Tiphaine Todesco est infirmière puéricultrice dans un hôpital public de la région parisienne. Dans un témoignage publié sur Facebook, elle raconte le quotidien de son service : la course perpétuelle d’un enfant à un autre, et l’adaptation constante aux manques de moyens humains et matériels.
A vous, consultant en ressources humaines qui sur RMC ce jeudi 14 novembre 2019 prétendez tout savoir de la situation de l’hôpital public et certifiez que les infirmières, aides soignants ou auxiliaires de puériculture travaillent 32 heures par semaine et n’ont donc pas à se plaindre ni à manifester.
Rendez-vous dans un service hospitalier.
Nous travaillons 8 heures quotidiennement 5 à 6 jours par semaine selon le planning, ce qui fait au minimum 40 heures. En revanche, nous ne sommes payé-e-s que 7h30 car nous avons 30 minutes de pause incluses. Or, en période hivernale (d’octobre à mars minimum), nous n’avons presque jamais le temps de prendre cette pause. Nous ne mangeons pas et aller aux toilettes relève parfois du défi.
Nous travaillons en 3-8. Lorsque nous sommes du soir, finir à 21h est utopique. C’est plutôt minimum 22h, le temps de finir ses soins pour ne pas laisser un secteur déplorable aux collègues de nuit, faire les transmissions écrites pour se protéger en cas d’erreur, et rédiger les dossiers des nouveaux patients.
Couloirs « repeints et décorés » uniquement pour la visite du président
Nous avons certes dix patients à charge et les infirmières dans les services d’adultes en ont souvent bien plus, mais en pédiatrie, les soins techniques et le relationnel prennent parfois beaucoup plus de temps car nous sommes face à des petits êtres innocents et fragiles qui à leurs âges ne devraient pas se retrouver à l’hôpital : des enfants.
Est-ce normal quand un enfant de trois ans, seul car ses parents ont du s’absenter, s’arrache ses lunettes à oxygène cinq fois, oxygène dont il a vraiment besoin, d’être obligée de le « saucissonner » dans ses draps pour l’immobiliser et pour qu’il n’y touche pas car tu n’as pas le temps de rester auprès de lui pour le rassurer ?
Est-ce normal quand tu dois accompagner une petite fille à la douche pour la première fois après son bloc opératoire car ses parents ont peur de voir les cicatrices de répondre « Je n’ai pas le temps dans l’immédiat, il va falloir que vous l’accompagniez vous-même » ?
Est-ce normal, quand ton auxiliaire a couru dans tous les services de l’hôpital à la recherche de couvertures mais qu’il n’y en a plus nulle part et qu’il fait très froid dans les chambres aux fenêtres mal isolées dont certaines ont des moisissures sur les murs, de dire aux parents « Il faudra rapporter un plaid de chez vous, je n’ai plus que des alèses et des draps pour le couvrir » ?
- Manifestation hospitalière du 14 novembre 2019 (© Thomas Clerget)
Est-ce normal quand une jeune maman a du mal à allaiter son enfant et que tu devrais rester 45 minutes dans la chambre pour observer la tétée, la réassurer mais que tu ne restes que dix petites minutes car d’autres soins t’attendent ?
Est-ce normal quand des enfants le week-end s’ennuient, de leur proposer de faire un jeu dans l’après-midi mais qu’au fond de toi tu sais que tu n’auras pas quinze minutes à leur accorder ?
Est-ce normal de faire patienter ton patient drépanocytaire extrêmement douloureux sous morphine car son cathéter lui fait mal et que tu dois le re-perfuser rapidement, mais que deux parents ont activé la sonnette, sonnettes auxquelles tu dois répondre car il faut aussi rincer les antibiotiques en cours, éteindre les aérosols et j’en passe... ?
Sans oublier les situations cachées au grand public : Quand Monsieur le Président de la République visite un hôpital d’Outre Mer dont les couloirs semblent neufs, il n’est pas sans préciser que les couloirs ont été repeints et décorés uniquement pour cette visite. Quand la Ministre de la Santé visite un service d’urgences qui semble calme en période hivernale, il n’est pas non plus sans préciser que la régulation du SAMU a redirigé pour quelques heures les patients vers les autres hôpitaux de la région afin que ce service semble fonctionner sans encombre. Quand pendant la canicule il fait une trentaine de degrés dans le service et que tu vois sur BMF TV « Chaleur, les hôpitaux parisiens s’adaptent », et que le service en question interviewé aux climatiseurs derniers cris a dû investir et mettre aux normes ses appareils uniquement pour l’arrivée des médias. Est-ce normal ?
Une infirmière en grève.
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