mardi 31 juillet 2018

Pourquoi les marxistes s’opposent au terrorisme individuel

Cet article de Léon Trotsky date de 1911.

Nos ennemis de classe ont l’habitude de se plaindre de notre terrorisme. Ce qu’ils entendent par là n’est pas très clair. Ils aimeraient qualifier de terrorisme toutes les activités du prolétariat dirigées contre les intérêts de nos ennemis de classe. La grève, à leurs yeux, est la principale méthode de terrorisme. Une menace de grève, l’organisation de piquets de grève, le boycott d’un patron esclavagiste, le boycott moral d’un traître de nos propres rangs – ils appellent tout cela terrorisme et bien plus encore. Si on conçoit de cette façon le terrorisme comme toute action inspirant la crainte ou faisant du mal à l’ennemi, alors, naturellement, la lutte de classe toute entière n’est pas autre chose que du terrorisme. Et la seule question restante est de savoir si les politiciens bourgeois ont le droit de déverser le flot de leur indignation morale à propos du terrorisme prolétarien, alors que leur appareil d’Etat tout entier avec ses lois, sa police et son armée ne sont rien d’autre qu’un appareil de terreur capitaliste !
Cependant, il faut dire que quand ils nous reprochent de faire du terrorisme, ils essaient, – bien que pas toujours sciemment – de donner à ce mot un sens plus étroit, plus indirect.
Dans ce sens strict du mot, la détérioration de machines par des travailleurs, par exemple, est du terrorisme. Le meurtre d’un employeur, la menace de mettre le feu à une usine ou une menace de mort à son propriétaire, une tentative d’assassinat, revolver en main, contre un ministre du gouvernement – toutes ces actions sont des actes terroristes au sens complet et authentique. Cependant, quiconque ayant une idée de la vraie nature de la social-démocratie internationale devrait savoir qu’elle s’est toujours opposée à cette sorte de terrorisme et le fait de la façon la plus intransigeante.
Pourquoi ? Faire du terrorisme par la menace d’une grève, ou mener de fait une grève, est quelque chose que seuls les travailleurs de l’industrie puissent faire. La signification sociale d’une grève dépend directement, premièrement, de la taille de l’entreprise ou du secteur industriel qu’elle affecte et, deuxièmement, du degré auquel les travailleurs y prenant part sont organisés, disciplinés, et prêts à l’action. Ceci est aussi vrai d’une grève politique que cela l’est pour une grève économique. C’est la méthode de lutte qui découle directement du rôle productif du prolétariat dans la société moderne.
Pour se développer, le système capitaliste a besoin d’une superstructure parlementaire. Mais comme il ne peut pas confiner le prolétariat moderne à un ghetto politique, il doit tôt ou tard permettre aux travailleurs de participer au parlement. Dans toutes les élections, le caractère de masse du prolétariat et son niveau de développement politique – quantités, qui, une fois de plus, sont déterminées elles aussi par son rôle social, c’est-à-dire, par-dessus tout, son rôle productif – trouvent leur expression.
Dans une grève, de même que dans des élections, la méthode, le but, et les résultats de la lutte dépendent toujours du rôle social et de la force du prolétariat en tant que classe. Seuls les travailleurs peuvent mener une grève. Les artisans ruinés par l’usine, les paysans dont l’eau est polluée par l’usine, ou les membres du lumpenprolétariat, avides de saccage, peuvent briser les machines, mettre le feu à une usine ou assassiner son propriétaire. Seule la classe ouvrière, consciente et organisée, peut envoyer une foule en représentation au parlement pour veiller aux intérêts des prolétaires. Par contre, pour assassiner un personnage officiel en vue, on n’a pas besoin d’avoir derrière soi les masses organisées. La recette pour fabriquer des explosifs est accessible à tous, et on peut se procurer unBrowning n’importe où. Dans le premier cas, il s’agit d’une lutte sociale, dont les méthodes et les moyens découlent nécessairement de la nature de l’ordre social dominant du moment, et, dans le second, d’une réaction purement mécanique, identique n’importe où – en Chine comme en France – très frappante dans sa forme extérieure (meurtre, explosions, et ainsi de suite... ) mais absolument inoffensive en ce qui concerne le système social.
Une grève, même d’importance modeste, a des conséquences sociales : renforcement de la confiance en soi des travailleurs, renforcement des syndicats et même, assez souvent, une amélioration de la technologie de production. Le meurtre du propriétaire d’usine ne produit que des effets de nature policière, ou un changement de propriétaire dénué de toute signification sociale. Qu’un attentat terroriste, même « réussi », jette la confusion dans la classe dirigeante, dépend des circonstances politiques concrètes. Dans tous les cas, cette confusion ne peut être que de courte durée. L’Etat capitaliste ne se fonde pas sur les ministres du gouvernement et ne peut être éliminé avec eux. Les classes qu’il sert trouveront toujours des remplaçants ; la machine reste intacte et continue de fonctionner.
Mais le désordre introduit dans les rangs des masses ouvrières elles-mêmes par un attentat terroriste est plus profond. S’il suffit de s’armer d’un pistolet pour atteindre son but, à quoi bon les effets de la lutte de classe ? Si un dé à coudre de poudre et un petit morceau de plomb sont suffisants pour traverser le cou de l’ennemi et le tuer, quel besoin y a-t-il d’une organisation de classe ? Si cela a un sens de terrifier des personnages hauts placés par le grondement des explosions, est-il besoin d’un parti ? Pourquoi les meetings, l’agitation de masse, et les élections, si on peut si facilement viser le banc des ministres de la galerie du parlement ?
A nos yeux la terreur individuelle est inadmissible précisément parce qu’elle rabaisse le rôle des masses dans leur propre conscience, les faits se résigner à leur impuissance, et leur fait tourner les yeux vers un héros vengeur et libérateur qui, espèrent-ils, viendra un jour et accomplira sa mission. Les prophètes anarchistes de la « propagande de l’action » peuvent soutenir tout ce qu’ils veulent à propos de l’influence élévatrice et stimulante des actes terroristes sur les masses. Les considérations théoriques et l’expérience politique prouvent qu’il en est autrement. Plus « efficaces » sont les actes terroristes, plus grand est leur impact, plus ils réduisent l’intérêt des masses pour l’auto-organisation et l’auto-éducation.
Mais les fumées de la confusion se dissipent, la panique disparaît, le successeur du ministre assassiné apparaît, la vie s’installe à nouveau dans l’ancienne ornière, la roue de l’exploitation capitaliste tourne comme auparavant ; seule la répression policière devient plus sauvage, plus sûre d’elle-même, plus impudente. Et, en conséquence, au lieu des espoirs qu’on avait fait naître, de l’excitation artificiellement soulevée, arrivent la désillusion et l’apathie.
Les efforts de la réaction pour mettre fin aux grèves et au mouvement de masse des ouvriers en général se sont toujours, et partout, soldés par un échec. La société capitaliste a besoin d’un prolétariat actif, mobile et intelligent ; elle ne peut, donc, maintenir le prolétariat pieds et poings liés pendant très longtemps. D’autre part, la propagande anarchiste de « l’action » a montré chaque fois que l’Etat est plus riche en moyen de destruction physique et de répression mécanique que ne le sont les groupes terroristes.
S’il en est ainsi, où cela laisse-t-il la révolution ? Est-elle rendue impossible par cet état de choses ? Pas du tout. Car la révolution n’est pas un simple agrégat de moyens mécaniques. La révolution ne peut naître que de l’accentuation de la lutte de classe, et elle ne peut trouver une garantie de victoire que dans les fonctions sociales du prolétariat. La grève politique de masse, l’insurrection armée, la conquête du pouvoir d’Etat – tout ceci est déterminé par le degré auquel la production s’est développée, l’alignement des forces de classes, le poids social du prolétariat, et enfin, par la composition sociale de l’armée, puisque les forces armées sont le facteur qui, en période de révolution, détermine le sort du pouvoir d’Etat.
La social-démocratie est assez réaliste pour ne pas essayer d’éviter la révolution qui se développe à partir des conditions historiques existantes ; au contraire, elle évolue pour affronter la révolution les yeux grands ouverts. Mais, contrairement aux anarchistes, et en opposition directe avec eux, la social-démocratie rejette toutes les méthodes et tous les moyens ayant pour but de forcer artificiellement le développement de la société et de substituer des préparations chimiques à la force révolutionnaire insuffisante du prolétariat.
Avant d’être promu au rang de méthode de lutte politique, le terrorisme fait son apparition sous la forme d’actes de vengeance individuels. Ainsi en était-il en Russie, terre classique du terrorisme. Le fait qu’on eût donné le fouet à des prisonniers politiques poussa Véra Zassoulitch à exprimer le sentiment général d’indignation par une tentative d’assassinat du général Trépov. Son exemple fut imité dans les cercles de l’intelligentsia révolutionnaire qui manquait de tout support de masse. Ce qui avait commencé comme un acte de vengeance non réfléchi se développa pour devenir tout un système en 1879-1881. Les vagues d’assassinat commis par les anarchistes en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord viennent toujours après quelque atrocité commise par le gouvernement – le fait de tirer sur des grévistes ou l’exécution d’opposants politiques. La source psychologique du terrorisme la plus importante est toujours le sentiment de vengeance à la recherche d’un exutoire.
Il n’est pas besoin d’insister sur le point que la social-démocratie n’a rien de commun avec ces moralistes vénaux qui, en réponse à tout acte terroriste, font des déclarations à propos de la « valeur absolue » de la vie humaine. Ce sont les mêmes qui, en d’autres occasions, au nom d’autres valeurs absolues – par exemple l’honneur de la nation ou le prestige du monarque – sont prêts à pousser des millions de gens dans l’enfer de la guerre. Aujourd’hui, leur héros national est le ministre qui accorde le droit sacré de la propriété privée, et, demain, quand la main désespérée des travailleurs au chômage se serre en un poing ou ramasse une arme, ils profèrent toutes sortes d’inepties à propos de l’inadmissibilité de la violence sous quelque forme que ce soit.
Quoi que puissent dire les eunuques et les pharisiens de la moralité, le sentiment de vengeance a ses droits. Il accorde à la classe ouvrière le plus grand crédit moral : le fait qu’elle ne regarde pas d’un œil indifférent, passivement, ce qui se passe dans ce meilleur des mondes. Ne pas éteindre le sentiment de vengeance inassouvi du prolétariat, mais au contraire l’attiser encore et encore, le rendre plus profond, et le diriger contre les causes réelles de toute l’injustice et de la bassesse humaine – c’est là la tâche de la social-démocratie.
Si nous nous opposons aux actes terroristes, c’est seulement que la vengeance individuelle ne nous satisfait pas. Le compte que nous avons à régler avec le système capitaliste est trop grand pour être présenté à un quelconque fonctionnaire appelé ministre. Apprendre à voir tous les crimes contre l’humanité, toutes les indignités auxquelles sont soumis le corps et l’esprit humain, comme les excroissances et les expressions déformées du système social existant, dans le but de diriger toutes nos énergies en une lutte contre ce système – voilà la direction dans laquelle le désir brûlant de vengeance doit trouver sa plus haute satisfaction morale.

lundi 30 juillet 2018

Fête de l'Humanité. Bernard Lavilliers, du chaudron au paradis

Le chanteur stéphanois revient à la Fête avec son magnifique nouvel album 5 Minutes au paradis, un opus engagé qui s’ancre dans l’actualité.
Bernard Lavilliers participe à la Fête de l’Humanité pour la 9e fois. Record absolu ! Depuis son premier passage, en 1976, « Nanard » a fait cogiter plusieurs générations avec son envie de refaire le monde. Sur la Grande Scène, Lavilliers interprétera notamment son dernier album, 5 Minutes au paradis. Pour son 22e disque, il juxtapose subtilement les registres musicaux, avec du rock, des mélodies tropicales et des arrangements plus électroniques. Une prouesse qui nous rappelle son premier grand succès : les Barbares, en 1976. Il offre une écriture toujours plus acérée et décrit l’actualité sans concession, notamment dans Croisières méditerranéennes. Il y évoque la tragédie des migrants qui ont fui leur pays en guerre et qui se retrouvent abandonnés dans la Méditerranée. Avec sa voix chaude, le chanteur ne tombe pas dans le pathos et nous livre un témoignage édifiant : « On est venu de loin, plus loin que tes repères, à des millions de pas / On est venu à pied du fond de la misère, ne nous arrête pas / “Retourne à la maison” et s’il y en avait eu, je ne serais pas là / Et la mer engloutit, dans un rouleau d’écume, mon chant et puis ma voix ».

L’un de ses disques les plus sombres de sa carrière

5 Minutes au paradis est sûrement l’un des disques les plus sombres de la carrière de Lavilliers. Avec beaucoup de chansons réalistes, il évoque en grand la noirceur du monde tel qu’il est, comme il a toujours aimé le faire. Celui qui aurait très bien pu finir boxeur ou bandit a grandi dans la réflexion politique et sociale, élevé par un père résistant, communiste et syndicaliste. Il a vu dans la musique une opportunité unique d’exprimer son point de vue anarchiste mais aussi de pouvoir rendre hommage. C’est d’ailleurs ce qu’il fait dans Vendredi 13, où il évoque les attentats du Bataclan et se sert de sa voix comme d’une arme. Il condamne les terroristes, ces « mercenaires du diable » qu’il compare aux assassins de la Commune et aux chemises brunes.
Le chanteur stéphanois qui, dans sa jeunesse, a été apprenti tourneur dans une manufacture d’armement, est sensible à la condition ouvrière. Ses grands succès Fensch Vallée (1976) et les Mains d’or (2001) sont même devenus des hymnes du peuple opprimé. Dans le présent album, Bon pour la casse est un pont vers la nouvelle génération des cols blancs interchangeables. Bernard Lavilliers raconte l’histoire d’un cadre sup qui se retrouve viré de son entreprise comme un malpropre, sans aucune autre raison que l’économie salariale.
Le chanteur trouve en effet les mots justes pour décrire la rudesse de cette société capitaliste poussée dans les extrêmes. La chanson Charleroi, écrite avec le groupe de rock français Feu ! Chatterton, donne une vue d’ensemble sur le centre industriel belge qui a longtemps été frappé par la crise. Le magnifique clip réalisé par Gaëtan Chataigner est éloquent. Aujourd’hui, Charleroi va mieux et Lavilliers le sait. On le devine avec la fin de la chanson, planante et pleine d’espoir pour le futur, grâce à la chaleur humaine et la solidarité entre toutes les communautés. Il fait notamment référence aux nombreuses familles d’immigrants qui sont venues travailler dans ces villes du Nord : « La Méditerranée est là / Glacée dans son cadre de fer / De Rome jusqu’à Casablanca / Ils se partagent la ­poussière / Ils réinventent leur soleil / Leur musique et leurs habitudes / Leurs couleurs, leurs piments pareil / Pour éviter la solitude, la solitude ».
En contrepoint du reste de l’album, la collaboration entre Lavilliers et Benjamin Biolay a offert deux chansons rêveuses pleines de nostalgie : Montparnasse-Buenos Aires et Paris la Grise. Ces mélodies sud-américaines sont la marque de fabrique de Lavilliers. Inspiré par ses nombreux voyages, il y chante Paris et ses poètes, Verlaine et Apollinaire en tête. Il ne boude pas la capitale argentine et les artistes qui l’ont fréquentée : Pablo Neruda et Borges. Ces ballades, rendues envoûtantes par les cuivres, ne sont pas sans nous rappeler O Gringo (1980), opus écrit après ses périples en Jamaïque, à New York et au Brésil. Ce voyage auditif, teinté de salsa, de samba et de reggae, est aujourd’hui son album le plus vendu (plus de 600 000 ventes).
Bernard Lavilliers viendra donc à la Fête de l’Humanité pour nous faire réfléchir et voyager. Mais il compte bien en profiter lui-même en rencontrant des poètes, en assistant à des concerts et des conférences, comme il le fait à chaque fois qu’il vient, auprès de ceux qui sont devenus ses amis.

dimanche 29 juillet 2018

Le marxisme : un « productivisme » ?

On reproche souvent aux marxistes d’être « productivistes ». Nous voudrions à tout prix accroître la production de richesses, sans égard pour l’environnement et l’état des ressources naturelles. Cette critique s’appuie notamment sur l’exemple des catastrophes environnementales en URSS.
Le cas de l’URSS, cependant, ne prouve rien, car il ne s’agissait pas d’un régime « socialiste » ou « communiste », mais d’une caricature bureaucratique de socialisme. La bureaucratie soviétique mettait ses intérêts propres – ses intérêts de caste privilégiée – au-dessus de tout le reste, y compris de l’environnement.
Nous avons analysé ailleurs le phénomène du stalinisme. Ici, il faut partir de l’une des grandes découvertes de Marx : le développement des forces productives constitue la force motrice de l’histoire de l’humanité. Un système économique et social qui entrave la croissance des forces productives est historiquement condamné. Ainsi, après avoir énormément développé les forces productives, le capitalisme est devenu un obstacle à leur croissance ultérieure. La crise économique actuelle, avec ses conséquences sociales catastrophiques, en est l’illustration évidente. Et oui, l’objectif d’une révolution socialiste est bien de libérer l’appareil productif de ses entraves actuelles (capitalistes), pour le développer de façon harmonieuse, dans le cadre d’une planification démocratique de l’économie. Ce faisant, les travailleurs au pouvoir mettront fin à l’exploitation de classe, une fois pour toutes.
Pour autant, les marxistes ne proposent pas de produire n’importe quoi et n’importe comment. Cela caractérise plutôt le capitalisme, d’ailleurs : la course aux profits ne se soucie pas plus de l’environnement que du bien-être des travailleurs. Une planification démocratique de l’économie aura pour objectif – et, surtout, aura les moyens – de concilier la modernisation de l’économie, l’amélioration du niveau de vie des peuples et le respect de l’environnement. Bien des secteurs de la production vont « décroître » ou disparaître, comme les armes, la publicité, les voitures individuelles et les pizzas à l’ananas. Quant à « l’obsolescence programmée », qui est à la fois du vol et du gaspillage, elle n’aura plus aucune raison d’être. Tous les efforts seront orientés vers la production de biens de qualité et durables – à tous les niveaux de l’économie, des infrastructures jusqu’aux biens de consommation.
Enfin, l’idée n’est pas de produire « toujours plus », indéfiniment : personne ne mangera quinze fois par jour ! Le développement de la productivité permettra surtout de réduire le temps de travail. Sous le capitalisme, lorsqu’un patron introduit de nouvelles machines, il peut licencier une partie de ses salariés et exploiter davantage les autres. Sous le socialisme, à l’inverse, les progrès technologiques permettront de libérer l’humanité des tâches productives les plus pénibles. La baisse graduelle du temps de travail donnera aux femmes et aux hommes le loisir de se cultiver, de suivre librement leur voie, leurs penchants et leurs passions. En retour, leur activité sociale enrichira la collectivité, sera « productive », mais n’aura plus le caractère pénible, contraint, que revêt le travail sous le capitalisme.

samedi 28 juillet 2018

Logement. Sans encadrement, les loyers parisiens s’envolent à nouveau

La bride est lâchée. À peine six mois après la décision du tribunal administratif de mettre un terme à l’encadrement des loyers dans la capitale, les bailleurs qui pratiquent des prix supérieurs à ceux du marché sont de plus en plus nombreux. Selon une étude publiée hier par l’association Consommation logement, cadre de vie (CLCV), le nombre de propriétaires qui pratiquent des prix conformes à ceux encadrés est, pour la première fois depuis 2015, repassé sous la barre des 50 %. En un an il a chuté, passant de 61 % à 48 %, note l’organisation, qui a étudié à la loupe plus de 1 000 annonces immobilières. « À peine l’annulation de l’encadrement a-t-elle été prononcée que les bailleurs en ont profité pour revoir leurs pratiques et majorer leurs loyers dans des proportions supérieures à celle du marché », constate, inquiète, CLCV. La mesure phare de la loi Alur, mise en œuvre il y a deux ans dans la capitale, avait permis de stabiliser les montants. C’est du passé.

« Pour les locataires, cette situation est très problématique »

Le non-respect de règles d’encadrement a un coût. En moyenne, les dépassements par rapport aux prix autorisés atteignent 128,09 euros par mois, soit 1 537,08 euros par an. Mais certaines hausses peuvent être beaucoup plus importantes. L’étude de CLCV donne l’exemple d’un deux-pièces de 27 m2 dans le 18e arrondissement loué 1 260 euros au lieu de 828,90 euros, soit 5 463,60 euros de plus par an à sortir de sa poche pour le locataire. Dans le 16e, un meublé d’une pièce loué 218,70 euros de plus que le prix encadré coûte 2 624,40 euros supplémentaires par an à son occupant. Une somme très importante, voir rédhibitoire, pour des salariés au Smic ou légèrement au-dessus et qui doivent déjà faire de nombreux sacrifices pour pouvoir se loger dans la capitale. « Pour les locataires, cette situation est très problématique car elle va avoir un impact direct sur leur pouvoir d’achat », note l’organisation de défense des consommateurs. Elle s’inquiète aussi des « risques d’effet boule de neige » sur un marché déjà très tendu, puisque les nouveaux tarifs appliqués vont devenir la référence pour la fixation des prix à venir.
L’augmentation du nombre d’appartements mis en location à des prix supérieurs à ceux définis par les règles d’encadrement est, plus ou moins, identique selon le nombre de pièces (autour de 10 % en plus pour les une, deux et quatre-pièces, seuls les trois-pièces se révèlent stables). Mais ses effets touchent plus les petites surfaces. En raison de l’importance de la demande, leurs prix au mètre carré étaient déjà plus élevés que ceux des grands appartements. Elles ont été en plus, à partir de 2015, moins nombreuses à pratiquer des prix conformes à la législation. Ce bond des prix des petites surfaces est d’autant plus dommageable qu’il vise des logements occupés par des jeunes, des étudiants ou des publics fragiles économiquement.
L’encadrement « instaure un garde-fou et limite les abus de certains bailleurs qui n’hésitent pas à pratiquer des loyers très élevés pour des logements qui ne le justifient nullement », observe CLCV, qui demande sa remise en place dans sa version initiale, et non pas sur la seule base du volontariat des communes, comme le propose la nouvelle loi logement (loi Elan) du gouvernement.
« Est-ce qu’on considère qu’on doit laisser le marché agir tout seul dans nos grandes métropoles ? interroge Ian Brossat, adjoint PCF en charge du logement à la Mairie de Paris, en réaction aux données de CLCV. Si on le laisse, les classes moyennes seront obligées de partir, et moi je souhaite que Paris reste une ville mixte, accessible à des gens qui travaillent et qui ont des revenus moyens, et ça, ça suppose d’éviter que les prix des loyers s’envolent. » Opposée dès le départ à la remise en cause de l’encadrement qu’elle avait été la première à instaurer, la municipalité a annoncé que, conformément à une disposition taillée sur mesure de la loi Elan, elle allait, dès septembre, la remettre en place.
Réhabilitation en trompe-l’œil de l’encadrement
Le gouvernement a réintroduit l’encadrement des loyers dans sa loi Elan, mais sous une forme édulcorée. La mesure pourra, pendant cinq ans, être adoptée sur une base volontaire par une communauté de communes ou par certaines métropoles. Elle sera conditionnée à la mise en place préalable d’un observatoire des loyers. Prévu à l’origine pour être appliqué dans 28 agglomérations, l’encadrement avait vu sa portée limitée par une décision unilatérale du premier ministre Manuel Valls. Seul Paris, puis Lille l’avaient appliqué, avant que la justice annule en 2017 leurs arrêtés, estimant que l’application de l’encadrement à une seule commune était contraire à la loi.

vendredi 27 juillet 2018

CSG sur les retraites, oui ou non la hausse sera-t-elle compensée ?

CSG sur les retraites, oui ou non la hausse sera-t-elle compensée ?

Jeudi, 19 Juillet, 2018
100 000 retraités modestes n’ayant pu échapper à la hausse de 1,7 point de la CSG ne savent toujours pas s’ils vont obtenir compensation comme promis. Le point ainsi qu’un rappel des taux et cas d’exonération.

L’inquiétude légitime exprimée par certains retraités dont la situation les expose à la hausse de la CSG alors que leur niveau de revenu fiscal de référence se situe au-dessus mais proche de ceux retenus pour l’application du taux plein de CSG a incité le Premier ministre à annoncer, en mars sur BFMTV (photo ci-contre)  que des mesures spécifiques seraient prises pour 100 000 ménages.
Or ces mesures qui concernent 100 000 retraités « n'ont curieusement à ce jour pas fait l'objet d'un ciblage particulier », a constaté Jöel Giraud, rapporteur général des finances, page 127 du
Selon lui, "la suppression programmée pour 2020 de la taxe d’habitation pour compenser la hausse de la CSG  se traduira pour « 6,4 millions de ménages retraités seront perdants en 2018 pour un montant moyen de 380 euros ; 4,4 millions en 2019 (pour 400 euros en moyenne) et 3,2 millions en 2020 (500 euros en moyenne). »
Parmi eux combien seront compensés de la hausse de la CSG et surtout quand  comme promis, en mars, par le Gouvernement ?
Interrogé par le rapporteur général dans le questionnaire transmis dans le cadre des travaux préparatoires au présent rapport ainsi que, de vive voix, lors du contrôle sur place effectué le 5 juillet 2018 dans les locaux de la direction de la législation fiscale, les services compétents (Bercy) ont indiqué que la mesure était en cours d’expertise.
Curieusement, cette expertise ne semble pas avoir eu lieu avant l’annonce du Premier ministre. Ainsi aucun élément de calendrier n’a été transmis au rapporteur général qui reste particulièrement attentif aux propositions du Gouvernement sur ce sujet.
Vous le lirez -  -  le rapport confirme qu’une majorité de retraités sont perdant (jusqu’en 2020 pour l'instant) dans le deal hausse de la CSG/ suppression de la taxe d’habitation et des cotisations maladie et chômage part salariale.

 

6 points clés pour comprendre

1.- La hausse de 1,7 point qui s’applique sur les retraites depuis janvier correspond à une augmentation de 25% de la CSG pour 9 millions de retraités, soit une ponction dans leurs portes-monnaies de 4,5 milliards d’euros par l'Etat.
2.- Seuls les retraités percevant plus de 1 200 euros nets  par mois sont théoriquement concernés par cet « effort  en faveur des salariés ». Or il faut savoir que le plafond en dessous duquel les retraités échappent à la hausse de la CSG est basé non pas sur la retraite mais sur le revenu fiscal de référence (net imposable) 2016 dont le montant pour 2018 a été arrêté à 14 404 euros pour une part de quotient familial (1 200 euros nets par mois) + 3 846 euros par demi-part supplémentaire (320 euros nets par mois). Ce qui veut dire que ce barème peut très vite être dépassé selon la situation familiale (notamment pour les couples), des revenus supplémentaires tout particulièrement les retraites de réversion etc. Ce qui change tout et qui explique que, faute d'information, beaucoup de retraités ont cru que seule leur retraite personnelle était prise en compte.
Ce sont ces retraités à qui le Premier ministre a pomis des mesures compensatoires.
Quelques exemples :
- Anne, ancienne infirmière, perçoit 970 euros nets de retraite et son mari Jean, ancien employé municipal 1 010 euros nets, tous deux en limite du  se voient ponctionner sur leur revenu commun 34 euros par mois et non pas 0 euro chacun.
- Michel, ancien instituteur célibataire perd 35 euros mensuels sur sa pension de 2 058 euros nets parce que ces retraites complémentaires lui font dépasser le plafond de 1 200 euros nets.
- Annie qui perçoit 1 120 euros par mois n’avait pas compris que le plafond pour échapper à la hausse de la CSG est basé sur le revenu fiscal de référence qui prend en compte les revenus de la famille. Or son mari touche 2 500 euros nets par mois. Le couple subira donc la hausse de la CSG sur leurs retraites.
- Sandrine perçoit 900 euros nets de retraite par mois + 500 euros de retraite de réversion de son mari décédé, le montant total dépassant 1 200 euros, elle subit la hausse de la CSG.
Ajoutons un cas courant : le mari ou la femme est salarié(e) alors que l’autre est à la retraite. C’est ainsi que sur sa fiche de retraite de janvier, le (la) retraité(e) du couple dont la pension se monte à 2 100 euros net, a perdu 42,50 euros sur sa pension (510 euros en moins en 2018). La compensation de la hausse de la CSG par la baisse des cotisations maladie et chômage sur la fiche de paie du conjoint salarié ne suffit pas à compenser cette ponction.
3.- Posons aussi la question : 1 200 euros nets par mois, seuil de la hausse de 1,7 point de la CSG pour une part de quoitien familial est-ce vraiment un critère de richesse ? Les chiffres fournis par la CNAV (Caisse nationale d’assurance vieillesse) indiquent que pour 5,17 millions de retraités, la retraite de base se monte en moyenne à 1 086 euros par mois (à comparer avec le seuil de pauvreté ci-dessus). Précisons que à carrière égale, retraite inégale pour les femmes qui perçoivent une retraite inférieure à celle des hommes (en moyenne 1 004 euros nets par mois contre 1 159 euros).
4.- Rappelons que les retraités imposés à la CSG au taux plein (8,3%) se voient déjà prélever une   depuis le 1er avril 2013 au taux de 0,30%. Cette CASA normalement destinée au financement de l’APA (Allocation personnalisée d’autonomie) comme c'est déjà le cas d'une partie de la CSG (!) servirait à d’autres fins selon l' UNA-Union Nationale de l'Aide, des soins et des services à domicile qui dénonce le 
Autre inquiétude des acteurs associatifs la diminution de la part de la CASA affectée au financement de l'aide à domicile - 
Ajoutons 2 autres taux qui font baisser la retraite :
- la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) de 0,50% sur 100% de la pension de retraite brute,
- la CSS (contribution spécifique de solidarité) qui depuis le 1er juillet 2014 consiste à prélever sur le salaire des retraités de plus de 65 ans qui cumulent retraite et emploi 2,4% au titre du chômage… pour rien puisque une personne en retraite n’est théoriquement jamais au chômage !
5.- La hausse de la CSG de 1,7 point sur les retraites qui y sont soumises n’est pas compensée par la suppression des cotisations maladie et chômage qui compensent la hausse de la CSG de 1,7 point sur les salaires, ni par la revalorisation de 0,8% des retraites de base au 1er octobre 2017 prévue par  ... ridicule face aux augmentations qui ont lieu depuis le 1er janvier 2018. On appelle cela "un coup de pouce"
6.- Quant à la compensation par la diminution voire la suppression de la taxe d’habitation, ce ne sera pas avant octobre 2018 - Notre article Et ça ne comblera pas toujours la hausse de la CSG.
Est-ce une compensation ? L'augmentation de 1,7 point est déductible des impôts. Vous le lirez ci-après la CSG comporte une part déductible.

 

Les nouveaux taux de la CSG et les cas d’exonération 

- 8,3% dont 5,9% déductibles des impôts pour tous les retraités seuls ou mariés dont le  de l’année n - 2 , soit de l’année 2016 (avis d’imposition 2017) pour la CSG 2018, est égal ou supérieur à 14 404 euros pour une part de quotient familial auxquels s’ajoutent 3 846 euros par demi-part supplémentaire (un couple de retraité qui fait une déclaration commune bénéficie de 2 parts de quotient familial. Le revenu net de référence servant de seuil à la hausse de la CSG est donc de 22 096 euros (1 841 euros par mois).
3,8% (déductibles) pour les retraités dont le revenu fiscal de référence 2016 (avis d’imposition 2017) est compris entre 11 018 euros et 14 404 euros pour une part de quotient familial, 13 960 euros et 18 250 euros pour 1,5 part de quotient familial, 16 902 euros et 22 096 euros pour 2 parts de quotient familial (ajoutez respectivement 2 942 et 3 846 par demi-part en +).
 - exonération totale de la CSG pour les retraités dont le revenu fiscal de référence (net imposable) 2016 (année n – 2) ne dépassera pas 11 018 euros en 2018 (10 996 € en 2017) pour une part de quotient familial + 2 942 euros (2 936 € en 2017) par demi-part supplémentaire  
Précisons qu’avant 2015, le droit au taux réduit ou à l’exonération de la CSG dépendait du montant de l’impôt payé et non du revenu net imposable comme c’est aujourd'hui le cas.
Pour comprendre votre taux de prélèvement, exemple à l'appui cliquez sur le site de l'
Sont également exonérés de ces trois contributions sociales les retraités qui perçoivent l’ou  l'ou la ou  ou encore une pension militaire d’invalidité ou de victimes civiles de guerre.

jeudi 26 juillet 2018

Constitution. Cet été, Emmanuel Macron veut se tailler un régime sur mesure

L’Assemblée nationale examine en ce moment le premier texte d’une réforme qui vise à soumettre définitivement le Parlement aux desiderata de l’exécutif. Face à ce projet, qui menace aussi la Sécurité sociale, les parlementaires PCF réclament un référendum.
Depuis la victoire des Bleus en finale de la Coupe du monde, des montages montrant un Emmanuel Macron qui exulte dans les gradins à l’idée de pouvoir dorénavant faire passer n’importe quelle réforme tournent en boucle sur les réseaux sociaux. Tout y passe : retraites à 75 ans, explosion de la TVA, suppression de la Sécurité sociale… Ce qui pourrait ici ressembler à une bonne blague sur l’opportunisme et le cynisme du président de la République n’en est pourtant pas une : depuis le 10 juillet, l’Assemblée nationale examine en séance publique un projet de réforme des institutions. En catimini, en plein été, souvent au cœur de la nuit, la Macronie se livre à une réécriture de la Constitution. Elle ne fait absolument rien – bien au contraire – pour provoquer et nourrir le grand débat public et citoyen nécessaire et indispensable, en démocratie, lorsqu’il s’agit de toucher à la loi fondamentale d’un pays. C’est pourquoi les parlementaires communistes, députés et sénateurs, ont fait le serment, le 9 juillet à Versailles, devant la salle du Jeu de paume, de tout faire pour obtenir un référendum (voir ci-contre). « Nous pétitionnerons dans tout le pays jusqu’à obtenir satisfaction », a prévenu Pierre Laurent, secrétaire national du PCF. Car le projet de réforme en cours entend s’attaquer frontalement au cœur même du fonctionnement démocratique de la République, à la séparation des pouvoirs, et même à la Sécurité sociale, comme l’ont démontré les débats au Parlement.

Une diminution de 30% du nombre de parlementaires

Certes, tout le monde s’est entendu, ou presque, pour supprimer le mot « race » de la Constitution, comme le proposaient les communistes depuis des années, et pour y assurer l’égalité de tous « sans distinction de sexe ». L’action pour « la préservation de l’environnement » a également été consacrée. Mais le torchon a très vite brûlé lorsque plusieurs groupes d’opposition ont souhaité fixer le nombre actuel de parlementaires dans la loi fondamentale, afin d’empêcher le gouvernement d’amputer demain les effectifs de la représentation nationale. L’exécutif considère en effet que la démocratie sera plus « représentative, responsable et efficace » avec beaucoup moins de députés et de sénateurs. Il souhaite faire adopter trois textes pour 2019 : un constitutionnel, un organique et un ordinaire, qui, additionnés, composeront une réforme globale des institutions. Et l’une des mesures phares prévoit justement une diminution de 30 % du nombre de parlementaires, soit la plus drastique depuis Napoléon III, qui ferait de la France le pays comptant le moins de parlementaires par habitants en Europe. Une autre propose de restreindre fondamentalement le droit d’amendement. Soit en ne l’autorisant qu’en commission, soit en augmentant la possibilité de les considérer comme « hors sujet », réduisant de fait considérablement le rôle législatif des parlementaires. Raccourcir le temps d’examen des projets de loi au Parlement, inclure une dose homéopathique de proportionnelle aux législatives, redessiner à la hache les circonscriptions, transformer le Conseil économique, social et environnemental (Cese) en « chambre de la société civile », en plus de l’amputer d’un tiers de ses membres, sont aussi, entre autres, au menu.
Face à un tel programme, la majorité des députés LR a dénoncé « la domestication, la décomposition et la démolition de l’Assemblée nationale », dans une tribune publiée par le Journal du dimanche. Valérie Rabault, présidente du groupe Nouvelle Gauche (PS), y voit aussi une « réduction du pouvoir parlementaire » impossible à cautionner. André Chassaigne, chef de file des députés PCF, a tancé lors du Congrès de Versailles un régime « brutalisant la démocratie », dont l’objectif est de constitutionnaliser une « dérive oligarchique » afin de mettre en place une « technocrature ». Le coprésident du groupe UDI-Agir, Jean-Christophe Lagarde, a, lui, annoncé qu’il ne votera qu’en fonction de la globalité des trois textes, à condition que le Parlement en sorte renforcé. « La présidentialisation, ça veut dire un vrai Parlement. Sinon, c’est une monarchisation », a-t-il prévenu.

« Une atteinte gravissime, à la séparation des pouvoirs »

Fait inédit, Emmanuel Macron lui-même, en plein Congrès, le 9 juillet, a annoncé un amendement présidentiel visant la réforme de la Constitution, afin qu’il puisse écouter les réponses des parlementaires avant d’avoir le dernier mot à Versailles. « Une atteinte sans précédent, gravissime, à la séparation des pouvoirs », s’indigne le député PCF Sébastien Jumel. Au motif que le premier ministre est normalement seul responsable devant le Parlement, de nombreux groupes parlementaires ont dans la foulée accusé Macron de vouloir devenir « président-premier ministre ». Non seulement parce que le président n’a pas à amender les lois, mais aussi parce qu’il n’a pas à débattre avec le Parlement. Macron pensait ici répondre à ses détracteurs. À l’instar des députés FI, qui ont boycotté le Congrès, refusant d’assister à un discours du trône unilatéral. Mais le président s’est au final enfoncé davantage, selon Jean-Luc Mélenchon. « S’il écoute et répond, c’est un discours de politique générale. Cela le met à un doigt d’un vote de confiance », c’est-à-dire d’une possible censure par le Parlement, a ironisé l’insoumis.
L’hôte de l’Élysée maîtrise en tout cas ses troupes à l’Assemblée, totalement caporalisées et allongées devant ses desiderata, ce qui est en soi déjà un grave problème démocratique. La preuve, c’est que Richard Ferrand, président du groupe LaREM et rapporteur général du texte constitutionnel, s’était, plusieurs jours avant le Congrès, opposé à ce que le président de la République puisse écouter et répondre lors d’un Congrès. Lors des débats en commission des Lois, il estimait que cela revenait à remettre « en jeu la position de non-responsabilité devant le Parlement ». Mais ça, c’était avant que le monarque ne dise l’inverse. Depuis, Ferrand soutient l’idée d’un débat au Congrès, et a fort opportunément appuyé un amendement allant en ce sens en séance publique. Les députés LaREM n’ont même pas eu à le rédiger, puisque c’est Jean-Christophe Lagarde qui l’a déposé. Le député UDI s’est d’ailleurs défendu d’être « le poisson-pilote » de Macron sur cette question, argumentant qu’il est favorable à un débat au Congrès depuis 2008, et qu’il avait rédigé cet amendement avant la parole du roi…

Des tractations de couloirs entre le gouvernement et le Sénat

Reste que des questions fondamentales d’équilibre et de concentration des pouvoirs sont actuellement débattues dans le plus grand silence de juillet. « Nous allons tout droit vers un système présidentialiste à l’américaine, mais avec un Parlement français beaucoup moins fort que le Congrès américain. Nous allons cumuler tous les défauts de ces deux systèmes », s’alarme le député FI Éric Coquerel. Le tout grâce à des tractations de couloirs entre le gouvernement et le Sénat, dont le président, Gérard Larcher (LR), a obtenu qu’il y ait demain au moins un sénateur et un député par département. En matière de représentativité des territoires, de lien avec les citoyens et de garantie de pluralisme, on a sans doute vu mieux…
Quant aux électeurs, il n’est absolument pas prévu qu’ils soient consultés. Certes, il serait pour le moins surprenant de voir la majorité LaREM lancer un processus constituant. « Nous n’avons pas été élus pour ça », rappelait en novembre le président de l’Assemblée nationale, François de Rugy. Mais examiner au milieu de la nuit des amendements rédigés le plus discrètement possible est plus que problématique, surtout quand ils concernent, par exemple, la Sécurité sociale, qui touche de très près la vie de tous les jours des Français. Après avoir écrit une proposition de suppression de quasiment toutes les mentions de la Sécurité sociale dans la Constitution, le député LaREM Olivier Véran a reformulé un amendement qui vise toujours à transformer fondamentalement ce pilier de notre modèle social, sans prévenir, et « sans mener les débats nécessaires dans la société », regrette le communiste Pierre Dharréville. Voilà pourquoi les parlementaires PCF lancent une pétition pour un référendum. « On ne peut pas imaginer de changer notre Constitution sans organiser un référendum (…). Nous exigeons donc que les Français et les Français, toutes celles et ceux qui vivent et travaillent dans notre pays, soient consultés », insiste Pierre Laurent.
Aurélien Soucheyre

mercredi 25 juillet 2018

Mondialisation. Entre Trump et Juncker, des projets néolibéraux pas si éloignés

Derrière ses outrances décrivant l’Union européenne comme une « ennemie », le président américain veut imposer un libre-échange sapant les normes sociales et environnementales. Un projet qui coïncide, au fond, avec celui des institutions européennes…
Même les paranoïaques ont des ennemis. Avec Donald Trump, cette sagesse en vigueur dans les cercles diplomatiques prend tout son sens : un an et demi après son arrivée à la Maison-Blanche, le président américain cajole certains de ses adversaires historiques, comme la Russie ou la Corée du Nord, et cogne systématiquement tous ses alliés… Que des ennemis, partout : au moment où il menace de déclencher une guerre économique d’une ampleur inédite contre la Chine – mais pas seulement –, on aura probablement une nouvelle illustration de ce principe directeur avec la réception à Washington, ce mercredi, de Jean-Claude Juncker. Ce président de la Commission européenne qui, l’air débonnaire, comme enivré par les sommets, embrasse, tape sur la joue ou plaisante systématiquement avec les autres chefs d’État dans les séances photos officielles, Donald Trump l’a décrit il y a quelques semaines comme une personnalité « brutale ». Dans la même veine, il a explicitement placé l’Union européenne (UE) au premier rang des « ennemis » des États-Unis, devant la Russie et la Chine, l’accusant de « profiter » des États-Unis « du point de vue commercial ». Contre toute vérité – la dimension atlantiste de la construction européenne est largement connue –, le président américain décrit, d’une manière générale, l’Union européenne comme un conglomérat « créé pour prendre le dessus sur les États-Unis ».
Obnubilé par sa conception de la « négociation d’homme à homme », avec concours de serrage de pinces, Donald Trump cherche, sans s’en cacher, à faire imploser l’Union européenne pour négocier directement des accords commerciaux avec les États membres, dans un rapport de forces qu’il imagine bien plus favorable. Il salue systématiquement l’arrivée au pouvoir des partis les plus réactionnaires et racistes, comme en Italie ou en Autriche, alors que son ex-idéologue Steve Bannon s’apprête à lancer une fondation destinée à financer les extrêmes droites européennes. Mais surtout, il instrumentalise le Brexit : lors de son récent séjour au Royaume-Uni, il en a fait des tonnes pour défendre la perspective d’une sortie du pays sans accord avec l’UE – de quoi renforcer « une guerre commerciale » qui, se réjouit l’éditorialiste de l’hebdomadaire conservateur The Spectator, « pourrait provoquer un choc qui forcera l’UE à ouvrir son marché agricole et à promouvoir un commerce plus libre, sans interdiction injustifiée des aliments aux OGM et du poulet lavé à l’eau de Javel ».
Derrière les multiples provocations et les outrances, sous les habits « protectionnistes » dont il s’est opportunément paré pour s’emparer de la Maison-Blanche, Trump vise au fond une nouvelle étape de dérégulation néolibérale et du libre-échange. Les accords multilatéraux de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont vécu, et les discussions sur la plupart des grands accords commerciaux, dits « de nouvelle génération », patinent, grâce à la pression citoyenne sur les dégâts environnementaux, sanitaires et sociaux causés par un commerce international basé sur les principes de dérégulation et d’ouverture effrénée à la concurrence.

la Maison-Blanche veut casser les normes sociales

Le président américain compte peut-être changer d’échelle pour le libre-échange, mais sans surprise, il ne remet aucunement en cause ses fondements… Au contraire, il les radicalise : tout en agitant la menace d’une nouvelle tournée de hausse des droits de douane, qui, après celle fixée pour l’acier et l’aluminium, toucherait le secteur automobile européen (lire notre encadré), son administration fait ainsi savoir, à la veille de la rencontre avec Jean-Claude Juncker, que les États-Unis attendent une offre européenne de grande ampleur, baissant notamment toutes les normes sociales, sanitaires et environnementales. Ces fameux « obstacles non tarifaires » au commerce sont dans le collimateur des multinationales et des grandes entreprises agroalimentaires notamment. « Tout accord de libre-échange avec l’UE devra aller bien au-delà des droits de douane, avertit Steven Mnuchin, ex-banquier d’affaires chez Goldman Sachs nommé secrétaire au Trésor par Donald Trump. Cela devra concerner tous les obstacles non tarifaires ainsi que les subventions publiques. Cela devra être un accord sur tous ces sujets ! »
Sur ce plan, les institutions européennes ne sont sans doute pas aussi éloignées qu’elles le prétendent du président américain. Si Jean-Claude Juncker affirme qu’il va à Washington « sans offre » et avec l’ambition de trouver le chemin d’une « désescalade », l’UE, qui revendique crânement son attachement au « libre-échange », milite également depuis des années pour la levée des « obstacles non tarifaires », comme l’a démontré l’approche de la Commission européenne dans la négociation discrète sur le traité transatlantique (Tafta ou TTIP). À propos des « subsides », lors de sa dernière réunion, le 28 juin, le Conseil européen, rassemblant les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Huit, a lancé un ballon d’essai en appelant l’UE à « répondre à toutes les actions de nature protectionniste, y compris celles qui mettent en question la politique agricole commune (PAC) ». Signe exemplaire d’ouverture néolibérale partagée d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique : même les paranoïaques n’ont pas que des ennemis…
Donald trump menace le secteur automobile européen
C’est via ses habituels micromessages sur Twitter que le président américain, Donald Trump, a défendu hier sa stratégie. « Les tarifs douaniers sont les meilleurs, fanfaronne-t-il. Soit un pays qui a traité les États-Unis de manière injuste sur le commerce négocie un accord juste, soit il est frappé de tarifs douaniers. » La Maison-Blanche menace de droits de douane les importations de voitures européennes. De quoi engendrer une nouvelle riposte de Bruxelles, qui, après l’attaque sur l’acier et l’aluminium, a décidé de taxer des motos et des jeans emblématiques des États-Unis. « L’Europe ne se laissera pas menacer par le président Trump. Car si nous le permettons une fois, alors nous devrons faire face à ce type de comportement de plus en plus souvent », réplique Heiko Maas, le chef de la diplomatie allemande.

L'Apartheid institutionnalisé en Israël


Israël vient de s'engager dans une voie dangereuse et antidémocratique. En effet, son gouvernement, en votant ce jeudi 19 juillet par 62 voix contre 55 et 3 abstentions la loi fondamentale faisant d'Israël l'Etat-nation du peuple juif, enterre tout espoir de paix.
Le rapporteur de cette loi, le député du Likoud Avi Dichter n'a laissé planer aucun doute en déclarant: « Nous avons fait cette loi fondamentale pour empêcher la moindre velléité ou tentative pour transformer l'Etat d'Israël en une nation de tous ses citoyens. »
Au bout de sept ans, la lutte menée sous la pression des extrémistes nationalistes et religieux a abouti. Israël s'affirme dorénavant comme un état d'apartheid, où ne seront plus reconnus les mêmes droits aux citoyens juifs et aux citoyens palestiniens d'Israël.
Parmi les conséquences de cette nouvelle situation, seuls les Juifs ont droit à l'autodétermination; la langue arabe n'est plus la deuxième langue officielle d'Israël , Jérusalem est totalement annexée , et « le développement des communautés juives », considérées comme « valeur nationale »..
En 1948, dans la déclaration d'indépendance qui proclamait « la fondation de l'Etat juif dans le pays d'Israël » il était écrit: " il [l’État] assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction, de croyance, de race ou de sexe".
Soixante dix ans après, ces principes sont trahis et l'apartheid est officiellement légalisé. 
La France comme signataire de la convention internationale contre le crime d'apartheid doit agir ! Le Parti Communiste Français en appelle instamment à Emmanuel Macron, président de la République, de ne plus se contenter d'une prudente réserve. Il en va de l'avenir de deux peuples; un avenir préservant le droit et la justice, seuls garants de la paix
Le PCF continue d'exiger  la reconnaissance de l’État de Palestine avec Jérusalem-Est comme capitale et la suspension de l'accord d'Association Union européenne/Israël.

mardi 24 juillet 2018

Affaire Benalla : "Pour une 6eme République citoyenne" (Pierre Laurent)

La suspension, jusqu'à nouvel ordre, du débat parlementaire sur la révision constitutionnelle, que réclamaient les communistes, est un premier recul de l'Élysée obtenu sous la pression parlementaire.
Maintenant, la vérité doit être établie en urgence sur le scandale Benalla. Les député-es, les sénateurs et les sénatrices communistes s'y emploieront notamment dans le cadre des commissions d'enquête parlementaire.
Le débat constitutionnel ne pourra reprendre sur les bases sur lesquelles il était engagé, en tenant les citoyens à l'écart. Il ne faut plus renforcer mais diminuer le pouvoir personnel du Président de la République. C'est à une véritable République démocratique qu' il faut retravailler, une VIème République citoyenne.

lundi 23 juillet 2018

Le débat constitutionnel au Parlement doit être suspendu (Pierre Laurent)

Jusqu'à quand le scandale va-t-il durer sous les yeux effarés du pays tout entier? En quelques jours seulement, l'affaire Benalla est devenue une affaire Macron. Devant le scandale d'État que constituait la présence et les agissements de ce barbouze au plus niveau de l'État, les tergiversations et les mensonges de l'Elysée soulèvent chaque jour de nouvelles interrogations sur les raisons de sa protection, y compris au détriment des services de police.

Sans les révélations du Monde, personne ne saurait rien et tout continuerait comme avant. Sans la pression des parlementaires, il n'y aurait pas de commission d'enquête comme l'avaient demandé les députés communistes tout de suite après le 1er mai.

Aujourd'hui encore, malgré les demandes réitérées au Parlement, notamment par nos deux groupes à l'Assemblée nationale et au Sénat, le gouvernement refuse de s'expliquer.

L'affaire est grave. Toute la vérite doit être faite. La chaîne de responsabilités doit être établie et les sanctions prises en conséquence ainsi que les garanties données qu'il sera mis fin à ces agissements, ceux de Benalla ou tout autre équivalent.

Le débat constitutionnel au Parlement doit être suspendu au moins jusqu'à la fin des travaux des deux commissions d'enquête à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Car cette affaire montre le danger qu'il y a à accroître encore les pouvoirs personnels du Président. Le Président a trop de pouvoirs, la preuve en est une nouvelle fois faite. C est d'une autre Constitution dont le pays a décidément besoin. La leçon doit être retenue.


Pierre Laurent, secrétaire national du PCF

dimanche 22 juillet 2018

Affaire Adama Traoré « L’État et la justice ont fait de nous des soldats malgré nous »

Après un nouveau report accordé aux experts médicaux, deux ans après la mort d’Adama Traoré dans une gendarmerie, la famille crie au déni de justice et appelle à une marche anniversaire, ce samedi, à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise).
Depuis trois semaines, Assa Traoré court les ­quartiers. Grigny, Ivry-sur-Seine, Sarcelles, Clichy-sous-Bois… Une tournée auprès des habitants pour mobiliser contre les violences policières et dénoncer une justice à deux vitesses. Il y a deux ans, le 19 juillet 2016, son frère Adama Traoré mourrait par asphyxie à la gendarmerie de Persan (Val-d’Oise), après une interpellation. Pendant quelques heures, les gradés tairont son décès. Et le quartier Boyenval prendra feu, rappelant à tous les émeutes de 2005 après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).
Deux ans plus tard, la justice est au point mort. Mais Bagui, Yacouba, Youssouf, Serene et Samba, cinq des frères d’Adama, ont été condamnés pour bagarre, trafic ou outrage. Sans traîner. « Un acharnement judiciaire » dénoncé par le comité Justice pour Adama. « On se bat contre les institutions les plus puissantes qui sont l’État et la justice. Ils ont déclaré la guerre à la famille Traoré et ils ont fait de nous des soldats malgré nous. Pour casser le combat, pour qu’on puisse arrêter, on a mis mes frères en prison et on leur a donné les peines maximales », accuse sans relâche leur sœur, Assa Traoré.
Du côté des uniformes, le temps ne s’est pas écoulé avec la même rapidité. Deux ans après le drame, les gendarmes présents lors de la mort d’Adama n’ont pas encore été auditionnés par la justice. Malgré la révélation par la presse de rapports divergents entre pompiers et gendarmes sur la position de la victime au moment de sa mort. Malgré la contre-expertise médicale ne faisant plus le lien entre une anomalie cardiaque décelée et sa mort après compression thoracique. Malgré la mutation du procureur de la République de Pontoise, mais aussi le dépaysement de l’affaire à Paris, obtenu par Me Yassine Bouzrou, avocat de la famille Traoré.
Qu’attend donc aujourd’hui la juge d’instruction pour entendre enfin les gendarmes ? Une dernière synthèse des expertises médicales. Une attente intenable pour la famille, dans une affaire qui piétine depuis deux ans. Or, cette semaine, la justice vient de tousser à nouveau. Quelques jours avant la date anniversaire de la mort du jeune Traoré, qui aurait 26 ans aujourd’hui, cette fameuse conclusion vient encore d’être repoussée. « La juge bloque l’affaire », s’indigne Assa Traoré, qui défend inlassablement la mémoire de son frère. Commandée en janvier 2018, la synthèse devait être réalisée avant le 15 mai. Une première prorogation avait été acceptée et devait prendre fin à la mi-juillet, juste quelques jours avant la marche anniversaire réclamant « Justice et vérité pour Adama », à Beaumont-sur-Oise, qui se tiendra ce samedi 21 juillet. Mais une source proche de l’enquête nous informait mercredi qu’un nouveau délai avait été autorisé par les magistrats instructeurs, jusqu’au 30 septembre 2018. Une procédure très longue, hors norme. « C’est déplorable, honteux. Les gendarmes sont encore en liberté, s’offusque Assa Traoré. Ils n’ont toujours pas été entendus par la juge, ni mis en examen. Judiciairement, il ne se passe toujours rien. Dans l’affaire de mon frère, on connaît la vérité, il y a des expertises qui sont sorties. Nous en sommes à la troisième. Vous imaginez trois gendarmes, 240 kilos, sur le corps d’un seul homme ? »

Assa Traoré dans les facs occupées et aux côtés des postiers

Si la conclusion attendue des experts conditionnait l’audition nécessaire des gendarmes, elle devait également entraîner une reconstitution enfin acquise par la famille de la victime, constituée partie civile dans l’affaire. Magistrats et experts ont préféré prendre leur temps. Une décision périlleuse dans le contexte actuel, où violences policières et bavures réapparaissent à la une des journaux. Le 3 juillet dernier, un policier, à Nantes, tuait Aboubakar Fofana, 22 ans, d’une balle dans la gorge. Après avoir évoqué la légitime défense, le CRS mis en examen a parlé de « tir accidentel ». Une enquête a été ouverte… mais à la suite de plusieurs jours d’émeutes. Une semaine plus tôt, l’IGPN publiait pour la première fois, contrairement à de nombreux pays aux statistiques plus transparentes, le nombre de personnes blessées ou tuées par la police nationale, soit 14 morts et une centaine de blessés entre le 1er juillet 2017 et le 31 mai 2018. L’IGPN remarque aussi cette année une hausse de 54 % de l’usage d’armes à feu par les policiers. Or, depuis février 2017, une loi a élargi le périmètre autorisant un agent à tirer dans le cadre de la légitime défense. La police des polices refuse d’y voir une relation de cause à effet.
De son côté, depuis un an, le comité Justice pour Adama agit sur le terrain, franchit le périphérique pour alerter et rassembler autour de son combat. On pouvait rencontrer Assa Traoré sur les bancs de Tolbiac ou de Saint-Denis pendant l’occupation des universités, l’écouter dans les manifestations contre la loi travail avec le front social, en soutien aux postiers en lutte, dans la marche des fiertés, « braquer » le cortège de tête lors de la marée populaire anti-Macron ou encore plus récemment aux côtés de la féministe américaine Angela Davis. « Le combat Adama, c’est un combat rassembleur, qui doit être porté par toute la France, par toutes les classes sociales, explique Assa Traoré. Qu’importe d’où tu viens. Dans les quartiers populaires, cela fait longtemps qu’on tue. Quand elle atteint aussi vos classes sociales, ne soyez pas spectateurs de ce qui nous arrive. »

« Le comportement policier n’a pas changé en trente ans »

Aux militants associatifs ou syndicaux victimes de violences policières qui évoquent la convergence des luttes, Assa Traoré dit préférer le mot « alliance ». Chacun peut ainsi sauvegarder l’identité de son combat et rester son « propre porte-parole », tout en partageant une cause commune contre l’État répressif : « Nous venons dans vos luttes, déplacez-vous et venez nous rejoindre dans nos luttes. » Et le message porte ses fruits. La Fondation Copernic, FI, le PCF, le NPA, Génération.s, la Fête à Macron appellent à franchir le périph pour rejoindre la marche pour Adama, ce samedi. Des personnalités comme l’écrivain Édouard Louis ou le philosophe Geoffroy de Lagasnerie veulent aussi accompagner « ce mouvement très important, qui aujourd’hui redéfinit la gauche, redéfinit le présent, et redéfinit la politique ».
« Ce qui a changé, c’est que ce mouvement des quartiers est plus proche aujourd’hui des partis politiques, analyse Yazid Kherfi, consultant en prévention urbaine. S’il y a plus de personnes concernées, on peut faire bouger les choses. Mais le problème reste le comportement policier qui, lui, n’a pas changé en trente ans. On remet en cause toutes les institutions, sauf la police ! Créer la police de sécurité du quotidien ne changera rien si la formation initiale ne bouge pas. On a tous besoin de la police, mais d’une police sans préjugés, qui respecte la loi, son code déontologique, et qui est sanctionnée. C’est une histoire de justice. » Mais ce combat collectif et fédérateur est bien issu des quartiers. Après le ramadan, Assa Traoré a sillonné la banlieue pour raconter et toujours mobiliser. « On rentrait comme ça dans les quartiers, parfois on connaissait des habitants, on tournait. On voit qu’ils suivent, qu’ils connaissent l’affaire Adama. Samedi, ce ne sera pas la marche d’Adama Traoré, mais de tous les Adama Traoré, tous ces jeunes hommes tués par ce système-là, par ces gendarmes-là, comme si ils étaient nuisibles, et qu’il fallait les faire disparaître. Si aujourd’hui on doit faire lever tous les quartiers de France pour cette marche, il s’agit aussi de leur donner de la visibilité. Ils existent, respirent, ont un cœur. Ce sont des personnes à part entière qui veulent participer au changement de ce monde, renverser un système injuste pour participer à la construction de cette France-là. » Une France qui demandera des comptes et la justice pour Adama, ce 21 juillet, à 14 heures, en marchant à Beaumont-sur-Oise.
La sœur d’Adama, Assa Traoré, interpelle le président de la république
Dans cette lettre ouverte à Emmanuel Macron, publiée dans l’Obs ce 18 juillet, Assa Traoré s’exclame : « Je ne demande rien, monsieur le président, madame la garde des Sceaux, que ce dont vous êtes les garants. La justice. Le droit de savoir ce qui est arrivé à mon frère. Le droit de comprendre ce qui a conduit à sa mort. » Elle insiste également sur le fait que « ces questions ne sont pas seulement celles d’une famille qui considère que la vérité est une issue au deuil. Ce sont aussi les vôtres, celle de tout un pays qui doit comprendre comment il est possible de mourir à 24 ans dans une gendarmerie en France, au XXIe siècle, pour rien. Les principes fondamentaux dont vous êtes les garants vous obligent. La vie d’Adama Traoré, citoyen français, ne valait pas moins qu’une autre. Sa mort mérite des réponses ».

samedi 21 juillet 2018

Violences. Le retour des « barbouzes » de l’exécutif

Alexandre Benalla, collaborateur de l’Élysée, a fait le coup de poing dans la manif du 1er Mai sans être sérieusement sanctionné. Une illustration du clanisme qui règne au cœur du pouvoir.
«Je n’ai aucune indulgence pour la grande violence ou les tenants du désordre. » C’est ainsi qu’Emmanuel Macron commentait, depuis Sydney en Australie, les heurts du 1er Mai, préjudiciables avant tout à l’image du mouvement social. Mais le président de la République ne s’est toujours pas exprimé sur cette « grande violence » qu’a commise, le même jour, un adjoint au chef de son propre cabinet ! Sur une vidéo tournée par un manifestant place de la Contrescarpe, dans le Quartier latin, et mise en ligne par le Monde, on voit ce collaborateur, Alexandre Benalla, étrangler et violemment frapper un jeune homme au sol. Il s’avère que Benalla, alors chargé d’organiser « la sécurité des déplacements du président », avait « demandé l’autorisation d’observer les opérations de maintien de l’ordre pour le 1er Mai », précisait hier le porte-parole de l’Élysée, Bruno Roger-Petit, autorisation qui lui avait été donnée car « il agissait dans le cadre d’un jour de congé et ne devait avoir qu’un rôle d’observateur ». Or on l’a vu, portant un brassard de la police, casqué comme les CRS qu’il accompagnait, une radio Acropol du même modèle qu’eux à la ceinture, intervenir à plusieurs reprises.

il y a « usurpation de fonction » selon l’article 433-13

Hier matin, la ministre de la Justice estimait, devant l’Assemblée nationale, que « les agressions (...) témoignent de gestes absolument inadaptés ». D’autant, jugeait Nicole Belloubet, que Benalla « avait usurpé (...) une identification qui l’assimilait aux forces de police et tel n’était pas le cas ». En effet, outre les « violences par personne chargée d’une mission de service public », sanctionnées par l’article 222-13 du Code pénal de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende, il y a « usurpation de fonction », délit condamné (article 433-13) d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Le parquet de Paris a annoncé hier l’ouverture d’une enquête préliminaire sur ces deux délits, confiée à la brigade de répression de la délinquance contre la personne. Quant aux policiers présents, qui en vertu de l’article 40 du Code pénal auraient dû empêcher toute violence, ils sont visés par une enquête de l’Inspection générale de la police, décidée hier.
Des actes judiciaires à mettre au crédit de la presse, car, à tous les étages du pouvoir, on a couvert le collaborateur. Alexandre Benalla a bien été « mis à pied pendant quinze jours avec suspension de salaire », soulignait hier le porte-parole de l’Élysée, et « démis de ses fonctions en matière d’organisation de la sécurité des déplacements du président » pour « punir un comportement inacceptable ». Mais ce « dernier avertissement avant licenciement » n’a eu que peu d’impact : on a pu voir le collaborateur assurer la sécurité, à la cérémonie du Panthéon pour Simone Veil, début juillet, ou autour du bus des champions du monde de football, cette semaine. En matière de sanction, on fait pire…
Benalla n’est pas ce qu’on appelle un perdreau de l’année. Militant du Parti socialiste, il assurait, lors de la primaire du parti, en 2011, la sécurité de Martine Aubry. Il entre au service d’ordre de François Hollande pendant la campagne présidentielle de 2012, avant de devenir chauffeur d’Arnaud Montebourg… une semaine seulement : selon l’ancien ministre du Redressement productif, Benalla, après avoir été impliqué dans un accident de la circulation, aurait voulu prendre la fuite, provoquant la colère de son patron. Viré ! Mais le pouvoir ne le lâche pas puisque, selon le Monde, il intègre en 2015, sur arrêté du premier ministre Manuel Valls, la session « jeunes » de l’Institut des hautes études de la sécurité et de la justice. Pour mieux revenir en 2016, comme responsable de la sécurité du candidat d’En marche ! (lire encadré).
Il se « distinguera » plusieurs fois. En novembre 2016, Emmanuel Macron officialise sa candidature au campus des métiers de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Grégoire (1), alors militant des Jeunes communistes, assure avoir été violemment poussé vers la sortie et frappé par Alexandre Benalla et la sécurité (la vidéo est visible sur la page Facebook des Jeunes communistes de Bobigny-Drancy). « On était quatre ou cinq militants à avoir réussi à rentrer à l’intérieur, témoigne-t-il à l’Humanité. Ils sont venus directement me voir, Benalla m’a dit de dégager et m’a agrippé pour me faire sortir. » Une fois dans le couloir, poursuit-il, « j’ai essayé de me débattre pour qu’ils arrêtent de me tenir et ils m’ont mis deux coups au visage, et Benalla m’a mis une béquille. » Rebelote en mars 2017. Au meeting du candidat Macron à Caen, Benalla empoigne un photographe qui s’était approché un peu trop près du fondateur d’En marche !, relate le Monde, et le soulève du sol…

« à l’Élysée, on se croit au-dessus de tout »

Plus que sa personnalité, c’est « l’impunité » dont a bénéficié Benalla qui fait réagir l’opposition. Le président des « Républicains », Laurent Wauquiez, se demandait hier sur Europe 1 si « à l’Élysée, on se croit au-dessus de tout », supposant qu’il y a eu « des manœuvres pour tenter d’étouffer l’affaire ». Le député PCF Sébastien Jumel pointe « l’absence de réaction appropriée au sommet de l’État », sans compter que « le chef de cabinet du président de la République n’a pas jugé utile d’en informer le procureur de la République, en contradiction avec ses obligations ». Jean-Luc Mélenchon (France insoumise) va plus loin, demandant des démissions : « L’autorité de l’État a été engagée d’une manière tellement ample et tellement forte que la sanction doit être exemplaire. » Encore faut-il dégager les responsabilités, estime sur Twitter le député PCF Stéphane Peu, espérant que « François de Rugy et la majorité accepteront (sa) proposition de commission d’enquête ». Éliane Assassi, au nom du Groupe communiste du Sénat, a demandé au président de la commission des Lois, Philippe Bas, d’auditionner de toute urgence le ministre de l’Intérieur, ainsi que la garde des Sceaux et le premier ministre, « pour faire la lumière sur cette affaire » : « L’intervention des barbouzes du nouveau monde dans les mouvements sociaux » ne saurait, selon elle, être tolérée.
(1) Le prénom du militant, qui souhaite conserver l’anonymat, a été modifié.
Pendant la campagne présidentielle, les curieuses dérives sécuritaires des chefs du service d’ordre d’en marche !
C’est un épisode de la campagne présidentielle révélateur de l’état d’esprit d’Alexandre Benalla et de ses proches que révèle la lecture attentive des Macronleaks, ces échanges de courriels internes à En marche ! authentifiés par Wikileaks. En mars 2017, une société de matériel de sécurité demande confirmation à la direction du mouvement d’une commande passée par Vincent Crase, le gendarme réserviste que l’on voit aux côtés de Benalla dans les vidéos du 1er mai. Alors « prestataire » pour En marche !, il souhaitait – démarche validée par Ludovic Chaker, directeur des opérations, et Alexandre Benalla, chef de la sécurité – obtenir deux pistolets Gomm Cogne avec leurs munitions et deux holsters, des boucliers, un Flash-Ball, un équipement en kevlar… Le directeur de campagne d’Emmanuel Macron, Jean-Marie Girier – devenu directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur, et étrangement muet depuis l’explosion de l’affaire –, avait tranché : « Hors de question ! » Le trésorier de campagne, Cédric O, lui, s’interrogeait : « Je n’ai jamais entendu dire que les partis politiques avaient des vigiles armés. Je trouve même ça dangereux… » La commande est annulée. Mais, même après que le directeur financier de la campagne, Raphaël Coulhon, a signalé que Benalla « a un port d’arme, c’est sûrement aussi le cas de Christian Guedon (autre membre de l’équipe de campagne), et peut-être Vincent Crase », et qu’il « ne (savait) pas s’ils sont armés au QG », personne ne les a écartés du service d’ordre.

vendredi 20 juillet 2018

Oui à la démocratie citoyenne

Aujourd'hui, il veut imposer au Parlement, sans consultation des citoyen.nes, une révision profondément dangereuse de la Constitution et des institutions de la République. Ce projet vise à concentrer encore plus les pouvoirs, à en éloigner les citoyens, à réduire le rôle des communes, du Parlement et le pluralisme de sa composition, à expurger notamment de la Constitution le terme de « sécurité sociale ». 
Nous, citoyen·nes et élu·es de la République française, dénonçons ce projet et la méthode qui consiste à le faire adopter sans débat public dans le pays, sans consulter nos concitoyen.nes, alors qu’il s’agit d’un bouleversement majeur de nos institutions et de la Constitution.
Nous voulons une autre réforme de la Constitution, un processus démocratique constituant pour une  nouvelle République, pour des droits nouveaux dans toute la société et à l'entreprise.
Nous exigeons  que ce projet soit soumis aux citoyens. Nous exigeons une consultation par référendum de notre peuple à l’issue du débat parlementaire, comme le permet l’article 89 de la Constitution.

Anti-terrorisme/Édouard Philippe : réaction du PCF

Édouard Philippe a présenté le nouveau plan anti-terrorisme. A la veille d'un week-end marqué par des rassemblements populaires importants (14 juillet, finale de la coupe du monde...) et où le souvenir traumatisant de l'attentat de Nice continue d'hanter les esprits, le gouvernement n'annonce rien de fondamentalement neuf.
La perspective d'un Parquet anti-terroriste reste critiquée dans la magistrature. La crainte d'un affaiblissement des moyens judiciaires dévolus à la lutte contre le terrorisme par la césure de l'anti-terrorisme, avec les autres services judiciaires notamment du Parquet de Paris, reste forte et les annonces du Premier Ministre sont peu précises de ce point de vue.
Toutes les mesures concernant les capacités de recherche et de prévention, semblent s'inscrire dans la droite ligne de la loi anti-terroriste du début d'année : le retour de l’État d'Urgence dans le droit commun sans traiter ni répondre aux critiques, interrogations et craintes qui s'expriment sur le caractère liberticide de ces mesures.
L'annonce de l'implication des maires et la possibilité de communiquer des informations avec les secteurs privés ou publics de défense et de transport autour du fichier FSPRT est très inquiétant. Il s'agit de leur donner des informations qu'ils ne sauraient traiter, ni en terme de sécurité ni en terme sociaux, sur des individus fichés et ce, sur la base d'un fichier dont les conditions d'inscription et de signalement ne sont pas complètement cadrées et claires.
Enfin, la mission centrale et les moyens renforcés annoncés pour le renseignement intérieur posent les questions de l'encadrement et du contrôle des pratiques.
Au final, sans rien annoncer donc de fondamentalement nouveau, il s'agit une nouvelle fois de renforcer des mesures qui interrogent. La lutte nécessaire contre le terrorisme ne doit pour autant pas servir de prétexte pour faire reculer la liberté en général et le respect des libertés civiques et publiques en particulier.

jeudi 19 juillet 2018

Gare du Nord cédée à Auchan : « Début d’une grande braderie » (Olivier Dartigolles)

En marge d’un conseil d’administration extraordinaire de SNCF Mobilités, cheminots, citoyens apprennent par voie de presse la privatisation partielle de la Gare du Nord à Paris.
La réforme ferroviaire à peine signée, la SNCF ne se contente plus de brader son patrimoine immobilier dans des zones où elle ne souhaite plus investir (terrains, PN...). Non, là elle s’attaque à un patrimoine où des milliers de personnes passent quotidiennement, avec un trafic dense et une offre multimodale importante.
Incapable d’assurer l’entretien et le développement des gares du fait notamment du désengagement de l’État, la SNCF utilise la vente d’actifs pour dégager de l’argent à n’importe quel prix.
Pire, cette opération ne bénéficiera même pas au service public ferroviaire.
La gare du Nord est la première gare d’Europe en terme de trafic voyageurs (700000 voyageurs par jour). Elle devient ainsi la première gare française dont l’actionnaire majoritaire sera une entreprise privée, pour une durée de 46 ans.
Grand gagnant de cette opération : le groupe Auchan qui, au travers de sa branche immobilière Ceetrus, deviendra à terme l’actionnaire majoritaire de la gare. La SNCF ne conserverait donc que 34% des parts.
Encore une fois, cette décision, prise sans concertation avec celles et ceux qui travaillent dans cette gare, est guidée uniquement par des intérêts financiers.
Salle de concert, jardins et piste d’athlétisme sur les toits... La superficie de la gare du Nord doit être multipliée par 3 en vue des JO Paris2024, sans qu’aucune nouvelle voie ferroviaire ne soit construite.

Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF