Pour un New Deal autoroutier
Par Luc Carvounas Député PS du Val-de-Marne, fondateur de la Gauche arc-en-ciel
Depuis la privatisation des autoroutes sous Dominique de Villepin en 2006, aucun gouvernement n’a réussi à résoudre le problème que constitue le monopole des sociétés privées sur les concessions des autoroutes.
En effet, en juillet 2013, la Cour des comptes dénonçait déjà les « relations déséquilibrées entre l’État et les sociétés concessionnaires » : augmentation excessive des péages, investissements trop faibles sur le réseau, coût surévalué des travaux… De plus, les profits réalisés finissent essentiellement dans la poche des actionnaires grâce à la distribution de généreux dividendes. L’Autorité de la concurrence a d’ailleurs dénoncé cette situation en 2014 en affirmant que « cette rentabilité exceptionnelle était assimilable à une rente ».
C’est notamment pourquoi, forts de cet exemple, nous nous battons avec mes collègues socialistes contre la privatisation en cours d’Aéroports de Paris ou de la Française des Jeux. L’État ne doit pas reproduire ces erreurs en bradant ses fleurons publics et rentables !
Néanmoins, attention aux idées qui peuvent paraître séduisantes : la renationalisation viendrait amputer nos finances publiques de 40 milliards d’euros et il pourrait y avoir une confusion contre-productive dans l’esprit des usagers entre « nationalisation » et « gratuité » ; ou encore annoncer dès maintenant le non-renouvellement des concessions en 2036 en prenant le risque de voir les sociétés concessionnaires arrêter les investissements en réaction à cette décision.
Il faudrait donc renégocier drastiquement les contrats des concessions, à l’appui de leviers fiscaux, législatifs et sociaux. Une négociation implique un rapport de forces. On pourrait par exemple faire pression sur les sociétés privées concessionnaires en envisageant que la loi interdise aux entreprises de BTP de gérer notre réseau routier. Ou encore en substituant le ferroutage des camions à la traversée par nos autoroutes, qui représenterait un manque à gagner très important pour ces entreprises privées.
Nous pourrions donc commencer par lancer une grande conférence de consensus pour répondre à des questions précises : quelles autoroutes voulons-nous ? Quels investissements primordiaux ? Quels tarifs ? Qui pourrait être concessionnaire ?
Dans ce cadre, nous pourrions faire émerger des idées fortes : généraliser un abonnement très peu cher pour les usagers quotidiens qui effectuent leurs trajets domicile-travail dans un rayon de 50 kilomètres ; remettre de l’humain sur le réseau avec un plan d’embauche important ; ou encore accompagner le développement économique des territoires via des investissements visant à attirer les touristes sur l’ensemble de nos destinations.
Sur ce dernier point, il faut envisager nos autoroutes comme des voies invitant à découvrir nos régions et leur patrimoine. En effet, nous pourrions prévoir un plan d’action pour attirer une partie des 20 % à 25 % de traversants – touristes qui traversent la France sans consommer ni se loger – à visiter nos territoires : guides touristiques présents sur les aires, rénovation et modernisation de la signalisation touristique sur les voies, numérisation et connectivité à développer avec l’optique du déploiement de la 5G…
Il est temps de mettre fin à cette époque de bienveillance de l’État envers les sociétés privées concessionnaires. L’État puissant et stratège doit imposer un New Deal autoroutier.
subordination ou fin des concessions ?
Par Julien Aubert Député LR du Vaucluse
Le 18 décembre dernier, le groupe Vinci a finalement fait savoir qu’il ne réclamerait pas le remboursement des sommes impayées par les automobilistes ayant franchi les péages gratuitement grâce aux gilets jaunes.
Malgré cela, les sociétés d’autoroutes ont largement suscité la colère de ce mouvement. Et pour cause : au-delà de la question du prix du carburant, les péages autoroutiers représentent aussi une dépense contrainte en constante augmentation pour les automobilistes. À coups de hausses « indolores » de 10 à 20 centimes par an (hausses bien souvent supérieures au taux d’inflation), les tarifs des péages ont progressé de 20 % depuis 2006.
En plus de restreindre le pouvoir d’achat des Français, ces hausses tendent à poser un réel enjeu de sécurité routière. En effet, l’application de tarifs de plus en plus prohibitifs conduit de nombreux Français à se déporter sur le réseau secondaire, moins sécurisé.
Les privatisations des sociétés d’exploitation des autoroutes en 2006 ont été réalisées au plus mauvais moment et sans doute à un prix sous-estimé. En effet, les investissements réalisés sur les infrastructures autoroutières par la sphère publique commençaient tout juste à être rentabilisés. Par ailleurs, l’État a cédé les concessions pour 14,8 milliards d’euros. La Cour des comptes a pourtant estimé en 2009 que cette vente avait été sous-estimée de 10 milliards d’euros.
Le choix de la gestion par des acteurs privés, c’est aussi le choix de la logique du secteur privé : compression des coûts par une réduction de la masse salariale, augmentation des tarifs des péages. Sous couvert d’investissements nouveaux dans le réseau, il s’agit en réalité d’une augmentation de la profitabilité de ces sociétés autoroutières, avec, in fine, une meilleure rémunération de leurs actionnaires.
Au surplus, dans un rapport de 2013, la Cour des comptes a identifié des relations très déséquilibrées entre l’État et les concessionnaires, à la défaveur de l’État. C’est l’exemple des clauses d’isofiscalité dans les contrats de concessions. Celles-ci autorisent les sociétés d’exploitation à reporter sur les usagers toute hausse de fiscalité. Elles gênent donc une taxation de leurs profits, qui deviennent une véritable rente de situation (ceux-ci atteignent 2,8 milliards d’euros en 2016).
Aussi, il est légitime de s’interroger sur l’application de la logique du secteur privé à des infrastructures qui relèvent de l’intérêt général.
Le coût d’une reprise de contrôle de ces sociétés est évalué à 20 milliards d’euros, selon Hervé Maurey, président de la commission de l’Aménagement du territoire et du Développement durable du Sénat, plus la reprise des 30 milliards d’euros de dette. Pour autant, ce coût n’est pas a priori prohibitif, compte tenu de la nature même des autoroutes : des infrastructures de long terme qui doivent être considérées comme un actif valorisable et non comme un consommable.
La reprise des concessions d’autoroutes par la sphère publique est à envisager sérieusement. Elle doit être tournée vers deux buts : réaffirmer la crédibilité de l’État, qui n’a pas su défendre ses intérêts depuis les cessions de 2006, et redonner du pouvoir d’achat aux Français.
Au nom de l’intérêt général
Par Éliane Assassi Sénatrice PCF de Seine-Saint-Denis, présidente du groupe CRCE
Le 7 mars prochain, le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) soumettra au vote du Sénat deux propositions de loi : l’une pour interdire l’utilisation des lanceurs de balles de défense (LBD – anciennement Flash-Ball) dans le cadre du maintien de l’ordre ; l’autre pour renationaliser les autoroutes. Le sujet de ce second texte a ressurgi dans le débat public dès les premières semaines de mobilisation des gilets jaunes. L’annonce d’une nouvelle hausse du prix des péages a cristallisé un mécontentement populaire tout à fait justifié.
Il faut rappeler ici que c’est en 2006 que l’État, tout en restant propriétaire, a concédé à des groupes privés la gestion du réseau autoroutier pour la somme de 14,8 milliards d’euros en sachant pertinemment que cela rapporterait de l’argent, beaucoup d’argent aux concessionnaires. D’ailleurs, s’il n’avait pas privatisé les autoroutes, l’État aurait encaissé plus de recettes que les 14,8 milliards d’euros de leur vente.
Aujourd’hui, dix-huit sociétés gèrent le réseau, parmi lesquelles de nouvelles qui ne sont pas encore bénéficiaires et d’« historiques », dont Vinci avec ses filiales mais aussi Eiffage, Sanef…
Ces « historiques » sont florissantes, d’autant qu’elles n’hésitent pas à faire appel à leurs propres filiales pour réaliser des travaux sur les tronçons autoroutiers.
Les dividendes versés à leurs actionnaires sont édifiants : 1,3 milliard en 2014 ; 3,3 en 2015, 4,7 en 2016 et 1,7 annoncé pour 2017. Pourtant, la plupart d’entre elles sont endettées. Mais, comme le précise l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), « cette dette est pratiquement soutenable et gérée dans l’intérêt des actionnaires, auxquels sont versés des dividendes considérables ».
Il s’agit donc bien d’un choix : privilégier le versement des dividendes et s’endetter pour investir… sur le dos des automobilistes. L’intérêt général est ici bafoué et les usagers considérés comme de simples réservoirs à dividendes.
L’État (propriétaire du réseau) est incapable de défendre ses intérêts et l’intérêt général. De mauvais choix en plan de relance défavorable aux intérêts publics, il s’est livré aux mains des intérêts commerciaux privés. Ainsi, toute disposition qui pourrait changer les termes des contrats passés avec les concessionnaires doit donner lieu à compensation.
Pour sortir de cette impuissance et en finir avec le détournement par les concessionnaires de l’argent public aux profits des actionnaires, nous proposons une solution : la renationalisation des autoroutes.
Au nom de l’intérêt général, l’État peut racheter les contrats de concession. Certes, cette opération est estimée entre 28 milliards et 50 milliards. Mais, comme le proposait une mission d’information parlementaire en 2004, l’État pourrait emprunter et cet emprunt serait remboursé non pas par l’impôt mais par le péage. C’est dans cette voie que s’est, par exemple, engagée l’Espagne en annonçant la renationalisation de 500 kilomètres de tronçons, qui vont ainsi repasser sous maîtrise publique.
Cette proposition rejoint des revendications exposées par les gilets jaunes aujourd’hui mais également par nombre d’associations d’automobilistes et d’élus, et ce depuis des années. Notre proposition de loi, que nous avions déjà déposée en 2014 mais qui n’avait pas été adoptée par le Sénat, s’inscrit pleinement dans ces exigences.
Lors de l’examen par le Sénat de la loi Pacte, la proposition gouvernementale de privatiser ADP a été très majoritairement rejetée grâce à des amendements de suppression déposés par différents groupes, dont le groupe CRCE.
Lors du débat, l’exemple de la privatisation des autoroutes a été pointé du doigt par plusieurs parlementaires, à l’instar d’un sénateur « Les Républicains » pour lequel « les mêmes qui, hier, ont bradé scandaleusement les autoroutes ont le culot de soutenir, aujourd’hui encore, que l’État a fait une bonne affaire ; ils sont prêts à nous refaire le coup, cette fois avec Aéroports de Paris ». On peut toujours espérer que les mêmes voteront en faveur de notre proposition de loi le 7 mars prochain…