mercredi 24 juin 2020

Fermeture d’usines médicales et suppression d’emplois : « Ils n’ont rien appris de ce qu’il s’est passé »

« Rendre à la France son indépendance sanitaire » ? Le vœu pieux de Macron sonne bien faux alors que le gouvernement semble sourd aux appels de salariés et d’élus à sauver trois entreprises médico-pharmaceutiques dans la tourmente. Les députés LREM viennent également de refuser la création d’un pôle public du médicament.
Après avoir produit plus de 40 000 sondes de réanimation par jour pour les hôpitaux français pendant toute la crise sanitaire, sept jours sur sept, 60 salariés de l’entreprise Péters Surgical de Bobigny (Seine-Saint-Denis) attendent désormais avec angoisse leur notification de licenciement. Celle-ci devrait leur parvenir d’ici fin juin. La direction ne compte garder sur le site de Seine-Saint-Denis que les services administratifs et de recherche et développement. Leur production de « sondes de Motin », une sonde d’aspiration si précieuses pour intuber les malades du Covid-19 tout en évitant de contaminer les soignants, sera sous-traitée en Inde.
En Auvergne-Rhône-Alpes, deux autres sites industriels du secteur médical sont dans la tourmente. Famar, façonne de nombreux médicaments, dont la Nivaquine, un antipaludique dont on a beaucoup parlé ces derniers mois. Le laboratoire, qui travaille pour le compte de grands groupes pharmaceutiques comme Sanofi, est en redressement judiciaire. Trois repreneurs doivent être auditionnés mi-juin, chacun prévoyant de supprimer au moins la moitié des 240 emplois du site de production en banlieue lyonnaise (Saint-Genis-Laval), qui fabrique de nombreux médicaments d’intérêt thérapeutique majeur. Chez Luxfer, dans le Puy-de-Dôme, aucune bouteille d’oxygène à usage médical ne sort plus de l’usine depuis le printemps 2019. La direction du groupe britannique refuse de céder le site à un repreneur, malgré de nombreuses offres et la proposition des salariés de constituer une société coopérative (lire notre article : Oxygène médical : les ouvriers de l’usine Luxfer appellent à une réouverture d’urgence).

Des entreprises non stratégiques pour le gouvernement

« Les Français pensaient avoir le meilleur système de santé au monde. Après l’épidémie du Covid-19, ils se rendent compte que le pays est dans un état de dépendance sanitaire totale. Nous ne sommes même pas capables de produire du Doliprane sur notre sol », s’emporte Martial Bourquin. L’ancien sénateur PS du Doubs (il vient de démissionner pour se consacrer à la mairie d’Audincourt) est à l’origine d’une proposition de loi visant à nationaliser Péters Surgical, Famar et Luxfer, déposée le 19 mai dernier. À l’Assemblée nationale, des députés socialistes et insoumis ont déjà fait des propositions en ce sens. La secrétaire d’État à l’Économie, Agnès Pannier-Runacher, leur a d’ores et déjà opposé une fin de non recevoir lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative.
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Selon elle, il s’agirait d’entreprises « non stratégiques »« Il y en a d’autres qui produisent plus ou moins ce que fait Famar », dit-elle au sujet du laboratoire pharmaceutique lyonnais. Quant aux bouteilles de transport d’oxygène Luxfer, « on peut s’en fournir au Royaume-Uni »« Cela fait vingt ans que l’on nous ressort le même discours sur des entreprises soi-disant non-stratégiques, donc pas si importantes à sauver. Et aujourd’hui on se retrouve à ne plus pouvoir produire de molécules essentielles, à manquer de masques. En cas de crise, comme celle que l’on a connue, les frontières se ferment. Il devient alors nécessaire d’avoir une production nationale de matériel médical indispensable », rétorque Martial Bourquin.

Les services de réanimation devront s’approvisionner en Inde plutôt qu’en Seine-Saint-Denis

Non stratégiques vraiment ? Si l’activité de ces entreprises quitte le sol national, plusieurs équipements hospitaliers et médicaments ne seront plus du tout fabriqués en France. Famar est actuellement le dernier producteur mondial de Notezine, un antiparasitaire utilisé contre les filarioses lymphatiques et classé comme d’intérêt thérapeutique majeur par l’OMS. Ce médicament est malheureusement peu rentable pour Sanofi, principal client du façonnier lyonnais. Une fois les lignes de production fermées chez Péters Surgical, les services de réanimation devront s’approvisionner en sondes de Motin en Inde plutôt qu’en Seine-Saint-Denis.
Quant au site Luxfer de Gerzat, il était jusqu’à sa fermeture en 2019 le dernier producteur de bouteilles d’oxygène en aluminium en France. « Ils détiennent le monopole sur les bouteilles ultra-légères que nous fabriquons à Gerzat. En fermant notre site, la direction force le marché à se tourner vers du matériel de gamme produit dans ses usines britanniques Ils refusent de vendre l’usine pour ne pas avoir de concurrent sur ce marché et pour pouvoir continuer à fixer les prix à leur guise », estime Axel Peronczyk, délégué syndical CGT chez Luxfer.
Les promesses d’Emmanuel Macron de rendre à la France son indépendance sanitaire semblent bien creuses face à la détresse des salariés de ces trois entreprises : sur ces sites le risque de démantèlement de l’outil industriel et les menaces sur l’emploi datent de bien avant la crise sanitaire. Avec les dispositions juridiques de l’état d’urgence sanitaire, le gouvernement avait la possibilité de réquisitionner des outils de production, ce qui aurait pu permettre de sauver les emplois chez Luxfer, Famar et Péters Surgical. Il n’en a rien fait.

Des fonds d’investissement aux manettes

« Avec la crise du Covid-19, les appels politiques à la nationalisation se multiplient mais de notre côté, nous n’avons jamais eu un début de discussion avec le gouvernement. Et ce n’est pas faute d’avoir interpellé les ministères de la Santé et de l’Industrie à plusieurs reprises sur le risque de désindustrialisation », explique Yannig Donius, délégué CGT chez Famar. Les appels d’Éric Coquerel, député insoumis de Seine-Saint-Denis à nationaliser Péters Surgical sont également restés lettre morte. « L’épidémie serait arrivée en juillet, il aurait manqué les 40 000 sondes de réanimation qu’ils produisent quotidiennement, rappelait-il en avril dernier en commission parlementaire. On entend le Président et le ministre de l’Économie parler de relocalisations et de réquisitions mais le problème c’est que l’on n’en voit pas beaucoup ». Même déception pour André Chassaigne, député du Puy-de-Dôme, à qui Bruno Le Maire a affirmé que l’État n’entrerait pas au capital de Luxfer.
En pleine épidémie, Macron avait aussi fait savoir qu’il n’entendait plus laisser « notre capacité à soigner aux lois du marchés ». Chez Famar et Péters Surgical, deux sociétés détenues par des fonds d’investissement, c’est pourtant bien ce qu’il est en train de se passer. Le façonnier de médicaments lyonnais, vendu par Sanofi à un groupe grec de sous-traitance pharmaceutique (Marinopoulos), a fini par tomber dans l’escarcelle de KKR, un fonds d’investissement américain spécialisé dans le rachat d’entreprises par endettement massif, qui a annulé un plan d’investissement de 20 millions d’euros sur le site de Saint-Genis-Laval en 2018.
« Dès lors, c’est la spirale du déclin pour ces sous-traitants. Face à la dégradation de l’outil de production faute d’investissements, les grands laboratoires réduisent peu à peu leurs commandes et vont voir ailleurs. La plupart des façonniers français sont dans des situations similaires de grande fragilité financière. Le gouvernement nous parle d’indépendance sanitaire. Avec les investissements publics nécessaires, Famar pourrait faire partie de la solution », analyse Thierry Bodin, coauteur de Sanofi Big Pharma [1].

Des suppressions d’emplois malgré de généreux dividendes et des bénéfices

Péters Surgical, détenu par le fonds d’investissement français Eurazeo, sous-traite depuis 2017 la production de sondes de Motin vers la Thaïlande et l’Inde, tout en distribuant de généreux dividendes à ses actionnaires, comme l’a révélé Médiapart : 2,5 millions chaque année depuis 2017, pour un résultat net de 5,8 millions d’euros en 2018. C’est dans ce contexte que la direction du site de Bobigny annonce, l’année suivante, son plan social et la suppression de toutes les lignes de production en Seine-Saint-Denis. Pour expliquer les licenciements, la direction invoque de nouvelles normes sanitaires européennes engendrant des surcoûts intenables. « Nationaliser des entreprises en bonne santé financière comme la nôtre n’est malheureusement pas dans la logique du gouvernement néolibéral actuel », regrette Julien Faidherbe, ingénieur d’études et délégué syndical CGT chez Péters Surgical Bobigny.
Luxfer dégageait également des bénéfices au moment de sa fermeture : plus d’un million d’euros de résultat net d’exploitation en 2018. Une situation financière qui ne « prouvait pas la nécessité de fermer le site pour assurer la survie du groupe », affirme l’inspection du travail dans des documents que Basta ! a pu se procurer. La DIRECCTE [2] y estime que le rapatriement de la production de bouteilles d’oxygène médical au Royaume-Uni résulte plutôt « d’une stratégie axée sur la réduction des coûts et la maximisation des profits ». Les licenciements de certains salariés pour motif économique avaient alors été retoqués par les services régionaux de l’État avant d’être finalement validés en plus haut lieu, par le ministère du Travail.

« Le décrochage de l’industrie française à l’origine de la perte d’indépendance sanitaire »

« Notre secteur suit un mouvement similaire à celui de l’industrie pharmaceutique qui délocalise une partie de sa production en Asie. L’épidémie de Covid-19 a bien montré les limites de ce système : une difficulté à augmenter les volumes d’importation en peu de temps, les problèmes de logistique et d’acheminement. En période de forte activité, expédier des sondes aux hôpitaux français depuis Bobigny, c’est bien plus gérable », poursuit Julien Faidherbe. La sous-traitance des sondes de réanimation, comme celle des bouteilles d’oxygène de Luxfer au Royaume-Uni, ne risque certainement pas de renforcer l’indépendance sanitaire française. La désindustrialisation et la concentration de la production aux mains de quelques géants du secteur médical mettent en péril l’approvisionnement du système médical français en matériel essentiel.

samedi 20 juin 2020

Les données de santé de la population française, collectées massivement, seront-elles vraiment protégées ?

L’État a accéléré sa mise en place pendant l’épidémie : le Health Data Hub, ou plateforme des données de santé, doit regrouper un très large éventail de données sur les soins, l’assurance maladie, les pharmacies, les Ehpad… L’esprit du projet étant que l’intelligence artificielle fera avancer la médecine. Le géant Microsoft en est l’hébergeur.
Ce 11 mai, premier jour du début du déconfinement, dans les hôpitaux parisiens de l’AP-HP, le personnel soignant sort de deux mois très tendus. Au plus fort de la crise, début avril, plus de 2600 patients ont dû être placés en réanimation, dépassant largement les capacités hospitalières initiales. Une tâche supplémentaire est cependant assignée aux soignants : dans un courrier, des responsables de l’AP-HP enjoignent les soignants et chefs de service de bien s’assurer d’envoyer « de manière hebdomadaire » les données sur les patients Covid.
« Afin d’alimenter la plateforme des données de santé, le ministère de la Santé a décidé par un arrêté du 21 avril 2020 de mettre en place une remontée accélérée et simplifiée des données du programme de médicalisation des systèmes d’informations », précise ce même courrier. Ce dispositif existe depuis les années 1990, pour quantifier l’activité hospitalière. 30 ans plus tard, à l’âge des algorithmes et de l’intelligence artificielle, les données de santé semblent encore plus précieuses aux yeux du ministère. Le travail bureaucratique se rappelle, encore et toujours, au bon souvenir de celles et ceux qui ont été en première ligne.
L’État a donc publié un arrêté en pleine pandémie pour accélérer la mise en place d’un projet lancé en 2018 : le Health Data Hub, ou plateforme des données de santé. Au prétexte de la « gestion de l’urgence sanitaire », le gouvernement a ainsi décidé que cette plateforme pourrait dorénavant récolter un large éventail de données de santé, allant des diagnostics aux causes de décès : celles des hôpitaux, des maisons départementales du handicap, celles relatives aux soins dans les Ehpad, les « données de pharmacie » des médecins généralistes, celles « issues d’applications mobiles de santé et d’outils de télésuivi, télésurveillance ou télémédecine », les résultats d’analyses des laboratoires hospitaliers et de ville, et même des données du fichier d’identification des victimes normalement prévu pour des situations d’attentats mais déjà utilisé pour les gilets jaunes blessés suite à des manifestations [1].
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Quand les données financées par la solidarité nationale doivent être partagées avec le privé

La nouvelle plateforme ratisse large. Une partie de ces données – celles des facturations de l’hôpital, des feuilles de soins de l’assurance maladie, des maisons départementales du handicap et des causes médicales des décès – sont déjà regroupées dans une base depuis 2016 [2]. L’objectif du hub est d’élargir les types de données récoltées, de regrouper des bases déjà existantes, de centraliser les démarches pour y avoir accès, et de permettre l’usage à grande échelle d’outils d’intelligence artificielle sur ce nouveau gisement de « big data ».
Un data center. CC 123net via Wikimedia Commons
En octobre 2018, une mission de préfiguration définit les contours d’un système national centralisé qui regrouperait l’ensemble des données de santé publiques. Celle-ci pointe la nécessité d’une plateforme centralisée, et affirme que « les données financées par la solidarité nationale doivent être partagées avec tous les acteurs, publics comme privés ».
La nouvelle loi santé de 2019 acte la création du hub. Il est effectif en décembre. Trois mois plus tard, l’épidémie de Covid se répand. L’arrêté d’avril sur la collecte de données ne vaut que pour la durée de l’état d’urgence sanitaire. Un nouvel arrêté doit déterminer quelles données continueront à alimenter ce hub après le 10 juillet. « L’idée, c’est que le catalogue des données puisse être évolutif, celui de 2020 ne sera sans doute pas celui de 2021 ou de 2025 », explique à Basta ! Stéphanie Combes, la directrice du Health Data Hub. Traduction : on ne sait pas exactement quelles seront les données regroupées sur le hub après l’été, dans un an ou dans cinq ans. Cela peut changer.

Des projets médicaux et des projets gestionnaires

À quoi et à qui serviront ces données sur notre système et notre état de santé ? Ceux qui voudront les exploiter devront déposer un dossier pour chaque utilisation de ces informations. Un comité instruit ces demandes, évalue leur pertinence scientifique, leur finalité et leur « caractère éthique », souligne Stéphanie Combes. Puis, les dossiers sont transmis à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Il peut s’agir d’institutions publiques, d’hôpitaux, d’instituts de recherches, ou d’entreprises privées. Les assureurs peuvent ainsi y avoir accès. « Mais il y a des finalités interdites, comme démarcher les établissements de santé pour leur vendre des produits ou bien personnaliser la tarification des assurances », assure la directrice du hub. Jusqu’ici, les données ont été mises à disposition à titre gracieux. À terme, leur utilisation devrait être monnayée, en tous cas pour les entreprises. « La tarification n’existe pas encore mais elle pourra être mise en place dans le futur à destination des utilisateurs privés », nous précise Stéphanie Combes.
De nombreux projets ont déjà été validés par le comité scientifique et éthique de la plateforme et ont accès aux données. Un projet porté par des instituts de recherche publique vise ainsi à « prédire les trajectoires individuelles des patients parkinsoniens ». La mutuelle Malakoff Médéric a aussi pu avoir accès à des données pour « mesurer et comprendre les restes à charge réels des patients ». D’autres demandes sont déposées par des start-up de l’intelligence artificielle. Ainsi OPBI Santé, fondée par deux « consultants en organisation hospitalière », souhaite par exemple accéder aux données pour déterminer les durées de séjour qui seraient les plus efficientes pour chaque type de pathologie. « Des durées atteignables et pertinentes, mais nécessitant les meilleures pratiques organisationnelles », vante la start-up.
Une partie de ces projets a moins à voir avec le soin qu’avec la gestion des ressources, matérielles et humaines. Au Royaume-Uni, le service national de santé NHS s’est associé pendant l’épidémie au groupe états-unien d’intelligence artificielle Palantir (qui a travaillé avec la CIA), ainsi qu’avec Amazon, Google et Microsoft pour tenter, avec les data, de rendre plus efficace la gestion des ressources hospitalières, sans augmenter celles-ci.

Les États-Unis pourront-ils avoir accès aux données de santé de 67 millions de Français ?

En France, la plateforme s’est alliée à Microsoft : elle est hébergée sur le cloud Microsoft Azure. Le choix du géant informatique est le point qui a suscité le plus de contestations autour du nouveau hub. « Avec Microsoft comme hébergeur, on entre dans un autre territoire juridique, qui n’est pas celui de l’Europe, pas celui du règlement européen sur la protection des données [RGPD]. C’est stratosphérique ! » critique ainsi Adrien Parrot. Le jeune médecin s’est formé à l’informatique, à l’école 42, spécialisée dans la formation de développeurs, et a travaillé à l’entrepôt des données de santé de l’AP-HP. Celui-ci a adopté des outils de gestion des bases de données en open source [3]. Avec des ingénieurs, Adrien Parrot a créé le collectif InterHop. L’initiative veut promouvoir les alternatives permettant « d’éviter la collecte des données au sein des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ou des BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) ». Des alternatives « libres » existent donc.
Porteur d’une informatique du partage et du logiciel libre, InterHop voit évidemment d’un très mauvais œil le choix de la multinationale Microsoft pour héberger la plateforme centralisée des données de santé françaises. « Avec le Health Data Hub, d’un seul coup, c’est une base de données qui concerne l’ensemble de la population, l’ensemble des données de santé, tout ce qui est remboursé par la sécurité sociale. Et toutes ces données sont envoyées sur une plateforme qui ne dépend pas de notre juridiction », déplore Adrien Parrot.
Dans son avis d’avril dernier sur le hub, la Cnil s’est aussi inquiétée que « le contrat mentionne l’existence de transferts de données en dehors de l’Union européenne dans le cadre du fonctionnement courant de la plateforme, notamment pour les opérations de maintenance ou de résolution d’incident » [4]. Microsoft pourrait donc, selon la Cnil, envoyer des données de santé vers les États-Unis. Stéphanie Combes avait démenti cela dans Mediapart en mai : « Nous avons bien spécifié que les données ne devaient pas sortir du territoire français. »
Les craintes persistent. Car même si les données stockées par Microsoft ne sortent pas du territoire numérique national, les États-Unis ont adopté en 2018 une loi nommée Cloud Act qui permet à la justice états-unienne d’avoir accès aux données stockées par des entreprises US, qu’elles le soient sur le sol des États-Unis ou dans d’autres pays. Ce « raffinement ultime de l’extraterritorialité américaine », disait un rapport parlementaire l’an dernier, « permet aux autorités américaines de collecter les données d’entreprises cibles, où que celles-ci soient stockées dans le monde ». [5]. Soit, mais les données hébergées sont cryptées, ce qui pourrait rassurer... sauf que la Cnil a relevé que les clés de cryptage sont détenues par l’hébergeur Microsoft. Donc, celles-ci « seront conservées par l’hébergeur au sein d’un boîtier chiffrant, ce qui a pour conséquence de permettre techniquement à ce dernier d’accéder aux données ».

vendredi 19 juin 2020

Soutien aux énergies fossiles : l’hypocrisie de la France au Mozambique

D’immenses réserves de gaz ont été découvertes au nord du Mozambique. Malgré les engagements d’Emmanuel Macron, l’État français continue de soutenir financièrement des projets d’exploitation gazière portés par les multinationales françaises, au détriment du climat.
En matière d’environnement, comme souvent, il y a les paroles et il y a les actes. Prenez le discours d’Emmanuel Macron à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU, en septembre 2019. « Il faut que les grands pays de ce monde arrêtent de financer de nouvelles installations polluantes dans les pays en voie de développement », assène le président, déplorant alors la poursuite de financements venant « des pays développés » pour « ouvrir de nouvelles structures polluantes ». Pensait-il, alors, aux projets gaziers français au Mozambique ? Car, les actes, ici, diffèrent bien des discours.
Comme le révèle un rapport publié le 15 juin par les Amis de la Terre, la découverte de réserves de gaz d’environ 5000 milliards de mètres cube – les neuvièmes plus grandes réserves gazières du monde – au large du Mozambique a aiguisé les appétits des entreprises françaises. Celles-ci « ont joué un rôle clé dans la concrétisation de ces investissements massifs dans le secteur du gaz au Mozambique. Total est devenu à l’automne 2019 opérateur du méga projet Mozambique LNG après le rachat des actifs d’Anadarko en Afrique ; TechnipFMC est parvenu à décrocher des contrats d’ingénierie dans les trois projets ; les banques françaises sont à la manœuvre pour réunir les 60 milliards de dollars visant à les financer. » Et la diplomatie économique tricolore a pesé de tout son poids pour soutenir leurs projets, si polluants soient-ils.
Dès 2015, un rapport sénatorial qualifiait le Mozambique de « pépite à l’export ». Et pour cause : entre 2010 et 2013, d’immenses réserves de gaz sont découvertes au nord du pays. Elles devraient permettre de produire 945 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié sur trente ans. À l’époque, comme le rappellent Les Amis de la Terre, les entreprises françaises Technip (spécialisée en ingénierie pétrolière et gazière) et Schlumberger (services et équipements pétroliers) participent aux recherches. En 2012, Total entre dans la danse en achetant des parts de blocs pétroliers dans le bassin de Rovuma. La compagnie pétrolière devient, en 2019, l’opérateur de Mozambique LNG, l’un des trois projets d’exploitation gazière lancés au large des côtes mozambicaines, en rachetant les actifs de la compagnie pétrolière américaine Anadarko. Les deux autres projets, Coral South FLNG et Rovuma LNG, ont pour opérateurs la société italienne Eni et l’américaine ExxonMobil.

En cas de problèmes, « c’est au contribuable français que reviendra de payer des indemnités aux banques »

C’est en 2017 que le gouvernement français s’implique directement. « Pour s’assurer que les entreprises françaises se taillent une part du gâteau dans l’exploration, la production et le transport de gaz, futur moteur présumé de la croissance mozambicaine, l’État français a mis tout son appareil de diplomatie économique en œuvre, relate le rapport. Cela passe par un soutien financier direct à travers une garantie à l’exportation de plus d’un demi-milliard d’euros (528,21 millions d’euros) accordée au projet Coral South FLNG, afin de soutenir TechnipFMC. À travers ce mécanisme financier, l’État se porte garant auprès des banques qui ont accordé des prêts aux opérateurs. Cela revient à apporter une couverture d’assurance à la transaction pour les banques commerciales, ce qui est très important pour un pays comme le Mozambique, risqué sur le plan politique et économique. »
Plus précisément, depuis le 1er janvier 2017, BpiFrance Assurance Export, filiale de BpiFrance SA (la banque publique d’investissement), assure la gestion des garanties publiques à l’exportation « au nom, pour le compte et sous le contrôle de l’État ». S’il ne s’agit pas d’une subvention directe, cette garantie constitue un service que l’État propose aux entreprises lorsque celles-ci se retrouvent face à des risques liés à la situation politique d’un pays, à la variabilité des taux de changes. La garantie publique n’intervient que lorsque le privé fait défaut car le risque – volatilité de la monnaie locale, complexité technique d’un projet… – est trop grand. Le ministère de l’Économie accorde la garantie et BpiFrance exécute la décision. Cette garantie, octroyée au parapétrolier TechnipFMC au quatrième trimestre 2017, a été approuvée par Bruno Le Maire.
« Ce soutien financier constitue la preuve irréfutable d’un soutien politique fort du gouvernement français actuel à l’exploration gazière au large du Mozambique », dénoncent les Amis de la Terre. Sans ce soutien « les majors gazières auraient beaucoup de mal à lever les financements privés pour leurs très coûteux et risqués projets au Mozambique. (…) Si pour n’importe quelle raison, le contrat ne pouvait pas être honoré comme prévu dans les seize prochaines années, c’est au contribuable français que reviendra de payer des indemnités aux banques, à la place des multinationales françaises. » Ironie de l’affaire : en septembre 2019, l’ONG mozambicaine Centro de Integridade Pública (CIP) a étudié le schéma fiscal du Coral South FLNG et a conclu qu’il favorisait l’évasion et la fraude fiscale.

Une manœuvre politique et économique

Sous couvert d’anonymat, une source proche du dossier nuance pourtant le risque de faillite. D’après elle, de tels projets en font rarement et le soutien apporté par l’État s’avère avant tout politique : il accorde une garantie à l’exportation à une entreprise française pour qu’elle ne soit pas désavantagée par rapport à ses concurrentes à l’international. D’après le « Rapport du Gouvernement au Parlement sur les pistes de modulation des garanties publiques pour le commerce extérieur » remis en novembre 2019, « près de 9,3 milliards d’euros de garanties publiques » ont été délivrées par les agences françaises « sous forme d’assurance-crédit pour des projets d’hydrocarbures ».
Il s’agit aussi de placer des billes françaises sur le plan géopolitique. Ce, d’autant plus que le bassin de Rovuma, abritant les réserves gazières, constitue une région hautement stratégique pour la France. Grâce à la situation des îles Éparses, qui relèvent de sa souveraineté, la France contrôle les deux tiers du canal du Mozambique. Ce chapelet d’îles inhabitées « fournit 640 400 km2 de territoire marin à la France, soit environ 6 % de son territoire maritime. Au-delà de la zone de pêche, c’est un avantage conséquent dans l’océan Indien, qui concentre à lui seul un quart des échanges économiques mondiaux », note l’ONG.
L’avantage économique se niche aussi, pour les entreprises bénéficiaires, au creux de la garantie export. En diminuant le risque financier pris par ces multinationales, l’État assure une meilleure rentabilité à leur projet et leur permet ainsi de mieux rémunérer les autres investisseurs. Et, in fine, de dégager un plus gros retour sur investissement. Un deal gagnant-gagnant, en somme. Sauf pour l’environnement. Car les trois projets en cours de développement devraient émettre autant que 49 années d’émissions de gaz à effet de serre du Mozambique. « Étant donné l’implication de Total, de TechnipFMC et des banques françaises dans Rovuma LNG et Mozambique LNG, d’autres garanties à l’exportation pourraient être accordées par la France prochainement », avancent Les amis de la Terre.

« Notre priorité n’est pas les droits humains, ni l’environnement, notre priorité est l’emploi en France »

Au nom de la clause de confidentialité, BpiFrance n’a pas souhaité nous répondre sur la possible demande de garantie à l’exportation déposée par d’autres entreprises, et notamment Total. La banque publique rappelle que les projets bénéficiant de ces garanties doivent respecter des standards définis par l’OCDE en matière d’impact social et environnemental. Charge à des cabinets indépendants d’évaluer si oui ou non, les projets remplissent ces conditions. Ces évaluations faisant partie de la documentation financière, elles ne peuvent être rendues publiques. Mais d’après Cécile Marchand, autrice du rapport des Amis de la Terre, « ces cabinets d’étude n’ont aucune idée de ce qui se passe sur le terrain ».
De fait, pour la population mozambicaine, le deal ne semble pas tellement gagnant. 90 % de la production de gaz devrait être exportée et plus de 550 familles ont d’ores et déjà été déplacées par les projets gaziers. Justiça Ambiental (JA !) – la branche des Amis de la terre au Mozambique – a documenté plus de 100 plaintes liées à ces projets, les populations touchées tentant de faire valoir leurs droits face aux majors gazières. Pour construire des installations, des villages entiers ont ainsi été purement et simplement déplacés par Anadarko puis Total.
Les habitant.e.s du village Milamba, dont beaucoup étaient à la fois pêcheurs et agriculteurs, ont dû se retirer vers l’intérieur des terres. « Ils ont en compensation reçu des terres agricoles totalement inaccessibles, à plus de vingt kilomètres du village. Il en va de même pour leur accès à la mer, quand les bus mis à disposition pour y accéder ne correspondent pas aux horaires de pêche », décrit le rapport. « Ils ont changé ma vie en fonction de leurs besoins », déplore un villageois. Sur ce point, l’ancien directeur de BpiFrance Assurance Export s’est montré très honnête vis-à-vis de l’ONG : « Notre priorité n’est pas les droits humains, ni l’environnement, notre priorité est l’emploi en France. »
Voilà qui a le mérite d’être clair. Malheureusement pour les populations locales, l’État français ne risque pas de s’arrêter en si bon chemin. En octobre prochain, Business France, l’agence publique chargée de promouvoir l’internationalisation de l’économie française, organisera les « French Gas Days » à Maputo, la capitale, à destination des « équipementiers et prestataires de services dans le gaz, mais aussi [des entreprises] opérant dans la logistique, les infrastructures aéroportuaires, routières, portuaires, travaux sous-marins et travaux spéciaux, l’eau et l’assainissement, l’électricité et la santé ». La promesse ? « Venez conquérir les multiples opportunités de marché offertes par le Mozambique ! »
Une invitation qui ne manque pas de piquant lorsqu’on se remémore les déclarations d’Emmanuel Macron lors de la Convention citoyenne pour le climat, en janvier dernier. « Le Mozambique découvre qu’il a de formidables gisements [d’hydrocarbures] dans ses eaux territoriales. Il est en train de les exploiter, d’ailleurs avec parfois des opérateurs français, rappelle-t-il alors. Il va falloir trouver des compensations dans l’économie internationale pour les aider à en sortir et les rendre moins dépendants de cela. » Quant à rendre les entreprises françaises moins dépendantes de l’exploitation des énergies fossiles à l’étranger, la question n’a pas encore été posée.

jeudi 18 juin 2020

« En envoyant des individus armés pour gérer les problèmes sociaux, on augmente le risque de blessures ou de morts »

À travers le monde les mobilisations pour dénoncer les brutalités policières ne faiblissent pas et lancent aux institutions le même appel : ce système, malade de son impunité, doit cesser. Alors comment réduire les violences policières ? Réponses de Magda Boutros, sociologue à l’Université de Chicago qui travaille sur les mobilisations contre les violences et discriminations policières.
Basta ! : Le mouvement de protestation qui suit la mort de George Floyd, tué par des policiers le 30 mai à Minneapolis (Minnesota), est-il différent des précédents par son ampleur, son organisation ou ses revendications et, peut-être, ses conséquences politiques ?
Magda Boutros [1] : Dans les familles noires aux États-Unis, chaque génération, des grands-parents aux petits-enfants, a vécu des moments similaires : des révoltes après l’assassinat de Martin Luther King en 1968, des révoltes quand des officiers de police ont tabassé à mort Arthur McDuffie à Miami (1979) et qu’ils ont été acquittés, puis quand des officiers ont tabassé Rodney King à Los Angeles (1991) et ont été acquittés, et après que la police a tué Michael Brown à Ferguson en 2014. Les manifestations d’aujourd’hui s’inscrivent dans cette histoire, celle de la continuité des brutalités policières et du racisme.
Dans le mouvement actuel qui a suivi la mort de George Floyd, on observe cependant quelques transformations. L’ampleur des mobilisations est beaucoup plus importante. Des manifestations se sont déroulées dans les 50 États, ce qui n’était pas le cas avant. On y voit de plus en plus de blancs en solidarité avec les afro-américains. Les retombées politiques sont également plus fortes qu’avant. Grâce au travail mené depuis six ans par les militants de Black Lives Matter, des revendications considérées avant comme trop radicales sont désormais dans le débat public. À Minneapolis, où George Floyd est mort, le conseil municipal a estimé que la police n’étant en l’état pas réformable, la seule solution est de la dissoudre et de la refonder sur de nouvelles bases. Cela avait déjà été fait dans une ville moyenne du New Jersey, mais c’est la première fois qu’une municipalité étatsunienne aussi grande prend cette décision. La réduction du budget de la police est également envisagée : les maires de New York ou de Los Angeles ont promis d’en réallouer une partie à d’autres services, comme l’éducation, les budgets sociaux ou la jeunesse.
Le nombre de personnes tuées par la police aux États-Unis est dix fois plus important qu’en France, qu’en Allemagne ou qu’au Royaume-Uni. Comment expliquez-vous que des mobilisations de grande ampleur gagnent aussi l’Europe ?
Le nombre de personnes qui meurent d’une intervention policière est effectivement bien plus élevé aux Etats-Unis que dans les autres démocraties occidentales. Les États-Unis font, là, figure d’exception. Même si les chiffres ne sont pas comparables, on constate cependant des similarités concernant les pratiques policières en France et aux États-Unis. Premièrement, la police tue régulièrement des personnes qui ne représentent pas de danger pour autrui. La base de données que vous avez publiée montre bien cela : 57 % des victimes n’étaient pas armées quand elles ont été tuées par balles, et seulement 10 % des personnes tuées avaient préalablement attaqué les forces de l’ordre. Ce n’est pas parce que les États-Unis ont un taux effrayant de violences policières que les réalités française, allemande ou britannique des violences policières ne posent pas des réels problèmes. En France, on a quand même une augmentation importante du nombre de morts, jusqu’à 37 en 2017. Ces chiffres devraient inquiéter tout le monde.
Deuxièmement, historiquement, dans ces deux pays, la police s’est construite au gré de politiques racistes visant à contrôler des populations opprimées ou considérées comme indésirables. Aux États-Unis, c’était pour soumettre les esclaves et réprimer leurs tentatives d’évasion. En France, la police nationale telle qu’on la connaît aujourd’hui, unifiée sur tout le territoire, a été créée pendant le régime de Vichy. Dès sa construction, sa mission était notamment de procéder à des rafles et de déporter les juifs. Elle a ensuite été utilisée pour réprimer les militants indépendantistes algériens. Jusqu’à aujourd’hui, dans les deux pays, les minorités ethniques sont surreprésentées parmi les victimes. En France, ce sont les noirs, les arabes et les gens du voyage.
La troisième similarité est que les policiers impliqués dans des violences policières ne sont que très rarement envoyés devant la justice. Quand ils le sont, c’est pour être acquittés, sinon condamnés à des peines légères. Surtout, ils continuent à exercer. Le policier qui a tué d’une balle dans le dos Amine Bentounsi en 2012 a fait l’objet d’une condamnation pour coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner, mais il n’a pas fait un seul jour de prison et a été maintenu en poste.

lundi 15 juin 2020

Covid-19 : ces consultants au cœur de la « défaillance organisée » de l’État

Après avoir accompagné et encouragé la réduction du nombre de personnels et la soumission de l’hôpital public aux contraintes gestionnaires, les grands cabinets de conseil – Boston Consulting Group, Capgemini, McKinsey… – se sont assuré un rôle clé auprès du pouvoir exécutif et de l’administration pour façonner la réponse à la crise sanitaire.
Ce sont des acteurs méconnus de la gestion de l’épidémie du Covid-19. On les retrouve partout : auprès des hôpitaux et des autorités de santé pour les conseiller sur leur organisation, auprès du pouvoir exécutif pour aider à mettre en place le confinement et le déconfinement et à faire face à l’urgence et aux pénuries, auprès du ministère de l’Économie aujourd’hui pour flécher les aides aux entreprises et contribuer à l’élaboration des plans de relance. C’est l’un des grands enseignements du rapport « Lobbying : l’épidémie cachée » que l’Observatoire des multinationales a publié le 3 juin en partenariat avec les Amis de la Terre France.
« Ils », ce sont le grands cabinets de conseil en gestion : McKinsey basé à New York, Boston Consulting Group (BCG) et Bain à Boston, Accenture à Dublin, Roland Berger à Munich, Capgemini à Paris, ou encore Strategy& (ex Booz, appartenant aujourd’hui à PwC) et Parthenon (filiale d’Ernst & Young). Leur rôle est de conseiller leurs clients – des entreprises, des institutions publiques et privées, et même des États - sur leur stratégie et leur organisation.
On pourrait les comparer aux « Big Four » de l’audit et de la comptabilité - PwC, Ernst & Young, KPMG et Deloitte – auxquels ils sont parfois directement liés. Travaillant comme ces derniers à la fois pour le public et – surtout – pour le privé, ils contribuent à aligner le premier sur le fonctionnement et la vision de monde du second. Très impliqués dans la « révision générale des politiques publiques » de Nicolas Sarkozy, puis dans la « modernisation de l’action publique » de François Hollande, aujourd’hui dans la « transformation de l’action publique » d’Emmanuel Macron, ils sont à la fois les artisans et les profiteurs de la « réforme de l’État », selon l’euphémisme en vigueur pour désigner les politiques de réduction du nombre de fonctionnaires et de repli du secteur public. C’est-à-dire ces politiques mêmes qui apparaissent aujourd’hui comme l’une des principales causes des carences constatées face au Covid-19.

Quand les consultants organisent la réponse à l’épidémie

Un exemple, relaté par Mediapart, résume à lui seul le problème. L’un des principaux acteurs de la réforme de l’État depuis des années, le cabinet McKinsey, a été mobilisé en plein pic épidémique pour aider à mettre en place une task force interministérielle en vue du déploiement de tests sur le territoire français. Cette task force a rapidement confié une mission d’évaluation des capacités des laboratoires français à... une autre firme de conseil, Bain. Pendant ce temps, des dizaines de laboratoires publics et privés qui avaient offert leurs services dès le début de la crise attendaient, incrédules, que le gouvernement veuille bien leur répondre. Bref, les firmes qui ont accompagné les politiques d’austérité et de suppressions d’emploi dans la fonction publique se voient aujourd’hui confier la mission de pallier les défaillances qui en résultent. Les résultats ne semblent pas, en l’occurrence, très probants.
D’après le site spécialisé Consultor, les cabinets ont été très sollicités pendant l’épidémie et ont eux-mêmes volontairement offert leurs services. On les retrouve auprès des hôpitaux parisiens de l’APHP (BCG et Roland Berger), du ministère de la Santé (Strategy& et Bain), et de celui de l’Économie (Roland Berger, EY-Parthenon et Strategy&). Leur rôle auprès de Bercy ? Aider à identifier les vulnérabilités dans l’industrie, élaborer les plans de relance, soutenir les PME, aider à gérer les achats de l’État, mettre en place les conditions d’une plus grande « souveraineté économique » (sur cette notion, lire notre récente analyse).
Certaines de ces missions semblent avoir été réalisées gratuitement (peut-être pour maintenir les bonnes relations), d’autres ont été rémunérées. Une grande opacité règne sur ces contrats de conseil et leurs tarifs. Ils ne doivent être déclarés qu’à partir d’un certain seuil, et restent pour partie éparpillés entre différentes administrations. On ne dispose donc pas d’un chiffre global sur les montants dépensés chaque année par l’État pour s’acheter les services de ces consultants. D’après les informations recueillies et les estimations de la Cour des comptes, il s’agit pourtant de centaines de millions d’euros. La teneur des « conseils » ainsi livrés à l’État est, elle-aussi, rarement rendue publique.

McKinsey et Boston Consulting Group, réformateurs de l’hôpital public

La situation de l’hôpital public est au centre des controverses autour de la gestion du Covid-19. Après lui avoir imposé des années de coupes budgétaires, le gouvernement semble avoir redécouvert son importance et le besoin de lui donner les moyens de ses missions. Les cabinets de conseil, à commencer par BCG et McKinsey, ont joué un rôle considérable dans la restructuration des hôpitaux et leur adaptation aux contraintes financières et gestionnaires. À plusieurs reprises, leurs missions ont d’ailleurs suscité la controverse : comment justifier des contrats de conseil et d’accompagnement se chiffrant en centaines de milliers, voire en millions d’euros alors que les moyens matériels manquaient au quotidien ? Même la Cour des comptes a fini par s’en inquiéter en 2018, évoquant, à propos de ces prestations, « des résultats souvent décevants et des marchés fréquemment irréguliers ».
En arrivant dans les hôpitaux et l’administration de la santé, les consultants de Capgemini, McKinsey et BCG ont contribué à « la disqualification des expertises jusqu’alors considérées comme légitimes ... au profit d’expertises concurrentes et privées », selon les termes du sociologue Frédéric Pierru [1]. Comme celle des « mandarins » qui disposaient jusqu’alors d’une grande influence sur la gestion du système hospitalier (qu’ils ont partiellement recouvrée avec l’épidémie). Mais aussi tout simplement celle des praticiens et des fonctionnaires de terrain qui ne se sentaient plus écoutés. On peut même se demander si le choix de faire appel à ces conseils privés n’avait pas précisément pour objectif de modifier les rapports de force internes. Toujours selon Frédéric Pierru, cette transformation des hôpitaux s’est « traduite concrètement par un processus de bureaucratisation..., mais une bureaucratisation d’un nouveau type, qui peut être qualifiée de ’néolibérale’ donc, et qui se distingue de la bureaucratie classique par des phénomènes d’hybridation public-privé et par la diffusion des normes du ’privé’, du marché, de l’entreprise, de la concurrence et de la compétition ».
Quand bien même Emmanuel Macron fait miroiter un changement de doctrine à ce sujet, on semble bien parti pour continuer sur la même lancée. Dans le cadre du Ségur de la santé, une opération de « consultation citoyenne » sur l’hôpital de demain a été lancée. Son organisation a été confiée à un autre cabinet de conseil, Eurogroup consulting, un cabinet français basé dans les Hauts-de-Seine.

La frontière très poreuse entre conseil et influence

Le rôle central des cabinets de conseil dans la gestion de l’épidémie ne se limite pas à la France. McKinsey et BCG ont été missionnés pour aider à gérer le confinement et le déconfinement en Italie, au Canada et dans plusieurs États des États-Unis, dont celui de New York. L’équipe de crise mise en place par Jared Kushner, gendre de Donald Trump, pour gérer la crise en court-circuitant l’administration fédérale, compte elle aussi plusieurs consultants de McKinsey. Au Québec, les conseils prodigués par McKinsey sur le déconfinement se sont trouvés au centre de controverses, certains secteurs ayant été apparemment favorisés.
Entre conseil et influence, où passe la frontière ? En France, les relations entre politiques, haute administration et cabinets de conseil sont marquées par un degré particulièrement élevé de « portes tournantes », des allers-retours des responsables entre ces différents secteurs, un temps au service de l’État, un temps au service du privé. La « révision générale des politiques publiques » (RGPP) avait été mise en place sous l’égide d’Éric Woerth, ministre en charge de la réforme de l’État de Nicolas Sarkozy, lui-même ancien consultant (chez Andersen). Le directeur général de la Modernisation de l’État de l’époque, François-Daniel Migeon, avait été recruté chez McKinsey.
Aujourd’hui encore, la Direction interministérielle à la transformation publique (DITP) compte en son sein de nombreux employés de cabinets de consultants, alors même qu’elle est chargée de coordonner une partie des missions de conseil commandées par l’État. L’actuel chef de service de la DITP, Axel Rahola, vient par exemple de Capgemini. Cette direction a été dirigée jusqu’en novembre dernier par Thomas Cazenave, inspecteur général des finances et candidat malheureux pour LREM à la mairie de Bordeaux, auteur en 2016 d’un livre préfacé par Emmanuel Macron et dont le titre est révélateur : L’État en mode start-up [2]. Son successeur, Thierry Lambert, lui aussi inspecteur général des finances, a passé douze années au sein du groupe Saint-Gobain.
Au sein des cabinets, la proximité personnelle avec les cercles de pouvoir est aussi la règle. Qui aide la Direction générale des entreprises, pour le compte du cabinet Strategy&, à penser la « souveraineté économique » ? Olivier Lluansi, membre du corps des Mines, ancien conseiller de François Hollande, passé notamment par Saint-Gobain et RTE (Réseau de transport d’électricité). L’un des dirigeants actuels de McKinsey France, Karim Tadjeddine, est réputé proche d’Emmanuel Macron qu’il a côtoyé au sein de la commission Attali. Il l’aurait aidé à préparer le lancement d’En marche ! [3]. Agnès Audier, l’une des chevilles ouvrières de BCG en France, est elle aussi issue du corps des Mines. Après être passée par les cabinets de Simone Veil alors ministre des Affaires sociales (1993-1995) et Jean-Pierre Raffarin, ministre des PME, du Commerce et de l’Artisanat (1995-1997), elle a travaillé pour Vivendi puis est arrivée au BCG après un bref passage par l’Inspection des finances. Elle siège aujourd’hui aux conseils d’administration d’Ingenico, d’Eutelsat et du Crédit agricole, et vient d’être nommée par le gouvernement au Conseil général de l’armement.
Quel est vraiment le pouvoir et l’influence réels de ces cabinets de conseil ? Comme beaucoup de professions similaires (lobbyistes, conseillers en communications...), les consultants en gestion et en stratégie tendent à exagérer fortement leur rôle quand ils parlent à des clients potentiels, et à le minimiser lorsqu’ils se retrouvent sous le feu des critiques. Certes, ces cabinets de conseil sont des acteurs clé de l’alignement croissant des pouvoirs publics sur les intérêts du secteur privé. Mais le simple fait qu’on fasse appel à eux est le signe que les décideurs étaient déjà largement convertis. Pour ce qui concerne la gestion de l’épidémie du Covid-19, leur omniprésence a surtout valeur de symptôme : celui de la « défaillance organisée » de l’État.

dimanche 14 juin 2020

Angelo Garand, abattu par le GIGN : « Que justice se fasse lors d’un procès public »

La Cour de cassation doit statuer sur le pourvoi formé par la famille d’Angelo Garand, abattu près de Blois en 2017 par le GIGN de cinq balles dans le torse, l’instruction s’étant soldée par deux non-lieux. Contre une justice à huis clos, les proches de la victime se battent pour que ces ordonnances ne fassent pas jurisprudence et qu’un tel acte meurtrier aboutisse à un procès public. La Cour doit rendre son arrêt le 17 juin.
La Cour de cassation va-t-elle clore l’affaire liée à la mort d’Angelo Garand, tombé à 37 ans sous les balles des gendarmes ? La haute juridiction doit statuer sur le pourvoi formé par les huit parties civiles contre les non-lieux ayant disculpé les deux membres du GIGN mis en cause. Ce jeudi 4 juin, l’avocat général et le conseiller rapporteur de la chambre criminelle ont estimé la demande « non admissible ». La Cour doit rendre sa décision le 17 juin prochain.
« Ça paraît mal engagé mais on lâchera pas ». Accompagnée d’Awa Gueye – sœur de Babacar également abattu par les forces de l’ordre à Rennes (lire ici) –, Aurélie Garand s’est montrée déterminée lors de la conférence de presse à la suite de l’audience. La sœur d’Angelo porte ce combat judiciaire depuis trois ans et s’est dite prête « à saisir la Cour européenne des droits de l’homme ». Elle arborait un t-shirt blanc taché de cinq points rouges, comme les cinq balles qui ont atteint son frère...

Légitime défense ou exécution ?

Il est 13h ce jeudi 30 mars 2017, à Seur (Loir-et-Cher), quand une quinzaine d’hommes armés en uniforme pénètrent dans la ferme de la famille, dite des gens du voyage, alors réunie autour d’un barbecue. À la recherche d’Angelo, les membres du GIGN mettent en joue les hommes présents – frère, père, oncle – les menottent au sol puis procèdent à une perquisition. Celui que les médias décriront comme « le gitan en cavale » ou le « multirécidiviste » n’est pas rentré, depuis six mois, d’une permission de sortie de la prison de Vivonne (Vienne) où il était incarcéré pour conduite sans permis, vols et bagarre. Des « faits mineurs », précise sa sœur. Pourquoi un tel commando pour interpeller Angelo ? D’après les informations du journal Libération, l’intervention pourrait avoir été menée dans le cadre d’un exercice de l’antenne de Tours du GIGN.
Alors que ces gendarmes d’élites s’apprêtent à repartir, ils entendent un bruit dans la remise où se cache Angelo. Cinq fonctionnaires s’y précipitent. Huit coups de feu retentissent. Selon la version officielle, Angelo les aurait attaqués au couteau après avoir résisté à des tirs de Taser [1]. La famille affirme n’avoir entendu aucune sommation, conteste cette version et parle d’exécution.
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Six mois après les faits, les deux tireurs sont mis en examen pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » par une juge d’instruction qui sera bientôt remplacée. En octobre 2018, un non-lieu est prononcé, ordonné par le nouveau magistrat instructeur. Motif ? Légitime défense des gendarmes. Les proches du défunt font appel de la décision. En février 2019, le non-lieu est confirmé par la cour d’Orléans. Cette fois, la décision se fonde sur la loi de sécurité intérieure, promulguée un mois avant la mort d’Angelo Garand. Pour la première fois, des forces de l’ordre bénéficient de l’article L435-1 qui étend leur droit d’usage de tirs, au delà du cadre de légitime défense [2]« Cet arrêt va créer une première jurisprudence et fixer la portée de cet article », a déclaré l’avocat des gendarmes, maître Laurent-Franck Liénard (lire son analyse ici). Cette affaire comporte donc des enjeux judiciaires qui concernent l’ensemble des personnes tuées par balles, ou qui le seront, par la police ou les gendarmes.
Le collectif « Justice pour Angelo » vise à éviter qu’un « permis de tuer » ne soit accordé aux forces de l’ordre, sur le dos de ce père de trois enfants (lire leur analyse des tenants et aboutissants de ces non-lieux). « C’est comme si les arguments de nos avocats n’avaient pas été entendus. Aujourd’hui, la justice n’acquitte même plus, il n’y a plus de procès », se désole le collectif de soutien.
En février 2019, les huit parties civiles se sont donc pourvues en cassation afin qu’ait lieu un jugement. Les magistrats de cette haute juridiction ne statuent pas sur le fond de l’affaire mais sur la conformité juridique des décisions. Sans détailler plus avant, l’avocate générale a toutefois affirmé que dans cette « affaire douloureuse, les gendarmes ont agi en suivant une “riposte graduée“. Ils n’ont pas tiré pour neutraliser Angelo mais parce qu’il était dangereux », poursuit-elle pour motiver son rejet du pourvoi, qualifiant d’« instruction complète » le travail des juges.

« Je ne souhaite pas nécessairement que les gendarmes aillent en prison, Angelo y est allé et ça sert à rien »

Pourtant, comme souvent dans ce genre d’affaires, plusieurs zones d’ombres n’ont pas été dissipées par l’instruction (Lire notre enquête). Si l’instruction a établi qu’Angelo Garand était muni d’un couteau, pourquoi un médecin urgentiste aurait déclaré que « le gars n’était pas armé », lors du constat de décès ? Pourquoi son corps sans vie a-t-il été démenotté pour être repositionné sur le dos avant d’être remenotté dans... « une position plus confortable », avec le couteau « dans le prolongement du bras droit » ? Pourquoi les horodateurs du Taser mentionnent neuf secondes d’écart entre les impulsions alors que les récits font mention de tirs simultanés ? Ces contradictions entre les déclarations des gendarmes et celles des témoins de la famille, et les incohérences entre les version des agents eux-mêmes, incompatibles avec les expertises balistiques, sont pointées dans une contre-enquête menée par le sociologue Didier Fassin.
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Toutes ces questions sans réponses, la famille aurait aimé les poser devant une cour de justice. Fait rare, la présidente de la cour a « exceptionnellement » accordé aux parties civiles le droit de prendre la parole devant la Cour de cassation. « Si la Cour veut appliquer l’article L435-1, qu’elle le fasse lors d’un procès public et non dans une décision de bureau », a prévenu la sœur du défunt, debout face aux magistrats, visiblement étonnés de la présence d’un public dans la salle. « La justice, c’est aussi connaître la vérité. On n’aura pas de deuil. Je ne souhaite pas nécessairement que les gendarmes aillent en prison, Angelo y est allé et ça sert à rien. » À l’automne dernier, Aurélie Garand nous interpellait : « Vit-on en démocratie si des gendarmes peuvent tirer cinq balles dans le torse d’une personne sans s’en expliquer sur la place publique ? »

samedi 13 juin 2020

Crise alimentaire mondiale : « Nous sommes au bord d’une pandémie de faim »

Un risque de pénurie alimentaire n’est, pour le moment, pas à craindre. Mais des dizaines de millions de personnes sont menacées de ne plus pouvoir manger à leur faim, du fait de l’absence de revenus, de protections sociales et de rupture des chaînes d’approvisionnement.
C’est une donnée qui résonne comme un terrible avertissement. Le nombre de personnes au bord de la famine pourrait doubler, de 135 millions en 2019 à 265 millions d’ici la fin de l’année 2020, a prévenu l’ONU dans un rapport publié fin avril [1]« Alors que nous affrontons une pandémie de Covid-19, nous sommes également au bord d’une pandémie de faim », déclarait alors le directeur exécutif du Programme alimentaire mondial.
Les zones de conflits – dont le nord-est du Nigeria, le Soudan du Sud, la Syrie et le Yémen – sont particulièrement sujettes à la famine, ainsi que l’Inde et plusieurs pays d’Afrique de l’Est (Soudan, Éthiopie, Somalie) confrontés au ravage de toutes les cultures par la pire invasion de criquets pèlerins depuis 25 ans. Début juin, des manifestations au Sénégal demandent la fin du couvre-feu instauré depuis bientôt trois mois pour raison sanitaire. « Les habitants ont épuisé toutes les réserves », analyse Mamadou Cissokho, figure emblématique du mouvement paysan africain, auprès de Basta !.

Les demandes d’aide alimentaire explosent

Avec le confinement et la perte de revenus, la classe moyenne urbaine, les travailleurs journaliers et ceux des secteurs informels et de services sont devenus soudainement vulnérables à la pauvreté et à la faim. « Ce que révèle cette crise c’est un problème d’accessibilité. En leur demandant d’arrêter de travailler, plus de la moitié de la population marocaine s’est retrouvée dans une situation de précarité du jour au lendemain », observe Najib Akesbi, enseignant-chercheur à l’Institut d’agronomie de Rabat, où le confinement débuté le 19 mars est prolongé au moins jusqu’au 10 juin. Les aides allouées dans les pays à faible protection sociale demeurent, quand elles ne sont pas inexistantes, largement insuffisantes pour subvenir aux besoins essentiels [2].
Cette inquiétude ne concerne pas uniquement les pays du Sud. Aux États-Unis, près d’un enfant sur cinq ne mange pas à sa faim depuis le début de la pandémie, selon le constat alarmant de la vénérable Brookings Institution [3]. L’arrêt de l’alimentation en milieu scolaire serait un facteur déterminant, le repas de la cantine constituant pour des millions d’enfants le principal et parfois unique apport calorique de la journée. En France, les longues files d’attente en Seine-Saint-Denis, lors de distributions de colis alimentaires, ont marqué les esprits. Le Secours populaire a vu les demandes d’aide alimentaire augmenter de 45 % depuis le mois de mars, par rapport à la même période l’année dernière, avec une situation toujours très préoccupante pour les étudiants.
Des collectifs d’habitants se mobilisent à Marseille pour apporter une aide alimentaire aux familles précaires, en particulier dans les quartiers populaires. © Jean de Peña, mai 2020.
Faut-il redouter un scénario similaire à 2009 marqué par des émeutes de la faim ? À l’époque, un épisode El Niño – un courant chaud à l’ouest de l’Amérique latine qui perturbe le climat sur tout le globe – d’une intensité extrême avait sapé les récoltes. Une mauvaise production et des stocks insuffisants avaient alors entraîné une flambée des prix spectaculaire, s’ajoutant à la crise financière mondiale.
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43 jours de stocks de céréales en Union européenne

« Il n’y a aucune crainte de pénurie à avoir », répète cependant Philippe Chalmin, professeur d’économie à Paris-Dauphine, invité par plusieurs médias depuis le début de la pandémie de Covid-19. Le monde n’a jamais autant produit, rassure-t-il [4]. Le Conseil international du grain anticipe ainsi une saison record pour 2020-2021 et des récoltes à hauteur de 2,22 milliards de tonnes de céréales.
« La production mondiale de céréales et les stocks alimentaires sont à un niveau excellent », confirme Olivier De Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits humains (et ancien rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation). Il redoute cependant que l’approvisionnement soit mis en danger à moyen terme. Les restrictions aux exportations, mises en œuvre par quelques pays comme la Russie, l’Ukraine et le Kazakhstan pour le blé, ou le Vietnam pour le riz, seraient inquiétantes si elles se prolongent.
L’Union européenne dispose par exemple d’un niveau de stock en céréales équivalent à 12 % de la consommation annuelle, soit 43 jours, contre 18 % pour la Russie, 23 % pour l’Inde, 25 % pour les États-Unis et 75 % pour la Chine (soit neuf mois de consommation) [5]. La principale menace vient plutôt de la demande selon Olivier De Schutter. La récession économique qui se profile va affecter en premier lieu les « 4 milliards d’individus sur la planète [qui] vivent sans aucun filet social ».

La dépendance du secteur agricole à une main d’œuvre précaire et mal payée

Si les écoles, restaurants, marchés rouvrent progressivement dans certains pays, les débouchés restent encore très partiels, entraînant des pertes et des gaspillages. Aux États-Unis, l’hyper-concentration du secteur de la viande bovine, contrôlé à 80 % par quatre multinationales, a montré sa vulnérabilité (notre article). Le Covid-19 a par ailleurs mis en lumière la dépendance du secteur agricole aux saisonniers migrants bloqués aux frontières. Le gouvernement français avait ainsi lancé, fin mars, un appel à candidatures pour pallier l’absence de cette main d’œuvre précarisée (notre enquête). Près de 300 000 candidatures ont été reçues, mais seulement 15 000 contrats ont été signés au 11 mai, en raison notamment de la pénibilité et des savoir-faire requis. De nombreux exploitants ont ainsi renoncé à récolter une partie de leur production.
La commissaire européenne aux Affaires intérieures, la suédoise Ylva Johansson a appelé à une levée d’ici fin juin de toutes les restrictions et contrôles aux frontières intérieures de l’Union européenne. Certains pays ont déjà assoupli les règles pour accueillir des travailleurs agricoles saisonniers, essentiellement venus d’Europe de l’Est. Une exploitation agricole britannique a même affrété un avion pour convoyer environ 180 Polonais en Angleterre, et ce « en dehors de tous les canaux officiels », selon l’ambassadeur de Pologne au Royaume-Uni [6]. Les frontières extérieures de l’UE restent en revanche fermées aux extracommunautaires pour une durée indéterminée. « Les travailleuses marocaines parties dans le sud de l’Espagne juste avant le début de la pandémie et dont le contrat devait s’achever fin mai, sont bloquées là-bas car les frontières sont toujours fermées », alerte Najib Akesbi.
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Les accords de libre-échange : des « accords de pauvreté économique »

Comme le note Olivier De Schutter, « nous avons un système qui a encouragé chaque région à se spécialiser pour satisfaire les besoins du marché mondial ». L’Ukraine et la Russie fournissent le blé, le Vietnam, l’Inde et la Thaïlande produisent du riz pour l’Afrique de l’Ouest. « Tout cela fonctionne bien… jusqu’au jour où les chaînes d’approvisionnement sont rompues pour des raisons climatiques, sanitaires, économiques ou encore géopolitiques. Et alors le système trahit au fond toute sa fragilité. » En 2018 par exemple, les pays d’Afrique subsaharienne comme la Somalie et le Soudan du Sud ont importé plus de 40 millions de tonnes de céréales.
Au Maroc, 90 % de la consommation d’huile est importée. « Notre pays reste champion des accords de libre-échange avec un volet agricole et alimentaire consistant. Rien n’indique que le gouvernement renonce au modèle agro-exportateur. Il mobilise de plus en plus de moyens pour exporter de plus en plus de produits pour le marché européen. En contrepartie, la dépendance alimentaire va crescendo », déplore Najib Akesbi. Les fondamentaux ne changent pas, les gouvernements semblent coincés dans un système qu’ils ne maîtrisent pas, confirme Mamadou Cissokho. Les accords de partenariat économique sont à ses yeux des « accords de pauvreté économique ». Avec le réseau des organisations paysannes de l’Afrique de l’Ouest, il se bat pour des systèmes alimentaires dépendant des produits locaux pour faire vivre l’économie rurale. Reconquérir la souveraineté alimentaire afin que chaque pays puisse satisfaire davantage ses propres besoins est aussi une bataille menée en France. Un récit à lire très prochainement sur Basta !.

vendredi 12 juin 2020

COMMUNIQUE DE PRESSE du PCF

Mobilisons-nous contre le racisme et les violences policières manifestons mardi 9 juin (PCF)
Après la mort de George Floyd, une vague d’indignation contre les violences policières racistes s’est levée dans de nombreux pays. Des centaines de milliers de jeunes font entendre leur voix contre l’omniprésence du racisme, des discriminations, des contrôles au faciès, et contre l’impunité de policiers dont les violences sont chaque jour filmées et documentées.
La France ne reste pas à l’écart de ce mouvement mondial.
L’arbitraire policier et les comportements discriminatoires ne sont pas une nouveauté. Mais le pouvoir de M. Macron et de son ministre M. Castaner ayant choisi d’instrumentaliser les forces de l’ordre pour affirmer une autorité de plus en plus contestée, on a vu se multiplier les brutalités policières et les actes racistes dans des manifestations ou et des quartiers populaires.
Même si cette violence n’est pas le fait de la majorité des policiers, cette attitude liberticide, qui éloigne de plus en plus l’institution policière des principes de la République, n’est plus acceptée dans notre pays.
Les mobilisations en cours sont également un cri contre l’injustice sociale, qui enclave nos quartiers populaires et se traduit par des inégalités grandissantes. Les discriminations font système.
À la nécessité d’interdire le plaquage ventral, de promouvoir le traçage des contrôles d’identité et d’instaurer une autorité de contrôle de la police indépendante, s’ajoute celle de lutter contre la relégation sociale des quartiers populaires et pour un renforcement des services publics.
La justice sociale et l’égalité des droits sont la condition du vivre-ensemble !
Le PCF appelle nos concitoyen.ne.s à participer en masse aux rassemblements prévus les prochains jours contre le racisme et les violences policières, notamment ce mardi 9 juin à 18h place de la République, en hommage à George Floyd, qui sera inhumé ce jour.
Parti communiste français,
Paris, le 8 juin 2020.