En dehors de Mayotte, où les autorités locales sont dépassées par la progression de l’épidémie, la catastrophe a pour l’instant été évitée en outre-mer. La crise sanitaire a cependant exacerbé la défiance vis-à-vis d’un État isolé, et souvent décalé.
Mayotte est le seul département français à rester confiné. Avec douze morts et des dizaines de nouveaux cas de Covid-19 déclarés chaque jour, Mayotte s’enfonce dans la crise sanitaire. L’intersyndicale de l’île et un collectif citoyen ont adressé une lettre ouverte aux autorités locales, le 7 avril, exigeant de la transparence dans la gestion de la crise [1]. Principaux destinataires : le préfet et la directrice générale de l’agence régionale de santé (ARS), qui est l’écologiste et ancienne ministre de l’Environnement Dominique Voynet, médecin de profession. La lettre est assortie de questions précises : de combien de tests de dépistage du coronavirus dispose Mayotte ? Quelles sont les quantités de médicaments disponibles ? Combien y a-t-il de lits de réanimation, de masques et de blouses pour les soignants ? « On veut des chiffres sur les tests, les médicaments, les lits, les masques ! On a besoin de connaître la vérité ! », s’inquiète Safina Soula Abdallah, porte-parole du collectif des citoyens de Mayotte, signataire de la lettre.
À Mayotte, des chiffres contestables et un État dépassé par les événements
C’était beaucoup demander à la toute nouvelle ARS de Mayotte, créée en décembre dernier, juste avant l’apparition d’une autre épidémie, elle aussi ravageuse, la dengue. Transmise par un moustique, cette maladie mobilise très fortement le seul centre hospitalier de l’île, notamment les lits de réanimation. Dominique Voynet a annoncé que le nombre de lits de réanimation mis à disposition était passé de 16 à 24 dans cet hôpital déjà saturé en temps normal. « Nous pouvons passer à 38 lits », a-t-elle assuré sur France Info – l’île compte officiellement 270 000 habitants. Des annonces qui laissent dubitatif le collectif des citoyens. Une étude du Conseil économique, social et environnemental alertait, en janvier, sur la « situation critique » de l’hôpital alors que le Covid-19 et la dengue n’avaient pas encore frappé : « Prévu pour 300 lits, [le centre hospitalier de Mayotte] accueille en réalité près de 900 malades. »
« Le nombre de cas est faible mais il est en augmentation », avance le Premier ministre, le 7 mai, lors de la présentation de la stratégie gouvernementale de déconfinement. En réalité, la situation sanitaire est devenue incontrôlable dans les bidonvilles surpeuplés, où confinement et gestes barrières n’existent pas. Quant au dépistage, essentiel à toute stratégie de déconfinement, il reste très insuffisant. La directrice de l’ARS prévoit de doubler la capacité du laboratoire du centre hospitalier, sans toutefois fixer d’échéance. Début mai, à peine 200 tests étaient effectués quotidiennement, selon l’agence. Bien moins, selon le collectif des citoyens. Autre élément aggravant : certains symptômes de la dengue rappellent fortement ceux du Covid-19, d’où une forte sous-estimation du nombre de cas de coronavirus.
La Réunion, « laboratoire » des réponses sécuritaires à la crise sanitaire
Maigre consolation, Mayotte sait qu’elle peut compter sur sa voisine, La Réunion, pour les évacuations sanitaires. Les autorités de l’île ne s’en privent pas. Avec seulement 437 cas au 12 mai, la collectivité d’outre-mer la plus peuplée (850 000 habitants) compte cinq fois moins de malades du Covid-19 par habitant que Mayotte et ne déplore à ce jour aucun décès dû au virus. La stratégie mise en place par l’ARS de la Réunion fait figure d’exception en outre-mer. Contactée par Basta !, l’agence explique ce succès par une stratégie de dépistage « très large » permettant « d’identifier les personnes atteintes par le virus, même si elles sont asymptomatiques ». Elle indique aussi avoir « très rapidement » élargi aux laboratoires privés la réalisation de ses tests. Enfin, grâce à « un dispositif de recherche des cas contact mis en place dès le début de l’épidémie », 3500 personnes potentiellement contaminées ont pu être contactées en date du 30 avril, précise l’ARS.
Nous avons aussi contacté les ARS et les préfectures de Mayotte, de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane. Aucune n’a souhaité répondre à nos questions. À l’exception de Mayotte, toutes les collectivités d’outre-mer ont le feu vert du gouvernement pour enclencher le déconfinement. Mais sont-elles suffisamment équipées pour le faire ? Pas de réponse non plus de Santé publique France.
Certains traitements administrés par l’État à nos concitoyens ultramarins posent question. La Réunion, championne du dépistage du coronavirus, est aussi un « laboratoire » des réponses sécuritaires à la crise sanitaire, estime Serge Slama, professeur de droit à l’université de Grenoble. Le préfet de La Réunion a été le premier à imposer à toute personne entrant dans l’île une quarantaine « extrêmement stricte » – 14 jours de confinement dans un hôtel avec interdiction formelle de sortir – et « sans fondement légal », révèle une étude coordonnée par le chercheur grenoblois [2].
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Soutenez l’indépendance de Basta! en faisant un don.Inquiétude en Guyane face à l’explosion de l’épidémie du côté brésilien
Un mois plus tard, les préfets des Antilles et de la Guyane suivent l’exemple réunionnais, poussant l’ordre des avocats de la Guadeloupe, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy à déposer un recours contre cette mesure jugée attentatoire à la liberté d’aller et venir et contraire aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ce tour de vis réservé aux régions d’outre-mer – Nouvelle-Calédonie et Saint-Pierre-et-Miquelon inclues – était-il nécessaire pour protéger les populations ? Oui, répond le Conseil d’État en rejetant le recours des avocats guadeloupéens. Dans son avis du 8 avril consacré aux outre-mer, le conseil scientifique Covid-19 recommandait aussi la quatorzaine préventive.
Ce n’est pas tout : en Guyane, afin d’éteindre un foyer de contamination (21 personnes testées positives), le préfet a pris le 9 avril une mesure particulièrement coercitive : la mise en quarantaine stricte des quelque 300 habitants d’un village amérindien - Cécilia - situé près de l’aéroport de Cayenne. Le plus vaste département de France, et le moins densément peuplé (trois habitants au kilomètre carré), ne recense pourtant qu’un seul décès dû au virus depuis le début de la crise sanitaire.
En Guyane - comme à La Réunion ou aux Antilles - l’inquiétude de l’après-confinement se mêle au soulagement d’être relativement épargné par le nouveau coronavirus. Ces derniers jours, c’est le fleuve Oyapock, qui concentre toutes les attentions. En particulier la ville de Saint-Georges (4000 habitants) où les cas de Covid-19 ont commencé à se multiplier. Sur l’autre rive se trouve l’un des États les plus pauvres du Brésil, où l’épidémie est en train d’exploser. Le fleuve Maroni, qui sépare la Guyane du Suriname, est également surveillé de près. Mais comment contrôler ces zones frontalières où circulent orpailleurs et contrebandiers ? Selon le député Lennaïck Adam (LREM), interrogé par la chaîne Guyane La 1ère, « la situation est particulièrement alarmante » dans cette zone. « On ne confine pas à Grand-Santi [une commune de Guyane] comme on confine à Paris », poursuit l’élu, favorable à une stratégie locale de déconfinement.
Avec le confinement, les habitants des bidonvilles de Cayenne se retrouvent sans aucune ressource
Disséminés en partie aux abords des fleuves Maroni et Oyapock, les peuples autochtones - Bushinenge et Amérindiens - représentent plus d’un tiers de la population guyanaise. Elles sont parmi les populations les plus exposées au Covid-19. « Nous, les Amérindiens, on vit ensemble. Mais ce mode de vie, qui est une force, peut aussi accélérer la propagation du virus », reconnaît Christophe Pierre, porte-parole du réseau Jeunesse autochtone de Guyane.
Ce militant de la cause amérindienne regrette que le Grand conseil coutumier, qui défend les intérêts des autochtones, n’ait pas été associé aux cellules de crise organisées autour du préfet. Le plan de déconfinement du gouvernement ne lui dit rien qui vaille : « Ce plan, c’est un peu n’importe quoi ! Nous refusons catégoriquement d’envoyer les enfants au casse-pipe le 11 mai dans les communes de l’intérieur de la Guyane ! » Les élus de la collectivité territoriale, eux, ont d’ores et déjà repoussé à septembre la rentrée dans l’enseignement secondaire.
Dans les bidonvilles autour de Cayenne, où s’entassent des milliers de personnes habituées à vivre de la débrouille, le confinement a été vécu comme une catastrophe. « Ici, beaucoup de gens ne s’en sortent que grâce à l’économie informelle. Du fait de l’arrêt de cette économie, il se retrouvent sans aucun revenu », alerte Aude Trépont, coordinatrice générale de Médecins du monde en Guyane. « Malgré le travail réalisé ces dernières années, l’accès à l’eau et aux sanitaires n’est pas assuré pour tout le monde. » Pour le moment, le virus, peu présent, n’est pas une menace tangible pour ces habitants. « Mais s’il se mettait à circuler, on peut s’inquiéter pour ces personnes précaires dont la santé est souvent fragile. D’autant plus que notre système de santé est sous-dimensionné par rapport aux besoins du territoire », conclut-elle.
En pleine épidémie, 140 000 Antillais régulièrement privés d’eau
Le problème de l’accès à l’eau, déterminant pour respecter les « gestes barrière », ne touche pas que les Guyanais. Depuis le début du confinement, près de 40 000 Martiniquais, soit plus de 10 % de la population, en sont partiellement privés. Certains quartiers n’ont pas vu une goutte couler de leurs robinets pendant plus de trente jours d’affilée… En cause, les canalisations percées de toute part, faute d’entretien. L’eau et l’assainissement en Martinique sont principalement gérées par deux sociétés, la régie communautaire Odissy, et la Société martiniquaise des eaux, une filiale de Suez.
En Guadeloupe, les « tours d’eau », ces coupures intempestives de plusieurs heures, touchent pas moins de 100 000 personnes, soit un habitant sur quatre. Cela dure depuis des années. Dans ses vœux adressés aux Guadeloupéens pour 2019, le préfet Philippe Gustin s’était fixé pour objectif d’en finir avec ces coupures et de mettre en place un service public de l’eau pour remplacer la multitude de régies et syndicats inter-communaux. Le 30 avril dernier, face à la menace du Covid-19, il a dû réquisitionner plusieurs opérateurs incapables de fournir ce service de première nécessité.
Avec ou sans eau, les Antilles résistent à l’épidémie, enregistrant très peu de nouveaux cas ces derniers jours. Les alertes sur le manque de moyens des établissements de santé portées auprès des ministères de la Santé et des outre-mer par la Fédération hospitalière de Guadeloupe commencent aussi à porter leur fruits, estime son vice-président, le cardiologue André Atallah. « Au centre hospitalier de Basse-Terre, nous avons eu un avis favorable pour l’arrivée d’un petit automate permettant d’augmenter notre capacité de dépistage. » Des prélèvements commencent également à être effectués « en drive, sur des parkings de supermarché, des stades de foot ou sur le parking de l’hôpital », ajoute-t-il.
Concernant le matériel de protection (masques, visières, blouses), « le stock actuel est désormais plus conforme à la réalité des besoins », poursuit le cardiologue. Reste à remplir les armoires de médicaments de réanimation, « au cas où ». À l’hôpital, la possibilité d’une deuxième vague est dans tous les esprits. Elle pourrait venir de la réouverture des écoles ou d’un retour trop rapide des touristes, avance le docteur Atallah. Dans l’immédiat, la menace est limitée : la grande majorité des maires de Guadeloupe ont décidé de reporter la rentrée des classes à septembre. Quant aux plages, hôtels et restaurants, ils resteront fermés au moins jusqu’à début juin, sauf autorisation préfectorale.
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