une forêt millénaire menacée par une multinationale

La forêt de Hambach, dans l’ouest du pays, menacée par l’extension d’une mine de lignite, sera sauvée, au moins jusqu’à 2020. Une belle victoire pour ses défenseurs, dont la lutte est devenue emblématique du mouvement climatique allemand. La commission chargée de plancher sur une sortie du charbon, qui fournit de l’électricité à plus d’un tiers de la population, a également annoncé une date pour l’arrêt définitif de son extraction et de sa combustion : 2038. La reconversion de l’industrie et de ses salariés ainsi que le développement des énergies renouvelables pour remplacer le très polluant charbon devraient coûter 80 milliards d’euros.

lundi 25 février 2019

Les permis d’exploration minière menacent désormais 3000 km2 de forêt guyanaise

Iamgold, Goldinvest, Sudmine, projet de la Montagne d’or... Depuis 2017, le gouvernement français ne cesse d’accorder de nouveaux permis d’exploration à des sociétés minières en Guyane. Au point que 300 000 hectares de forêts tropicales y sont désormais menacés de destruction, soit l’équivalent d’un département comme le Rhône. Une politique non seulement contraire aux engagements de la France, mais aussi combattue par les populations locales et par les ONG. « Il ne sert à rien de faire de nouvelles mines d’or, alerte pourtant un ingénieur. C’est une pure logique d’enrichissement des entreprises qui obtiennent ces concessions. »
Une partie de la Guyane va-t-elle se transformer en gruyère, au gré des forages et de l’implantation de sites d’extraction minière ? Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement ne cesse d’accorder des permis d’exploration minière en Guyane. Dès le 27 juillet 2017, il autorise la société minière canadienne Iamgold à y rechercher de l’or, de l’argent, du cuivre ou du zinc. Le 17 novembre de la même année, c’est cette fois la société Goldinvest, filiale d’un groupe immobilier, qui se voit attribuer un permis similaire.
Depuis, la liste s’est encore allongée : le 8 août 2018, Iamgold obtient un autre permis exclusif pour la recherche d’or. Puis le 11 septembre, le ministre de l’Économie et des finances attribue le « permis de Kourou » à la société Sudmine, une petite holding basée dans le Loiret [1]. Il s’agit d’un permis de recherche concernant plusieurs métaux : le tantale (un minerai utilisé dans l’électronique), le niobium (un métal rare présent dans de nombreux alliages), le lithium (pour les batteries), le béryllium (pour l’industrie nucléaire), l’étain, le tungstène, le titane et l’or.

Un territoire grand comme le département du Rhône livré à l’exploration minière

L’attribution du permis à Sudmine « nous fait dépasser, en "Amazonie Française" la surface record de 300 000 hectares de forêts tropicales humides sous cloche du lobby minier industriel », s’insurgent les collectifs Or de question et Sauvons la forêt, mobilisés en particulier contre le projet d’une mine d’or gigantesque en Guyane : la Montagne d’or (lire notre article qui lui est consacré). 300 000 hectares, c’est l’équivalent du département du Rhône qui pourrait ainsi être ravagé par l’extraction minière. Les deux collectifs décident alors de remettre à Emmanuel Macron - qui a été désigné « champion de la terre » par le programme des Nations-Unies pour l’environnement - le titre de « champion du cynisme décomplexé ! » En octobre 2018, Total décroche un nouveau Graal : une autorisation d’ouverture de travaux miniers pour la réalisation de cinq forages d’exploration pétrolière au large des côtes guyanaises.
« Ce projet est en totale contradiction avec l’Accord de Paris, la loi Hulot pour la sortie des hydrocarbures et les prescriptions du groupe d’experts pour le climat (GIEC) qui nous enjoint à maintenir les énergies fossiles dans le sol pour éviter l’emballement du réchauffement climatique », s’indigne le collectif Stop pétrole offshore Guyane [2]. Ce permis minier fait d’autant plus débat que l’enquête publique réalisée pendant l’été a recueilli 99,86 % d’avis défavorables [3] ! Total pourrait déposer une demande de permis d’exploitation d’ici le 1er juin 2019.

« Le ministère de l’industrie sert de chambre d’enregistrement »

« En Guyane, il y a beaucoup de demandes de renouvellement de concessions aurifères, étant donné qu’un grand nombre d’entre elles sont arrivées à échéance fin 2018, remarque un ingénieur minier. Vue la dynamique actuelle, elles vont être accordées. Quand on fait le bilan en Guyane, on constate que la Dreal (direction régionale de l’environnement, de l’emménagement et du logement, ndlr) et le ministère de l’Industrie servent simplement de chambres d’enregistrement. » Au regard de cette grande complaisance, les divers obstacles auxquels le projet de la montagne d’or est actuellement confronté font figure d’exception.
En visite en Guyane alors qu’il était candidat à l’élection présidentielle, Emmanuel Macron avait affirmé son soutien à ce projet de méga-mine, promettant qu’il serait conforme au concept de mine « responsable », qui ne manquerait pas d’être inclus dans le code minier réformé. Mais la réforme promise n’a pas eu lieu. Et le projet de livre blanc est pour le moment au point mort [4]. Un sondage réalisé en juillet 2018 révèle encore que sept Guyanais sur dix sont opposés au projet.
Le collectif qui combat le projet, particulièrement dynamique, vient d’obtenir une victoire : le juge administratif a donné raison à l’association Maïouri nature Guyane, qui avait déposé un recours contre l’autorisation de travaux miniers sur la concession de la compagnie Montagne d’or [5].

L’Onu rappelle la France à l’ordre concernant la prise en compte des peuples autochtones

Le 10 janvier dernier, une autre difficulté s’est dressée face à la mine : le comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’Onu a sommé la France de prendre en compte l’avis des populations autochtones sur ce projet gigantesque [6]« Jusqu’alors, notre opposition a été totalement ignorée », remarque Alexis Tiouka, juriste et membre de l’organisation des nations autochtones de Guyane (Onag). « C’est la première fois que la France est rappelée à l’ordre pour un manque de respect des droits autochtones », ajoute-t-il. Le gouvernement doit se prononcer sur le sujet avant le 9 avril. Rappelons que la France est signataire de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée par une large majorité d’États en 2007.
« La commission nationale consultative des droits de l’homme a aussi demandé au gouvernement français de travailler avec les experts des peuples autochtones, précise le juriste. Nous attendons également que le gouvernement se prononce sur l’interdiction du cyanure réclamée par le député de Guyane Gabriel Serville, sachant que sa proposition de résolution a été cosignée par 65 députés. » Huit tonnes de cyanure pourraient être utilisées chaque jour sur le projet de la Montagne d’or... « On attend la position du gouvernement sur ces trois décisions, confirme Alexis Tiouka. Cela pourrait faire jurisprudence pour la Guyane, qui a un statut particulier sur les mines. »

« Il ne sert à rien de faire de nouvelles mines d’or »

Le 7 février dernier, lors d’un débat qui s’est tenu à l’Assemblée nationale à propos de la Montagne d’or, le ministre de l’écologie François de Rugy a expliqué que le gouvernement trancherait d’ici le mois de juin, annonçant que lui-même se rendrait sur place d’ici là. « Aucun message politique ne dit qu’il faudrait freiner l’activité minière ou l’encadrer davantage », regrette un membre de l’ONG Ingénieurs sans frontières.
« On entend que les mines sont une priorité de l’État, mais pour quoi faire ? Où est le cahier des charges qui définirait les besoins en métaux rares et la feuille de route sur le sujet ? Si on avait un tel document, on verrait rapidement que nous n’avons pas besoin d’or », ajoute l’ingénieur. L’or sert notamment dans l’aéronautique, l’aérospatial et la médecine. Or, « les stocks actuels et la filière de recyclage couvrent amplement les besoins industriels du monde entier, poursuit ce membre d’Ingénieurs sans frontières. Il ne sert à rien de faire de nouvelles mines. C’est une pure logique de création de capital, et d’enrichissement des entreprises qui obtiennent ces concessions. » Aux dépens, une fois de plus, de l’environnement et des populations.

dimanche 24 février 2019

Chauffage, transport, alimentation : comment les grandes entreprises entravent la transition écologique

Pendant que le « grand débat national » met l’accent sur le rôle des individus dans la transition écologique, celui des grandes entreprises est largement laissé de côté. Au même moment, Total est autorisée à forer au large de la Guyane, l’industrie automobile pousse au développement de mégas 4x4, EDF continue de retarder l’essor des renouvelables et la grande distribution s’approvisionne massivement auprès d’exploitations agro-industrielles. Basta ! fait un passage en revue de secteurs où les multinationales françaises, avec l’appui des pouvoirs publics, bloquent ces changements qui deviennent chaque jour plus urgents.
Les solutions pour faire face au changement climatique reposent-elles avant tout sur les individus ? C’est l’orientation donnée par le « grand débat national », lorsque l’on se penche sur le questionnaire relatif à la transition écologique rédigé par le gouvernement. Chacun est incité à passer à un véhicule plus propre et moins coûteux à l’usage, à réduire sa facture de chauffage et d’électricité, à isoler son logement... Les devoirs des entreprises sont, eux, relégués en arrière-plan [1]. C’est oublier un peu vite le rôle déterminant des plus grandes et des plus puissantes d’entre-elles. Nous l’écrivions déjà en 2013 : deux tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre accumulées dans l’atmosphère depuis le début de la révolution industrielle ont été causées par seulement... 90 entreprises ! A l’exception de sept entreprises productrices de ciment, ce sont toutes des compagnies énergétiques produisant du charbon, du pétrole et du gaz.
Leurs dirigeants ont une réponse toute prête : derrière ce ciment, ce charbon, ce pétrole ou ce gaz, il y aurait, en dernière instance, des choix de consommation individuels, qu’ils soient directs – pour se déplacer ou chauffer son logement – ou indirects – via les produits que nous achetons. Peut-être. Mais les consommateurs n’ont en réalité que les choix qui leur sont effectivement offerts. Et les multinationales ont tout fait, depuis des années, pour bloquer toute politique ambitieuse, que ce soit au niveau français ou européen, qui s’attaquerait aux émissions de gaz à effet de serre à la racine, en les obligeant à changer de modèle ou en favorisant l’émergence d’alternatives. Même la fiscalité écologique demeure très largement supportée par les ménages modestes, tandis que les grandes entreprises polluantes ou les utilisateurs de kérosène en sont largement exonérés.

En amont des stations service, Total freine la transition vers les énergies renouvelables

Pour alimenter les stations-service françaises, Total, cinquième plus grande compagnie mondiale de pétrole et de gaz, exploite des sources d’énergies parmi les plus polluantes, comme le gaz de schiste et le pétrole issu des sables bitumineux au Canada. Loin de se préparer à une fin progressive des hydrocarbures pour préserver le climat, la multinationale française affiche aujourd’hui sa volonté d’aller forer toujours plus loin et plus profond, quitte à fragiliser l’Arctique, à menacer des parcs naturels africains ou à multiplier les risques de marée noire en forant les sous-sols océaniques au large du Brésil. Et le gouvernement facilite la tâche du pétrolier : le 23 octobre dernier, il lui a accordé une licence pour procéder à des forages offshore au large de la Guyane. La France a pourtant officiellement voté la fin de l’exploitation des hydrocarbures sur son territoire, y compris d’outre-mer, d’ici 2040...
Faut-il, dans ces conditions, s’étonner que le bilan carbone de Total soit catastrophique ? Selon un rapport publié en juillet 2017 par l’ONG Carbon Disclosure Project, Total est le 19ème plus gros pollueur mondial. Sur la période allant de 1988 à 2015, la compagnie pétrolière est responsable de 0,9% des émissions industrielles de gaz à effet de serre. Pour l’année 2015, le groupe français a émis – directement ou indirectement – environ 311 millions de tonnes en équivalent CO2 dans les quelque 130 pays où il est implanté. Soit l’équivalent des deux tiers des émissions en France ! [2] De Paris à Washington en passant par Bruxelles, Total continue de faire pression avec le reste de l’industrie pétrolière pour freiner une véritable transition vers les énergies renouvelables ou empêcher toute régulation contraignante en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Douze maires français menacent d’ailleurs de poursuivre Total en justice pour sa responsabilité dans l’inaction politique face à la crise climatique. Plusieurs villes américaines ont déjà entamé de telles poursuites.

Fer de lance du chauffage électrique, EDF retarde aussi la transition énergétique

Autre point clé du questionnaire du grand débat national : le chauffage. Plus de neuf millions de logements français se chauffent aujourd’hui à l’électricité, soit autant que dans tout le reste de l’Europe ! Pourquoi cette passion française pour les radiateurs électriques très coûteux, polluants et inefficaces ? Elle est liée au programme nucléaire et à une politique privilégiant l’électricité, lancés par le gouvernement dans les années 1970 alors que les coûts du pétrole s’envolaient (notre enquête).
Depuis un demi siècle, EDF n’a jamais cessé de défendre l’atome. Aujourd’hui encore le coût du nucléaire est la principale explication du retard français en matière d’énergies renouvelables. EDF voit dans les renouvelables un simple complément au nucléaire. Lors de la préparation de la loi sur la transition énergétique, l’entreprise est parvenue à noyauter totalement le débat (notre enquête) et à retarder considérablement les objectifs de sortie de l’atome et de fermeture de la centrale de Fessenheim.
Initialement prévue pour 2025, la réduction à 50% (au lieu de 72%) de la part d’électricité issue de l’énergie nucléaire a été reportée par le gouvernement à 2035. Dans le même temps, EDF fait pression pour maintenir ses centrales à charbon en activité, au nom du maintien de l’emploi, en refusant d’assumer la responsabilité de la reconversion de ses installations polluantes. Un document interne de BusinessEurope, le plus important lobby patronal européen, montre comment les multinationales comme EDF ou Engie s’opposent, pour préserver leurs profits, à tout objectif climatique plus ambitieux au niveau de l’Union européenne. Face à ces blocages, de nombreux collectifs citoyens mais aussi des collectivités développent l’autonomie énergétique à l’échelle de leur territoire.

L’industrie automobile pousse au développement des SUV, gros consommateurs de carburant

La France a longtemps été, aussi, la championne européenne du diesel, encouragée depuis les années 1980 par les responsables politiques, industriels et professionnels du transport. Suite au scandale du « Dieselgate » en septembre 2015 chez Volkswagen [3], il apparait très vite que d’autres constructeurs automobiles sont impliqués, dont Renault puis PSA. En dépit des incertitudes sur les émissions réelles des voitures, les coûts sociétaux associés à la pollution de l’air générés par les véhicules de Renault (dépenses d’assurance maladie, mesures de prévention de la pollution...) ont été estimés à 153 millions d’euros en 2016 [4].
Si les véhicules diesel n’ont plus la cote, les constructeurs automobiles – dont Renault et PSA – inondent désormais le marché européen avec les SUV (Sport Utility Vehicles), croisement entre 4x4 et monospace (35 % des ventes en 2018). Or, ces modèles étant plus lourds, leur consommation en carburant est très élevée. Prenant plus d’espace car plus longs et plus larges, ils posent également problème en ville. En parallèle, les constructeurs délaissent les petites citadines.

Fortes incitations à l’achat de véhicules électriques, dont on ignore la consommation réelle

Résultat de la crise du diesel et du développement des SUV : les émissions de CO2 des constructeurs comme Renault et PSA sont reparties à la hausse. Toute l’industrie automobile a passé l’année 2018 à essayer de bloquer les ambitieux objectifs de réduction proposés par l’UE à l’horizon 2030. Les citoyens sont-ils en mesure d’inverser cette situation ? Pour l’heure, le gouvernement incite à s’équiper en véhicules électriques et vise les 1,2 million dès 2023 (contre 43 000 en 2017). Problème : personne ne connaît les consommations réelles de ces véhicules. Après les scandales sur le diesel, faut-il vraiment faire confiance aux données fournies par les constructeurs de véhicules électriques ?
Présenté comme « propre », le véhicule électrique requiert la consommation de minerais, en particulier du cobalt pour les batteries. En amont de la chaine de fabrication, des milliers d’enfants travaillent ainsi dans des mines de cobalt de la République démocratique du Congo. Par ailleurs, la voiture électrique ne résout pas les problèmes de pollution et d’émissions liés au freinage et aux pneus. Le gouvernement, en donnant la priorité au véhicule électrique et en subventionnant allégrement les industriels, écarte tout autre scénario pour une vraie politique de mobilité et transport alternative [5]. Au contraire : il continue à favoriser la construction de nouvelles autoroutes un peu partout en France, pour le plus grand profit des groupes de BTP comme Vinci.

Isolation du logement : les fournisseurs historiques de l’énergie épinglés pour leurs mauvaises pratiques

Le gouvernement affiche l’objectif de 100 000 logements HLM annuels rénovés par les bailleurs sociaux, et 250 000 logements particuliers rénovés par an. Plusieurs aides à la rénovation énergétique sont mobilisables. Mais qu’en est-il des pratiques d’EDF et Engie, les plus gros producteurs et fournisseurs d’énergie en France, devenus aussi les principaux maîtres d’œuvre des économies de chauffage dans les bâtiments ? Selon une étude menée par des professionnels du secteur sur une centaine d’appels d’offres publics, entre 2012 et 2014, portant sur les marchés de services énergétiques, EDF et Engie, ont remporté 78 % des contrats. Or, comme le montre cette enquête de Mediapart, il est difficile de vendre tout et son contraire dans un même contrat. Pour la Coalition France pour l’efficacité énergétique (CFEE), qui regroupe des entreprises, associations, copropriétaires et consommateurs, il est urgent de séparer la fourniture d’énergie de la prestation d’efficacité énergétique.
Quant au secteur de l’immobilier et du BTP, il a d’autres priorités - notamment celle de tirer le maximum de profits possibles des chantiers du « Grand Paris » et de la hausse du prix des logements qui en découlera. Ceci au prix d’une nouvelle vague de bétonage autour de la capitale, contribuant à aggraver les émissions de gaz à effet de serre et les conséquences du réchauffement climatique comme les îlots de chaleur urbain.
A leur échelle, des pionniers de la transition tentent de prendre les choses en main. La paille, matériau isolant bon marché, abondant, peu polluant et ultra-performant, s’invite désormais dans les bâtiments publics grâce à quelques élus volontaristes. Construction de maison écologique à petit prix grâce à l’ « open source », développement de projets d’habitat coopératifcentre d’expérimentation pour apprendre à éco-construire... Les initiatives foisonnent partout en France. Même en ce qui concerne l’un des projets emblématiques du Grand Paris, EuropaCity, agriculteurs et militants écologistes ont uni leurs forces pour élaborer un projet alternatif détaillé.

L’élevage industriel, responsable de 15 % des émissions dans le monde

Qu’en est-il de la consommation au quotidien, comme les simples achats alimentaires dans les supermarchés ? La grande distribution continue de s’approvisionner massivement auprès d’exploitations industrielles. Celles-ci émettent des gaz à effet de serre – par exemple via le recours massif à des engrais chimiques – et réduisent le stockage de CO2 dans les sols. Au contraire de l’agriculture biologique aujourd’hui délaissée par le gouvernement.
L’élevage en particulier (viande et lait), contribue de manière significative au réchauffement des températures globales, notamment à cause de la déforestation et autres changements d’utilisation des terres qu’il implique. Selon un rapport de l’ONG Grain, l’élevage industriel serait responsable d’environ 15% des émissions de gaz à effet de serre. Grain a également calculé les émissions des 20 plus importants producteurs mondiaux de viande ou de lait, parmi lesquels le groupe français Lactalis, avec 24 millions de tonnes de carbone par an. En juillet 2018, l’ONG publiait de nouvelles données révélant que les cinq plus grandes entreprises de production de viande et de produits laitiers dans le monde (JBS au Brésil, Dairy Farmers of America, Tyson et Cargill aux États-Unis, et Fonterra en Nouvelle-Zélande) étaient responsables de plus d’émissions annuelles de gaz à effet de serre qu’ExxonMobil, Shell ou BP.
Face à une grande distribution à la traine sur la transition agroécologique, les citoyens créent là encore leur propre supermarché bio, des coopératives alimentaires, encouragent l’agriculture biologique et locale dans les cantines, soutiennent la permaculture et l’agriculture sans pesticide, misent sur l’autonomie alimentaire...
Et si le gouvernement et les multinationales cessaient de vouloir donner des leçons aux citoyens en matière de transition écologique, et commençaient à répondre à leurs interpellations, à s’inspirer de leurs initiatives et surtout à les soutenir ?

samedi 23 février 2019

Une politique migratoire aux allures de « chasse à l’homme » à la frontière franco-italienne

Ce sont 144 pages qui indignent. Elles décrivent la politique migratoire mise en œuvre par la France à la frontière franco-italienne, de Menton à Chamonix : non respect des droits essentiels des personnes, violations de traités signés par la France, indifférence et mépris pour les mineurs isolés et les réfugiés qui ont besoin de soins, militarisation à outrance de la frontière, harcèlement des personnes solidaires... Telles sont les observations réalisées pendant deux ans par l’Anafé, l’association qui publie ce rapport sans concession.
Des allures de vaste « chasse à l’homme » : c’est ce à quoi ressemble la politique sécuritaire et migratoire mise en œuvre à la frontière franco-italienne. Une « chasse à l’homme » qui cible plusieurs dizaines de milliers de personnes chaque année, dont des enfants, à qui on refuse l’entrée sur le territoire au mépris de leurs droits les plus essentiels. Depuis 2016, l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé) collecte des témoignages, mène des enquêtes de terrain, observe, constate, échange et travaille avec des associations locales, de Menton à Chamonix, en passant par la vallée de la Roya, le col de Montgenèvre ou le tunnel de Fréjus. Le résultat est édifiant : un rapport de 144 pages, intitulé Persona non grata publié ce 21 février, qui documente l’ensemble des violations de droits perpétrées par l’État français à l’encontre des personnes migrantes qui tentent de traverser la frontière [1].

Emmenés au commissariat à 17h13, expulsés à 17h15

Les personnes interpellées se voient le plus souvent prononcer un « refus d’entrée » : un formulaire administratif rempli à la va-vite par un CRS ou un gendarme, sur un parking ou un quai de gare, sans même un passage par les locaux de la Police aux frontières (PAF), ni d’interprète pour les personnes ne maîtrisant pas le français, encore moins d’examen approfondi de la situation des réfugiés. Rien que dans les Alpes-Maritimes, 44 433 refus d’entrée ont ainsi été prononcés, souvent de manière expéditive, en 2017 (une même personne peut être concernée par plusieurs refus d’entrée quand elle tente de repasser la frontière), et 7000 en Haute Maurienne, en Savoie !
« Le 17 mars 2018, cinq personnes, dont une avec une jambe cassée, ont été emmenées par les CRS à 17h13 au poste de la PAF de Menton Pont Saint-Louis. Elles ont attendu à l’extérieur du poste. À 17h15, soit trois minutes après leur arrivée, les cinq personnes ont été refoulées en Italie, munies d’un refus d’entrée qui leur a été donné en-dehors du poste », notent des observateurs lors d’une mission conjointe avec Amnesty international et Médecins du monde. Ces témoignages sont légion.

Pas d’accès à un médecin, encore moins à un avocat

Pas question pour ces personnes de pouvoir accéder à un médecin, qu’elles soient blessées, malades ou sur le point d’accoucher. Pas question non plus pour elles d’avoir accès à un conseil (assistance juridique, avocat…) ni de respecter le droit au jour franc, qui permet à une personne qui le demande de ne pas être refoulée avant 24 heures afin de pouvoir exercer les droits prévus par la loi. Ces pratiques « mises en œuvre par la France à la frontière franco-italienne depuis 2015 représentent un non-respect ou des violations des conventions internationales ratifiées, de la Convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales, du code frontières Schengen et des accords de coopération avec l’Italie », rappelle l’Anafé. Quand il s’agit de migrants, les textes signés par la France ne semblent plus valoir grand-chose.
Pour les enfants, c’est pareil. Ce ne sont pas des personnes mineures à protéger, mais des menteurs à refouler d’urgence : « On est allés au poste. On est rentrés dans les bureaux. On a été fouillés », raconte un adolescent, interpellé à Clavière, près du col de Montgenèvre. « Le policier me bousculait. Ils ont pris mon téléphone mais me l’ont rendu ensuite. Ils ont pris mon empreinte. Le policier a pris ma main de force pour la mettre sur la machine. Ils étaient plusieurs autour de moi. Un policier m’a demandé ma nationalité, mon âge. J’ai dit que j’avais 16 ans. Ils ont dit que je ne suis pas mineur. Ils ont changé ma date de naissance. Le policier a signé le document à ma place parce que je ne veux pas retourner en Italie. J’ai dit : “Je veux rester en France, je veux aller à l’école pour pouvoir me prendre en charge”. Mais ils ne voulaient rien comprendre. »

Militarisation « impressionnante » de la frontière

Le rapport de l’Anafé décrit également la militarisation « impressionnante » de la frontière. La présence des force de l’ordre – militaires, compagnies républicaines de sécurité (CRS), gendarmes, police nationale, police aux frontières... –, souvent lourdement armées, équipées de lunettes de vision nocturne ou de détecteurs de mouvement, sature l’espace frontalier, gares, routes ou chemins de randonnées. Ce qui créée une ambiance bien particulière : « Quelques minutes avant l’arrivée du train, dix gendarmes et quatre militaires lourdement armés se présentent sur le quai. Le train s’arrête, certains montent de chaque côté et se rejoignent au centre du train. Une personne sort escortée par les gendarmes », décrivent des observateurs en gare de Breil-sur-Roya, au nord de Menton (Alpes-Maritimes).
« Pendant ce temps, les forces de l’ordre restées sur le quai observent les passagers qui descendent. Une personne qui semble d’origine africaine descend, un gendarme lui dit « bonjour », la personne répond « bonjour », dans un français parfait. Nous nous interrogeons sur le fait que les forces de l’ordre ont dit bonjour uniquement à cette personne alors qu’elles étaient une dizaine à descendre du train. » Une scène digne du film La Grande Evasion.
Ce déploiement militaire à la frontière, rien que pour la vallée de la Roya, coûterait 1,8 million d’euros par mois, près de 22 millions par an, selon le chercheur Luca Giliberti [2]. La vallée ne représente pourtant qu’une petite partie de la frontière franco-italienne, qui s’étend sur 515 kilomètres en tout. Cette militarisation, ces pratiques de « chasse à l’homme » permanentes, poussent aussi les personnes migrantes à prendre de plus en plus de risques pour traverser la montagne et tenter d’esquiver les patrouille, pour simplement être en mesure de faire valoir leurs droits bafoués.

Un jeune Guinéen mort d’hypothermie après avoir été refoulé

Les corps de jeunes Guinéen et Sénégalais ont déjà été retrouvés, tués après avoir chuté dans un ravin. « Le 25 mai 2018, à Bardonecchia (Italie), un corps est retrouvé dans un état de décomposition avancée. Son identité est retrouvée par la police italienne grâce à un reste de peau et une enquête est ouverte : il s’agit d’un jeune Guinéen souffrant de poliomyélite, refoulé le 26 janvier par les autorités françaises, à 10 kilomètres de Bardonecchia. Il est décédé d’hypothermie », illustre l’Anafé. Deux semaines plus tôt, c’est le corps d’une Nigériane, Blessing Matthew, qui est retrouvée par des agents EDF dans la Durance, qui prend sa source à Montgenèvre. Toujours en mai, entre Montgenèvre et Clavière, un jeune sénégalais est retrouvé mort par des randonneurs. Épuisé, il serait tombé d’une falaise.
Face à cette situation scandaleuse qui dure depuis trois ans, « l’Anafé ne peut que déplorer la difficulté à entrer en dialogue avec plusieurs autorités françaises tant au niveau local qu’au niveau national. Les droits fondamentaux, la fraternité et la solidarité ont été relégués au second plan, en violation des engagements internationaux, européens et nationaux. » Les seuls qui sauvent l’honneur d’une politique en perdition à la frontière franco-italienne sont les milliers de bénévoles, de militants associatifs qui font vivre « les valeurs d’humanité, de solidarité et de fraternité » en venant en aide aux victimes de cette « chasse à l’homme ». Mais elles aussi sont désormais la cible de harcèlements, de violences, et poursuivis pour « délit de solidarité ». Elles sont devenues des « militants politiques qu’il faut museler ».

vendredi 22 février 2019

PÉDOPHILIE. L’ÉGLISE CATHOLIQUE NE FAIT PLUS VŒU DE SILENCE

À la suite de la multiplication des affaires d’agressions sexuelles impliquant des prêtres dans la dernière décennie, le Vatican organise à partir d’aujourd’hui une rencontre historique pour combattre ce fléau.
Le silence n’est plus d’or en l’Église. Un sommet crucial se tiendra au Vatican, à partir d’aujourd’hui et jusqu’à dimanche. Il portera sur « la protection des mineurs dans l’Église ». Preuve que celle-ci semble prête à se réformer, un acte fort et symbolique a été produit en amont de cette rencontre qui rassemblera les 190 dirigeants des Églises nationales et orientales. Samedi, Theodore McCarrick, 88 ans, ancien cardinal états-unien, a été défroqué, rendu à l’état laïc, par le pape François. Le prélat était accusé d’abus sexuels sur mineur, il y a près de cinquante ans.
Cette histoire est l’une parmi des milliers mises au jour ces dernières années, et qui poussent aujourd’hui l’Église, sous la pression d’opinions publiques révulsées, à se transformer. Aux États-Unis, où les affaires d’abus défraient la chronique depuis trente  ans, le quotidien Boston Globe avait révélé, dès 2002, que la hiérarchie avait couvert des affaires concernant cinq prêtres qui ont finalement eu affaire à la justice. Cela conduisit à l’installation d’une commission nationale. Celle-ci a permis de mettre en place des procédures pour faire face aux plaintes. Pour autant, l’Église américaine n’en a pas fini avec les affaires : un récent rapport a montré qu’un millier d’enfants avaient été victimes d’abus sexuels en Pennsylvanie.

En Europe, l’ampleur des affaires n’a été révélée que depuis dix ans

Dans la très catholique Irlande, les premiers cas de viols et agressions ont été médiatisés dans les années 1990. Les enquêtes ont montré combien l’institution avait gardé les choses secrètes. En Australie, en Allemagne, où, selon une enquête universitaire publiée en septembre dernier, 3 677 mineurs ont été victimes d’abus, l’Église a été conduite à se pencher sur le phénomène. Dans plusieurs de ces pays, des codes de conduite, des procédures ont été mis en place. Mais rien n’a encore été réellement fait au niveau mondial, alors qu’il n’a été pris conscience de l’ampleur du fléau, en Europe, que depuis une dizaine d’années.
Officiellement au moins, l’heure n’est plus à la dissimulation. « Le silence n’est plus acceptable », a proclamé lundi l’archevêque de Malte, Charles Scicluna. Samedi, au troisième jour de la réunion, les travaux porteront sur les manières de rompre le silence. Les mots d’ordre sont, selon le prélat maltais qui s’est exprimé lors d’une conférence de presse, la « responsabilité » et la « transparence ». La réunion devrait déboucher sur des procédures et des directives adressées aux évêques.

François a entrepris une réforme de la curie

Avant même l’élection du pape François, le 17 décembre 2013, le Vatican avait commencé à prendre les devants. Depuis 2001, sous Jean-Paul II, les évêchés ne peuvent plus traiter les affaires de viols et agressions sexuelles en interne. Ils doivent en référer à la curie, le gouvernement de l’Église. Si ce sommet est historique, une circulaire de la Congrégation de la doctrine de la foi, qui a eu l’imprimatur de Benoît XVI, l’était tout autant. En décembre 2011, le Vatican adoptait une politique de « tolérance zéro » et estimait que les abus sexuels ne relevaient plus du droit canon, mais de la justice des hommes.
La réunion qui s’ouvre aujourd’hui illustre le cap que s’est fixé le pape François au début de son pontificat : que les Églises renouent avec leurs peuples. Originaire du continent latino-américain, où l’Église romaine est concurrencée par les cultes évangélistes protestants, il s’est donné pour mission de s’adresser aux plus démunis, d’où ses envolées contre la prédation de la finance. « L’Église doit sortir dans les rues, chercher les gens, aller dans les maisons, visiter les familles, se rendre dans les ­périphéries », prêchait-il en juin 2014. Il a, depuis, fait enquêter sur les finances ­vaticanes, la banque pontificale étant engoncée dans les scandales financiers. Surtout, il a amorcé un virage : l’Église doit s’adresser à la société telle qu’elle est. Son « Qui suis-je pour juger ? » s’adressant à un homosexuel est resté dans les mémoires. De même, il s’est dit prêt à examiner l’accès à la communion des personnes divorcées et remariées. Il a également facilité les procédures de nullité matrimoniale (le divorce catholique).
Pour redorer le blason de l’Église, son grand chantier est d’en finir avec les « ravages du cléricalisme ». Dans cette optique, il a entrepris une réforme de la curie que les plus conservateurs, au sein du Vatican, freinent des quatre fers. Au début de son pontificat, en 2014, le pape dénonçait les « quinze maladies curiales ». Parmi elles, l’indifférence aux autres, l’accumulation, la vie en cercles fermés, la « schizophrénie existentielle », certains prônant le contraire de ce qu’ils font. Il appelait les prélats à redevenir des pasteurs.

Les mesures prises ne permettent pas de prévenir les abus sexuels

Pour Jorge Bergoglio, la pédophilie dans l’institution est rendue possible par le cléricalisme, la domination de la hiérarchie catholique sur les laïcs. Si les mesures prises permettent de traiter les abus sexuels commis, elles ne permettent pas de les prévenir. Pour ce, il y a besoin d’une révolution culturelle. C’est, pour le pape, le système clérical qui a encouragé « une loyauté mal placée ». En août 2018, dans une lettre au peuple de Dieu, il dénonçait un cléricalisme qui générait des « petites élites », et partant « une scission dans le corps ecclésiastique qui (fomentait) et (aidait) à perpétuer les nombreux maux qu’on dénonce aujourd’hui ».
Outre les abus sur mineurs, ces dernières années, on a vu combien le système hiérarchique, quasi sacré au sein de l’Église, avait été source de toutes les dérives, des nourrissons enlevés à leurs mères célibataires en Irlande, dans les années 1960, aux religieuses violées dans les couvents aux quatre coins du monde encore de nos jours.

jeudi 21 février 2019

RASSEMBLÉS CONTRE LA HAINE

Élus du champ républicain et citoyens se sont rassemblés en nombre place de la République le 19 février au soir pour témoigner de leur refus de l’antisémitisme.  
Au milieu de la foule massée sur la place de la République, Marie-France tenait à être présente ce soir là. De confession juive, la jeune femme de 22 ans confie son inquiétude face à la montée des violences antisémites. « Je n’ai aucune autre réponse que d’être là ce soir », souffle-t-elle. Son amie Candice, qui l’a accompagné ce soir, se dit également touchée par le climat de haine qui caractérise les dernières semaines.  Le « front uni » des partis politiques ? Ni l’une ni l’autre ne souhaite le commenter. « Il serait de toute façon mal venu de pas afficher l’unité… », laisse simplement entendre Candice. Parmi les élus de toutes obédiences, à l’exception de ceux d’extrême-droite, Ian Brossat, tête de liste des communistes pour les élections européennes et maire-adjoint de Paris est venu accompagné de parlementaires PCF, dont le secrétaire national du parti et député du Nord Fabien Roussel ainsi que  du président de son comité de soutien Lassana Bathily. Un symbole fort puisque ce dernier est le héros de l’Hyper casher, théatre de la sanglante attaque antisémite perpétrée le 9 janvier 2015. « C’est une réaction salutaire », estime le candidat PCF jaugeant le nombre imposant de participants. « Elle témoigne d’un rejet massif de l’antisémitisme et de toutes les tentatives visant à instiller le venin de la haine et de la division au sein de notre peuple. Devant les membres du gouvernement et un parterre d’élus en écharpe installés sur une scène, Robert tend une pancarte sur laquelle est inscrit « Il n’y a pas de mais ». Le retraité explique : « Dans une telle situation, aucun « mais » n’est tolérable, aucune justification n’est acceptable. Racisme, antisémitisme, sexisme … Il ne faut pas transiger. » Un avis partagé par Samir, kiosquier à Barbès, qui se dit choqué par les violences perpétuées à l’encontre de juifs ces dernières semaines. « Face à la montée du rejet, que ce soit celui du judaïsme, de l’islam ou de n’importe quelle religion, il faut faire front. Dans mon quartier, des gens de toutes confessions cohabitent, en harmonie. Oui, il est possible de vivre ensemble ! »
 
Sur la scène, un rabbin prend la parole : « Le combat n'est pas seulement celui des juifs mais de la France entière. (Ces actes sont) un test de sa dignité et de sa grandeur ». Peu après, c’est au tour du chanteur Abd-Al-Malik de marteler : « C'est important que nous soyons tous là pour dire vive la France unie et débarrassée de ses peurs », avant que des collègiens ne récitent des textes de  Franz Fanon, Georges Moustaki ou encore Simone Veil, particulièrement applaudie. «  Les enfants sont venus ici dire qu'ils reprenaient le flambeau », a souligné Boris Vallaud, député socialiste. Et si le député Jean Lassalle se félicite de « la conscience du peuple qui rêve d'un printemps, et plus de rivières de sang », le patron de LaRem estime que « Ce ne peut pas être la seule réaction. C'est aussi une bataille culturelle, dans l'éducation, la justice et la police ». Il souhaite notamment «  punir les actes racistes sur internet » au motif que « ça commence toujours par des mots et finit par des actes »..  
 
Malgré des bémols, l’unité manifestée ce soir là n’a pas manqué de toucher Emmanuelle. De religion juive, celle-ci se félicite de la participation massive des Parisiens au rassemblement. « Nous étions seuls après l’hyper cacher, seuls après l’attentat de Toulouse… Aujourd’hui, l’unité nationale contre l’antisémitisme est un soulagement. Mais nous ne nous faisons pas d’illusions : on sait que la violence à l’égard des juifs existera toujours », ajoute-t-elle avant d’écouter avec émotion les paroles de paix lancées au micro par des collégiens parisiens.
 
Au milieu de la foule sombre, trois jeunes hommes ont revêtu le gilet jaune. François, 18 ans, est l’un d’entre eux. « Il était important qu’on soit là. Les violences perpétrées à l’égard des juifs durant les dernières mobilisations ont terni l’image du mouvement. Des actes isolés que la grande majorité d’entre nous condamne sans détour ! » Et si les trois gilets jaunes suscitent parfois quelques commentaires sur leur passage, la plupart des Parisiens présents se félicitent de leur présence. Deux jeunes militants du PCF venus au rassemblement auraient quant à eux été agressés, selon Pierric Annoot, secrétaire départementale de la fédération communiste des Hauts-de Seine qui dénonce « un climat de haine, largement attisé (…) par des de nombreuses déclarations d’irresponsables politiques ».
 
A quelques rues de là, à Ménilmontant, quatre cents personnes s’amassent autour de la place Jean Ferrat qui entoure la bouche de métro à l’appel de plusieurs associations et partis, dont l’union juive française pour la paix (UJFP) ou le NPA.  Au micro, sur une scène improvisée au milieu d’un parterre de fleurs surélevé, les représentants des différentes organisations se succèdent, s’accordant à dénoncer l’instrumentalisation des actes antisémites et affirmant leur combat contre toutes les formes de racisme.  Tous dénoncent « les actes de racisme et de haines » engendrés par un « régime violent et inégalitaire ».
 
Rosa, enseignante installée en France depuis 30 ans, applaudit. S’il était important pour elle de se rassembler contre l’antisémitisme, elle ne l’aurait pas fait n’importe où. Et surtout pas là-bas, à République, où s’est rassemblé ce gouvernement qu’elle trouve « rempli de condescendance et de mépris » à l’égard des citoyens. « Ils ont du mal à accepter que la population ne soit pas fidèle à une image fixe, homogène et qu’elle soit au contraire le fruit de mélanges, qu’elle change sans cesse de couleurs et d’accents », estime-t-elle.
Même constat pour Pasionaria, 64 ans et gilet jaune sur le dos. Cette manifestation Place de la République, ce « bal des hypocrites, des faux-culs », la fait doucement rigoler : « Vous ne voudriez quand même pas que je marche avec un gouvernement contre lequel je manifeste depuis des mois ? »
Comme elle, une trentaine de gilets jaunes sont venus témoigner. « Quand j’entends dire que les Gilets jaunes sont racistes, ça me blesse profondément, témoigne Yannick, 38 ans. Notre mouvement, c’est un panel complet de la société française, avec ce qu’elle fait de meilleur comme de pire », se désole-t-il.
Marie, 60 ans, acquiesce. De passage dans le quartier, elle s’est arrêtée pour discuter avec les autres. « C’est surtout l’instrumentalisation dont ils sont victimes qui m’afflige », s’indigne-t-elle. « Ca et l’amalgame insupportable entre antisémitisme et antisionisme », enchérit Alima, la soixantaine également, qui dénonce « une stratégie du gouvernement » pour faire porter le chapeau à ceux qui souhaitent « davantage d’égalité, et non d’identité ».

mercredi 20 février 2019

INSTITUTIONS. DÉFIANCE À L’ÉGARD DES ÉLUS : LES RAISONS DE LA COLÈRE

À mesure que s’exprime une haine à l’égard des représentants politiques, qui ne défendraient que les intérêts des leurs, se dessine une soif de démocratie plus représentative et moins affairiste.
Le café, niché dans le 11e arrondissement de Paris et réquisitionné pour le « grand débat » par la République en marche (LaREM), est coupé en deux en cette fin janvier. D’une part, les habitants sont invités à débattre de la fiscalité. Mais ils ont du mal à s’entendre car, de l’autre, on se coupe, s’interpelle. Le thème qui enflamme l’assemblée : la démocratie. référendum d’initiative citoyenne (RIC), référendum de 2005, « privilèges » des élus, nécessité de baisser les salaires des hauts fonctionnaires, homogénéité sociale des élus, affaires après lesquelles certains ne sont pas « virés »... les sujets se bousculent de manière décousue. Sous les yeux médusés du député de la majorité, Pacôme Rupin (LaREM), qui peine à défendre les idées de la Macronie.

«les citoyens veulent que les élus se consacrent à l’intérêt général »

Cette crise démocratique, que ne veut pas entendre la majorité présidentielle, s’est exprimée de façon condamnable ces dernières semaines. L’Assemblée nationale a été prise pour cible lors de l’acte XIII des gilets jaunes, le domicile de son président, Richard Ferrand, a été incendié et de nombreux députés LaREM ont reçu des courriers de menaces de mort. Le ressentiment – voire la haine – à l’égard des élus s’est démultiplié sous le slogan « tous pourris », jusque-là porté par l’extrême droite. Si le politologue Bruno Cautrès observe que « les citoyens ont le sentiment que les hommes politiques les ont laissés sur le bas-côté de la route », c’est bien parce que 85 % des sondés par le Cevipof à la mi-décembre – pic de la mobilisation – pensent que les politiques ne se préoccupent pas des Français comme eux. Le chercheur pointe ainsi un « sentiment d’abandon » de la part de nos représentants et un « très fort sentiment qu’ils vivent dans une forme de bulle, de caste à part, (ce) qui génère un sentiment de manque de respect ».
74 % disent qu’ils sont déconnectés de la réalité. Quand Benjamin Coriat, des Économistes atterrés, parlait en décembre d’un « président affairé à sauver les siens », ayant permis la suppression de l’ISF et la flat tax, le sociologue Nicolas Duvoux estimait que « le choix de favoriser ceux qui sont déjà les plus aisés a accrédité l’idée que le pouvoir s’était rangé du côté des vainqueurs et converti leur fortune en morale ». En cela, la majorité a une responsabilité, selon le président d’Anticor, Jean-Christophe Picard, incarnée dans son manque de volonté de lutter contre la fraude fiscale et la corruption. Un « impératif moral » puisque, pour « se serrer la ceinture, les citoyens veulent qu’en échange les élus se consacrent à l’intérêt général ». Mais aussi économique, car « ces pratiques impactent, par un manque à gagner, le niveau de vie de la majorité des Français, les services publics ou encore les prestations sociales », principales revendications des gilets jaunes.

« La majorité n’a pas compris le message des Français »

Le sentiment de persécution à l’égard des gilets jaunes poursuivis par la justice s’y est vite ajouté. Avec un pic : les deux procès de figures du mouvement, Christophe Dettinger et Éric Drouet la semaine dernière. Au même moment, ont remarqué de nombreux gilets jaunes sur les réseaux sociaux, l’ancien collaborateur du chef de l’État Alexandre Benalla – mis en examen après des actes de violence – se relaxait au Maroc. Les peines étaient également comparées à la condamnation à deux ans de prison ferme de Jérôme Cahuzac pour fraude fiscale, sans passage par la case prison. Détournements de fonds publics, corruption… les affaires, impliquant majoritairement une droite affairiste, secouent la vie politique française depuis des années. Sans compter les pratiques légales comme le cumul d’un mandat de présidence de département et de poste à Bercy, comme Hervé Gaymard, ou de pantouflage, comme Virginie Calmels, tout juste partie de la municipalité de Bordeaux pour devenir « PDG d’un très beau groupe français ». Celles qui ont secoué Nicolas Sarkozy ne se comptent plus sur les doigts d’une main (financement libyen de la campagne de 2007, Bygmalion, arbitrage Tapie, Karachi, les sondages de l’Élysée, affaire Bettencourt...).
Pendant la campagne de 2017, c’est l’affaire du Penelopegate qui éclate. Là-dessus, le candidat Emmanuel Macron se présente comme celui du « renouveau démocratique » et fait la promesse d’« interdire définitivement (des) pratiques d’un autre temps ». Sa loi de moralisation de la vie publique, avec l’interdiction des emplois familiaux, sera alors portée par le ministre François Bayrou, avant que soit divulguée une affaire d’emplois supposés fictifs au Parlement européen (voir ci-contre). « La majorité n’a pas compris le message des Français et l’exaspération. Ils font comme avant et risquent d’être à terme balayés », analyse Jean-Christophe Picard, pour qui l’un des symboles est la nomination au Conseil constitutionnel d’Alain Juppé, condamné en 2004 dans l’affaire des emplois fictifs du RPR. En ce sens, le sentiment de « tous pourris » prend aussi sa source dans cette capacité à « réhabiliter démocratiquement » ces élus, quand bien souvent ils ne sont pas inquiétés par la justice. Si « on laisse faire les pires élus », « on parle peu et n’accompagne pas les élus très investis ». C’est dans cette impasse, qui impacte désormais l’ensemble des organisations représentatives, que la majorité présidentielle obsédée par sa volonté de maintenir son cap politique glisse le débat démocratique. Au risque que l’extrême droite récolte cette colère aux prochaines échéances électorales.

mardi 19 février 2019

TRANSPORTS. LES AUTOROUTES DOIVENT-ELLES REDEVENIR UN BIEN PUBLIC ?

Rappel des faits:  Enjeu stratégique d’aménagement du territoire et de développement économique, le réseau autoroutier est à la croisée des chemins.
Luc Carvounas Député PS du Val-de-Marne, fondateur de la Gauche arc-en-ciel
Julien Aubert Député LR du Vaucluse
Éliane Assassi Sénatrice PCF de Seine-Saint-Denis, présidente du groupe CRCE

Pour un New Deal autoroutier

Par Luc Carvounas  Député PS du Val-de-Marne, fondateur de la Gauche arc-en-ciel
Depuis la privatisation des autoroutes sous Dominique de Villepin en 2006, aucun gouvernement n’a réussi à résoudre le problème que constitue le monopole des sociétés privées sur les concessions des autoroutes.
En effet, en juillet 2013, la Cour des comptes dénonçait déjà les « relations déséquilibrées entre l’État et les sociétés concessionnaires » : augmentation excessive des péages, investissements trop faibles sur le réseau, coût surévalué des travaux… De plus, les profits réalisés finissent essentiellement dans la poche des actionnaires grâce à la distribution de généreux dividendes. L’Autorité de la concurrence a d’ailleurs dénoncé cette situation en 2014 en affirmant que « cette rentabilité exceptionnelle était assimilable à une rente ».
C’est notamment pourquoi, forts de cet exemple, nous nous battons avec mes collègues socialistes contre la privatisation en cours d’Aéroports de Paris ou de la Française des Jeux. L’État ne doit pas reproduire ces erreurs en bradant ses fleurons publics et rentables !
Néanmoins, attention aux idées qui peuvent paraître séduisantes : la renationalisation viendrait amputer nos finances publiques de 40 milliards d’euros et il pourrait y avoir une confusion contre-productive dans l’esprit des usagers entre « nationalisation » et « gratuité » ; ou encore annoncer dès maintenant le non-renouvellement des concessions en 2036 en prenant le risque de voir les sociétés concessionnaires arrêter les investissements en réaction à cette décision.
Il faudrait donc renégocier drastiquement les contrats des concessions, à l’appui de leviers fiscaux, législatifs et sociaux. Une négociation implique un rapport de forces. On pourrait par exemple faire pression sur les sociétés privées concessionnaires en envisageant que la loi interdise aux entreprises de BTP de gérer notre réseau routier. Ou encore en substituant le ferroutage des camions à la traversée par nos autoroutes, qui représenterait un manque à gagner très important pour ces entreprises privées.
Nous pourrions donc commencer par lancer une grande conférence de consensus pour répondre à des questions précises : quelles autoroutes voulons-nous ? Quels investissements primordiaux ? Quels tarifs ? Qui pourrait être concessionnaire ?
Dans ce cadre, nous pourrions faire émerger des idées fortes : généraliser un abonnement très peu cher pour les usagers quotidiens qui effectuent leurs trajets domicile-travail dans un rayon de 50 kilomètres ; remettre de l’humain sur le réseau avec un plan d’embauche important ; ou encore accompagner le développement économique des territoires via des investissements visant à attirer les touristes sur l’ensemble de nos destinations.
Sur ce dernier point, il faut envisager nos autoroutes comme des voies invitant à découvrir nos régions et leur patrimoine. En effet, nous pourrions prévoir un plan d’action pour attirer une partie des 20 % à 25 % de traversants – touristes qui traversent la France sans consommer ni se loger – à visiter nos territoires : guides touristiques présents sur les aires, rénovation et modernisation de la signalisation touristique sur les voies, numérisation et connectivité à développer avec l’optique du déploiement de la 5G…
Il est temps de mettre fin à cette époque de bienveillance de l’État envers les sociétés privées concessionnaires. L’État puissant et stratège doit imposer un New Deal autoroutier.

subordination ou fin des concessions ?

Par Julien Aubert  Député LR du Vaucluse
Le 18 décembre dernier, le groupe Vinci a finalement fait savoir qu’il ne réclamerait pas le remboursement des sommes impayées par les automobilistes ayant franchi les péages gratuitement grâce aux gilets jaunes.
Malgré cela, les sociétés d’autoroutes ont largement suscité la colère de ce mouvement. Et pour cause : au-delà de la question du prix du carburant, les péages autoroutiers représentent aussi une dépense contrainte en constante augmentation pour les automobilistes. À coups de hausses « indolores » de 10 à 20 centimes par an (hausses bien souvent supérieures au taux d’inflation), les tarifs des péages ont progressé de 20 % depuis 2006.
En plus de restreindre le pouvoir d’achat des Français, ces hausses tendent à poser un réel enjeu de sécurité routière. En effet, l’application de tarifs de plus en plus prohibitifs conduit de nombreux Français à se déporter sur le réseau secondaire, moins sécurisé.
Les privatisations des sociétés d’exploitation des autoroutes en 2006 ont été réalisées au plus mauvais moment et sans doute à un prix sous-estimé. En effet, les investissements réalisés sur les infrastructures autoroutières par la sphère publique commençaient tout juste à être rentabilisés. Par ailleurs, l’État a cédé les concessions pour 14,8 milliards d’euros. La Cour des comptes a pourtant estimé en 2009 que cette vente avait été sous-estimée de 10 milliards d’euros.
Le choix de la gestion par des acteurs privés, c’est aussi le choix de la logique du secteur privé : compression des coûts par une réduction de la masse salariale, augmentation des tarifs des péages. Sous couvert d’investissements nouveaux dans le réseau, il s’agit en réalité d’une augmentation de la profitabilité de ces sociétés autoroutières, avec, in fine, une meilleure rémunération de leurs actionnaires.
Au surplus, dans un rapport de 2013, la Cour des comptes a identifié des relations très déséquilibrées entre l’État et les concessionnaires, à la défaveur de l’État. C’est l’exemple des clauses d’isofiscalité dans les contrats de concessions. Celles-ci autorisent les sociétés d’exploitation à reporter sur les usagers toute hausse de fiscalité. Elles gênent donc une taxation de leurs profits, qui deviennent une véritable rente de situation (ceux-ci atteignent 2,8 milliards d’euros en 2016).
Aussi, il est légitime de s’interroger sur l’application de la logique du secteur privé à des infrastructures qui relèvent de l’intérêt général.
Le coût d’une reprise de contrôle de ces sociétés est évalué à 20 milliards d’euros, selon Hervé Maurey, président de la commission de l’Aménagement du territoire et du Développement durable du Sénat, plus la reprise des 30 milliards d’euros de dette. Pour autant, ce coût n’est pas a priori prohibitif, compte tenu de la nature même des autoroutes : des infrastructures de long terme qui doivent être considérées comme un actif valorisable et non comme un consommable.
La reprise des concessions d’autoroutes par la sphère publique est à envisager sérieusement. Elle doit être tournée vers deux buts : réaffirmer la crédibilité de l’État, qui n’a pas su défendre ses intérêts depuis les cessions de 2006, et redonner du pouvoir d’achat aux Français.

Au nom de l’intérêt général

Par Éliane Assassi  Sénatrice PCF de Seine-Saint-Denis, présidente du groupe CRCE
Le 7 mars prochain, le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) soumettra au vote du Sénat deux propositions de loi : l’une pour interdire l’utilisation des lanceurs de balles de défense (LBD – anciennement Flash-Ball) dans le cadre du maintien de l’ordre ; l’autre pour renationaliser les autoroutes. Le sujet de ce second texte a ressurgi dans le débat public dès les premières semaines de mobilisation des gilets jaunes. L’annonce d’une nouvelle hausse du prix des péages a cristallisé un mécontentement populaire tout à fait justifié.
Il faut rappeler ici que c’est en 2006 que l’État, tout en restant propriétaire, a concédé à des groupes privés la gestion du réseau autoroutier pour la somme de 14,8 milliards d’euros en sachant pertinemment que cela rapporterait de l’argent, beaucoup d’argent aux concessionnaires. D’ailleurs, s’il n’avait pas privatisé les autoroutes, l’État aurait encaissé plus de recettes que les 14,8 milliards d’euros de leur vente.
Aujourd’hui, dix-huit sociétés gèrent le réseau, parmi lesquelles de nouvelles qui ne sont pas encore bénéficiaires et d’« historiques », dont Vinci avec ses filiales mais aussi Eiffage, Sanef…
Ces « historiques » sont florissantes, d’autant qu’elles n’hésitent pas à faire appel à leurs propres filiales pour réaliser des travaux sur les tronçons autoroutiers.
Les dividendes versés à leurs actionnaires sont édifiants : 1,3 milliard en 2014 ; 3,3 en 2015, 4,7 en 2016 et 1,7 annoncé pour 2017. Pourtant, la plupart d’entre elles sont endettées. Mais, comme le précise l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), « cette dette est pratiquement soutenable et gérée dans l’intérêt des actionnaires, auxquels sont versés des dividendes considérables ».
Il s’agit donc bien d’un choix : privilégier le versement des dividendes et s’endetter pour investir… sur le dos des automobilistes. L’intérêt général est ici bafoué et les usagers considérés comme de simples réservoirs à dividendes.
L’État (propriétaire du réseau) est incapable de défendre ses intérêts et l’intérêt général. De mauvais choix en plan de relance défavorable aux intérêts publics, il s’est livré aux mains des intérêts commerciaux privés. Ainsi, toute disposition qui pourrait changer les termes des contrats passés avec les concessionnaires doit donner lieu à compensation.
Pour sortir de cette impuissance et en finir avec le détournement par les concessionnaires de l’argent public aux profits des actionnaires, nous proposons une solution : la renationalisation des autoroutes.
Au nom de l’intérêt général, l’État peut racheter les contrats de concession. Certes, cette opération est estimée entre 28 milliards et 50 milliards. Mais, comme le proposait une mission d’information parlementaire en 2004, l’État pourrait emprunter et cet emprunt serait remboursé non pas par l’impôt mais par le péage. C’est dans cette voie que s’est, par exemple, engagée l’Espagne en annonçant la renationalisation de 500 kilomètres de tronçons, qui vont ainsi repasser sous maîtrise publique.
Cette proposition rejoint des revendications exposées par les gilets jaunes aujourd’hui mais également par nombre d’associations d’automobilistes et d’élus, et ce depuis des années. Notre proposition de loi, que nous avions déjà déposée en 2014 mais qui n’avait pas été adoptée par le Sénat, s’inscrit pleinement dans ces exigences.
Lors de l’examen par le Sénat de la loi Pacte, la proposition gouvernementale de privatiser ADP a été très majoritairement rejetée grâce à des amendements de suppression déposés par différents groupes, dont le groupe CRCE.
Lors du débat, l’exemple de la privatisation des autoroutes a été pointé du doigt par plusieurs parlementaires, à l’instar d’un sénateur « Les Républicains » pour lequel « les mêmes qui, hier, ont bradé scandaleusement les autoroutes ont le culot de soutenir, aujourd’hui encore, que l’État a fait une bonne affaire ; ils sont prêts à nous refaire le coup, cette fois avec Aéroports de Paris ». On peut toujours espérer que les mêmes voteront en faveur de notre proposition de loi le 7 mars prochain…