dimanche 14 avril 2019

BRÈVE HISTOIRE DES ONDES GRAVITATIONNELLES

Prédites par la théorie de la relativité générale, les ondes gravitationnelles sont détectées un siècle plus tard. C’est l’aboutissement, montre Édouard Brézin, d’une révolution conceptuelle et d’avancées technologiques qui ouvrent de nouvelles étapes pour la connaissance de l’Univers.
En février 2016 les physiciens de la collaboration internationale Ligo-Virgo ont annoncé qu’ils avaient observé la fusion de deux trous noirs (1) d’environ 30 masses solaires chacun. Cet événement a été observé grâce aux ondes gravitationnelles émises lors des derniers instants du processus fusionnel. Il s’est produit à environ 1,3 milliard d’années-lumière de nous. L’énergie émise sous forme d’ondes de gravitation lors de cette brève fusion a dépassé celle de la lumière rayonnée par l’ensemble de toutes les étoiles observables.
Cet événement, qui a été suivi depuis par quelques autres observations d’une nature semblable, était une première à plus d’un titre. Première observation terrestre d’ondes de gravitation, prédites par la nouvelle théorie de la gravitation d’Einstein de 1915. Première observation directe de trous noirs (jusque-là on observait indirectement la présence de trous noirs supermassifs – plus de 4 millions de fois plus massifs que le Soleil pour le trou noir qui est au centre de notre Voie lactée – par leur effet sur les trajectoires des étoiles voisines). Enfin, première observation d’un système binaire de deux trous noirs.
Cette découverte était en fait l’aboutissement de plus d’un siècle d’efforts. Pour en comprendre la genèse et la portée, il faut remonter à 1865 : l’Écossais James Maxwell publie la théorie unifiée de l’électricité et du magnétisme (à la suite notamment des travaux d’Ampère et de Faraday). Il comprend alors que la lumière est une onde de vibration des champs électrique et magnétique, dont il calcule la vitesse de propagation, retrouvant bien celle qui est mesurée. Mais la théorie de Maxwell prédit de surcroît que toute charge électrique accélérée, comme par exemple une charge oscillante dans un matériau conducteur, produit de telles ondes. Il fallut attendre l’expérience de Hertz en 1886 (Maxwell n’était plus de ce monde) pour mettre en évidence le transfert de l’énergie d’un circuit oscillant à un autre circuit distant de plusieurs mètres, sans aucun fil conducteur pour les connecter.
Ces expériences devaient avoir un impact inégalé sur nos vies, aujourd’hui plongées dans un univers de télécommunications – radio, télévision, téléphones cellulaires, etc. – fondé sur ces résultats. Mais elles furent aussi la source de problèmes conceptuels qui ne purent se résoudre qu’en modifiant tous les concepts classiques sur l’espace et l’écoulement du temps. En effet les équations de Maxwell ne sont pas compatibles avec la conception de l’espace et du temps héritée de Galilée et Newton.
De plus, les ondes usuelles, celles engendrées par un caillou lancé dans une eau calme ou celles qui entraînent le son, ont un support matériel pour se propager, l’eau et l’air dans ces deux exemples. Fallait-il imaginer un milieu matériel, un hypothétique éther, pour propager l’onde lumineuse ? Lorsque Maxwell calcule la vitesse de propagation de l’onde lumineuse, il s’agit de vitesse par rapport à quoi, le Soleil, la Terre ? Si cet éther était immobile par rapport au Soleil, alors la Terre subirait-elle un « vent d’éther » ?
C’est en 1905 que le jeune Albert Einstein, modeste employé d’un bureau de brevets à Berne, comprend que s’il existe une vitesse limite de propagation d’un signal, si cette vitesse maximale est la même pour tous les observateurs, alors temps et espace doivent être intimement mêlés : l’écoulement du temps n’est pas le même pour deux observateurs en mouvement relatif. Le problème n’est pas uniquement celui d’une contradiction entre les équations de Maxwell et la vision classique, il est universel : la théorie de la relativité restreinte est née.
Il est clair ??? pour ??? lorsque aucune théorie classique ne saurait résister à la modification impliquée par la relativité. Il en est ainsi de la théorie newtonienne de la gravitation, qui introduit une force de gravitation qui fait tomber les pommes et tourner la Lune au-dessus de nos têtes. Newton lui-même était très mal à l’aise avec l’idée qu’un corps pouvait agir sur un autre sans un intermédiaire pour transmettre l’interaction. A fortiori, la relativité restreinte interdit d’accepter que l’effet d’une perturbation sur un corps en mouvement puisse instantanément se transmettre à un corps distant du premier. Poincaré fait l’hypothèse, dès 1905, que la transmission de la gravitation se fait par l’intermédiaire d’ondes de gravitation, de même que les ondes électromagnétiques transmettent l’effet de charges accélérées.
Mais Einstein va emprunter un chemin différent ; après une période éprouvante faite de dix ans de réflexions intenses, de travail harassant, hésitant, imparfait jusqu’à la solution de 1915. Il fera du principe d’équivalence le sésame de la nouvelle physique : imaginons-nous quelques instants – pas bien longtemps, certes – dans un ascenseur en chute libre. Si une pièce de monnaie s’échappe alors de ma poche, elle flottera à mes côtés, comme s’il n’y avait pas de gravitation au sein de l’ascenseur. Dès 1907, Einstein affirme l’équivalence physique entre un champ de gravitation et une accélération du système de référence. Progressivement il dégagera l’idée que les corps se meuvent dans l’espace et le temps de manière aussi économique que possible. Si aucune masse n’influence cet espace-temps, il s’agit bien du mouvement en ligne droite ordinaire, mais il ajoute que les masses des corps déforment l’espace-temps. De même qu’une boule peut déformer un maillage élastique et une bille se déplacer ensuite sur ce tissu distendu, la ligne droite est remplacée par le trajet le plus court dans cet espace-temps déformé, la géodésique de l’espace-temps. Les masses sont source de courbure de l’espace-temps et elles se déplacent elles-mêmes le long des géodésiques de cet espace-temps courbé.
Cette nouvelle théorie de la gravitation, la relativité générale, n’aura pendant longtemps qu’un tout petit nombre de conséquences expérimentales. Einstein réussira à expliquer ainsi une légère anomalie de la trajectoire de la planète Mercure. Eddington en 1919 montrera, lors d’une éclipse totale du Soleil, que les rayons lumineux passant près du disque solaire se courbent exactement comme prédit par les équations d’Einstein (qui calculent la déformation de la géodésique induite par le Soleil).
Mais de nos jours la relativité est sans cesse mise en œuvre ; c’est ainsi que le GPS serait inutilisable si l’on ne tenait pas compte du mouvement par rapport à nous des satellites qui envoient le signal électromagnétique (effet de relativité restreinte) et de l’écoulement du temps qui est plus lent dans le satellite soumis à une pesanteur terrestre inférieure à celle que nous subissons (relativité générale).
Cette théorie d’Einstein prédit de surcroît que les interactions gravitationnelles sont médiées par des ondes de déformation, de vibration, de l’espace et du temps qui se propagent dans le vide à la même vitesse que la lumière. Les progrès de la précision des détecteurs ont relancé la possibilité de détecter ces ondes de gravitation, longtemps considérée comme un rêve impossible par Einstein lui-même.
Les physiciens américains ont construit deux grands interféromètres laser (dans les États de Washington et de Louisiane), appelés Ligo, et les Européens un interféromètre du même type près de Pise, Virgo. Chaque interféromètre consiste en deux grands bras perpendiculaires de plusieurs kilomètres de long. Un rayon laser est divisé entre les deux bras ; après un nombre considérable d’allers-retours entre des miroirs, on les recombine et on observe si leurs parcours, éventuellement modifiés par une perturbation qui affecterait préférentiellement l’un des bras, ont induit des déplacements des franges d’interférence. La sensibilité de ces interféromètres est vertigineuse : une modification de la longueur d’un des bras, inférieure à un dix millièmes de la taille d’un proton, induit un déplacement mesurable des franges d’interférence. Les Européens achèvent de construire une source « avancée » de sensibilité accrue, mais ils ont participé avec les Américains à la découverte en août 2017 des ondes gravitationnelles issues de la fusion de deux étoiles à neutrons. Plusieurs instruments de même nature sont aujourd’hui en construction dans le monde.
Le prix Nobel 2017 a été attribué aux trois physiciens américains à l’origine de la découverte de la fusion des trous noirs par Ligo fin 2015. Alain Brillet, qui a joué un rôle essentiel dans la réalisation expérimentale de Virgo, et Thibault Damour, théoricien qui a analysé la fusion de deux trous noirs, se sont partagé la médaille d’or du CNRS en 2017.
La cosmologie, c’est-à-dire l’histoire de l’Univers, depuis le big bang il y a 13,8 milliards d’années, est née elle aussi de la relativité générale. C’est aujourd’hui une science expérimentale très active. La fréquence d’évènements tels que la fusion de trous noirs ou d’étoiles à neutrons et les progrès à venir des appareils de détection permettent d’envisager que la détection des ondes gravitationnelles devienne une technique majeure d’observation de l’histoire de l’Univers.
(1) Un trou noir est une région de l’espace-temps déformée sous l’effet de la gravitation, au point que tout corps, corps massif ou lumière, qui franchit son horizon ne peut s’en échapper – d’où le nom. Bien que la relativité générale interdise tout échange de matière ou d’information entre l’intérieur d’un trou noir et un observateur externe, Stephen Hawking a montré que la mécanique quantique autorisait des déviations, quoique infimes et inobservées, par rapport à cette règle stricte.

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