Élue au premier tour des municipales de 2014 avec 57% des voix, l’équipe à la tête de la commune de Saillans a voulu renverser la position traditionnelle du maire pour « mettre les citoyens au sommet de la pyramide ». Cette aventure suscite depuis des centaines d’enquêtes de médias, de politologues, de sociologues, etc. Vincent Beillard, maire de Saillans, sera à Crolles pour nous en parler samedi 16 novembre.
Comment expliquez-vous que votre liste, qui n’avait aucune expérience politique, ait été élue aux municipales de 2014 ?
Ce n’était pas une question de personnes. L’ancien maire était engagé dans sa mission et avait fait du bon boulot sur de nombreux points. C’était un problème de méthode. À Saillans comme dans une majorité de communes, un petit groupe d’élus gérait les affaires dans l’ombre et décidait seul. Il y avait peu ou pas d’information préalable, on travaillait en catimini, et les habitants étaient informés après coup lors d’une réunion publique baptisée « concertation ». C’est ce personnage du maire décisionnaire tout-puissant que nous avons voulu déboulonner, pour mettre les citoyens au sommet de la pyramide.
« Un petit groupe d’élus qui s’arroge le pouvoir, c’est impensable aujourd’hui »
Mais quand les habitants choisissent une équipe municipale, c’est bien qu’ils sont d’accord pour qu’elle gère leur ville ?
C’est le principe. Mais si le maire prend la grosse tête, ou si un petit groupe d’élus s’arroge le pouvoir, ça ne marche plus. C’est ce qui s’est passé à Saillans. Nous avons eu l’impression d’avoir trop délégué à des « représentants » qui nous représentaient de moins en moins. Nous avons eu le sentiment que le maire se disait : « vous m’avez élu, maintenant laissez-moi gérer à ma guise ». Plus personne ne veut de ça aujourd’hui, c’est impensable.
Expliquez-nous en quoi Saillans est gérée différemment…
D’abord, notre programme a été établi dans les mois précédant les élections à travers des réunions publiques ouvertes à tous. 120 personnes y ont participé, soit presque 10% des habitants ! Et 33 projets ont été sélectionnés.
Ensuite, tous les projets sont discutés par les habitants bien en amont du vote. Nous tenons le jeudi soir un comité de pilotage ouvert à tous. C’est un lieu de débat essentiel pour associer les citoyens, sensibiliser les élus, dégager les enjeux… In fine, c’est le conseil municipal qui vote, ne serait-ce que pour des raisons légales. Mais le comité est bien l’espace de prise de décision politique.
L’idée, c’est que les choix sont ouverts sur tous les sujets. Par exemple, nous avions un projet de nouvelle salle des fêtes mais l’annonce du départ de nos deux médecins a montré que nous avions davantage besoin d’une maison de santé ; c’est ce qui a été réalisé.
Avec cinq ans de recul sur votre expérience, quelles sont les limites de la démocratie participative ?
Il y a des sujets sur lesquels nous sommes contrains par la loi : par exemple, l’accessibilité handicapés des espaces publics ou les règles d’hygiène et de sécurité pour les agents territoriaux. Mais cela, tout le monde l’admet.
En revanche, la participation demande beaucoup de temps et d’énergie aux élus et aux citoyens. Il y a eu un engouement au départ, puis un essoufflement bien compréhensible. Les publics les plus disponibles sont les jeunes adultes et les personnes âgées, mais difficile de faire venir les 30 – 40 ans, très occupés ; quant aux adolescents, ils ne sont partants que sur certains sujets bien ciblés et à des moments bien choisis.
« Aujourd’hui, les habitants parlent de politique locale et s’intéressent à leur cadre de vie »
Vous reproche-t-on des prises de décision trop lentes ?
Il faut savoir ce qu’on veut. Notre société vit à une vitesse folle, nous subissons tous cette accélération et nous avons l’impression que les choses nous échappent. Mais quand on parle de réunions, de concertation et de participation citoyenne, les gens disent « ça va demander un temps fou ». Alors qu’ils se scandalisent quand une décision leur est imposée brutalement ! Nous revendiquons ce temps du débat démocratique, comme il existe un « slow-food ».
À Saillans, nous avons constaté depuis 2014 que ce temps de maturation est bénéfique parce qu’il y a débat, échange d’idées, compréhension des enjeux : au final, les décisions sont meilleures et mieux acceptées par tous. Certes, certains sujets délicats ont provoqué des tensions dans le village, par exemple la révision du Plan local d’urbanisme. Mais au moins, les habitants parlent de politique locale, se posent des questions, s’intéressent à leur cadre de vie. Notre modèle est loin d’être parfait, mais il est préférable à celui du maire isolé qui prend la grosse tête.
Ce que vous vivez à Saillans, commune de 1300 habitants, peut-il marcher à Crolles qui en compte 8300 ?
C’est à chaque ville d’inventer son propre modèle ; nous-mêmes, nous avons appris au fur et à mesure, avec des succès et des erreurs. Dans une ville de 8000 habitants, peut-être faut-il commencer à l’échelle de quartiers : les habitants sont moins nombreux et plus impliqués car il s’agit de leur cadre de vie immédiat.
Il faut savoir aussi qu’une telle expérience suscite beaucoup de critiques au départ : « vous êtes des utopistes, ça ne marchera jamais, on fait déjà de la participation et de l’information aujourd’hui, etc. ». Les citoyens sont beaucoup plus exigeants envers un nouveau modèle qu’envers celui en place, même s’il est plein de défauts. Il faut le savoir, se faire confiance et oser !