Votée en décembre à l’Assemblée nationale, la loi sur les
métropoles constitue le dernier avatar des institutions intercommunales
apparues dans le sillage des réformes de décentralisation. Censées rapprocher
les élus des citoyens, ces structures fonctionnent en fait dans une grande
opacité. L’esprit de consensus qui y règne estompe les clivages politiques et
permet la confiscation du débat au profit d’une technicisation de l’action
publique.
par Fabien Desage et David Guéranger
La commune, cellule de base de la démocratie. Qui n’a pas
entendu ou repris à son compte cette idée aujourd’hui largement admise ? Les
chiffres semblent parler d’eux-mêmes : le nombre d’élus municipaux oscille
autour d’un demi-million, soit 99 % des élus en France. Issus des trente-six
mille six cent quatre-vingts communes du pays — plus que celles du Royaume-Uni,
de l’Allemagne et de l’Italie réunis —, ils assureraient un travail de
représentation politique « au plus près des citoyens ». Pour s’en convaincre,
il suffit d’évoquer l’attachement des Français à l’institution municipale, sans
cesse réaffirmé au gré des sondages. Si les arguments ne sont pas nouveaux, ils
ont été consacrés par les nombreuses lois de décentralisation adoptées depuis
trente ans, le plus souvent sans débat politique.
Dernière en date, la loi sur la modernisation de l’action
publique territoriale et l’affirmation des métropoles (1), examinée en deuxième
lecture à l’Assemblée nationale en décembre, ne fait pas exception à la règle :
elle est passée presque inaperçue. Destinée à « aménager », « rationaliser » et
« moderniser » l’action publique locale, elle poursuit l’œuvre entreprise par
les lois-cadres de 1982 et 1985, puis approfondie par la mise en place de
l’intercommunalité à partir de 1992 (lire « Une révolution silencieuse ») et
par la réforme des collectivités territoriales en 2010.
La décentralisation semble ainsi largement insensible aux
alternances politiques. Quel parti s’opposerait à la nécessité de « rapprocher
la décision du citoyen » ? Qui contesterait aux élus locaux — et en premier
lieu aux maires — la défense d’une citoyenneté et d’un « lien démocratique »
mis à mal au niveau national ? Cet unanimisme assourdissant connaît toutefois
une exception : le Front national (FN), qui a beau jeu de monopoliser la
critique de la décentralisation en dénonçant la « gabegie » financière, le
renforcement des « baronnies » et des « féodalités » locales, ou encore l’«
éclatement » du cadre national (2). La critique est d’autant plus confortable
que le parti, qui ne comptait que soixante-dix élus après les élections
municipales de 2008 (3), est faiblement implanté dans les exécutifs locaux.
Qui n’a pas son tramway ou son écoquartier ?
Pourquoi les principales formations de gauche, dont le Parti
communiste français (PCF), Europe Ecologie - Les Verts (EELV) et le Parti
socialiste (PS), ont-elles déserté le champ de la critique, l’abandonnant à
l’extrême droite ? Comment se sont-elles converties à ce qui s’est avéré une
conception du local globalement dépolitisée, centrée sur la défense des «
territoires » ? Répondre à ces questions oblige à esquisser une histoire aux
allures d’« étrange défaite ».
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