Des formations destinées aux élus sont prévues lors des université d’été du PCF et de la France insoumise. Guillaume Clément
Les
séances houleuses de la première session, marquée par l’indigence d’un
groupe majoritaire réduit à la fonction de presse-bouton, relève d’un
malaise bien plus profond qu’une simple impréparation aux rouages de
l’Assemblée.
En
dépit de ce fiasco parlementaire, le parti d’Emmanuel Macron n’a pas
jugé utile de faire de la formation de ses parlementaires une priorité.
Pourtant, concède un responsable du parti LREM, ce besoin s’était
exprimé en force lors d’une consultation interne en juillet, et devrait
se traduire par des « Mooc », (comprendre formation en ligne)… Tout
juste les députés de la majorité ont-ils été invités à partir en
vacances avec un règlement intérieur du Palais-Bourbon… et un exemplaire
du livre du socialiste Jean-Jacques Urvoas, publié en 2012. Son Manuel
de survie à l’Assemblée nationale, l’art de la guérilla parlementaire a
été distribué à chaque député du groupe à la fin de la cession. Pas sûr
que ce kit de prêt-à-penser suffise, tant le naufrage parlementaire de
juillet relève d’un malaise bien plus profond qu’une simple
impréparation ou méconnaissance des rouages de l’Assemblée.
L’échec cuisant du label « société civile »
En pleine campagne pour les élections législatives, une
vidéo de la prestation télévisée d’Anissa Kheder, désormais députée LREM
du Rhône, avait fait le tour de la Toile, suscitant l’affliction de
millions d’internautes. On y découvrait une candidate incapable
d’avancer un argument face à des journalistes médusés, annonçant la
couleur d’une première session parlementaire marquée par les
cafouillages de la majorité dans l’Hémicycle, chaque jour apportant son
lot d’incidents et d’imbroglios suscités par des députés LREM
manifestement dépassés. Ou l’échec cuisant du label « société civile »
vendu par Macron comme unique argument de campagne pour faire rentrer
les intérêts privés dans l’Hémicycle, bien loin du renouvellement
sociologique dont avait besoin la représentation nationale (voir
encadré). « Le fait que des responsables politiques aient besoin
d’appeler à leurs côtés des personnalités qu’ils présentent
ostensiblement comme étrangères à leur milieu est en soi le symptôme
d’un malaise de la représentation démocratique, explique la philosophe
Catherine Colliot-Thélène, d’un milieu qui a perdu le contact avec la
société qu’elle est censée représenter. » C’est bien là que le bât
blesse, pour Caroline Fiat. « Ce qui m’a frappée, confie la députée FI
de Meurthe-et-Moselle, c’est que nous aussi, au sein du groupe FI mais
aussi du groupe GDR, nous étions “novices” au Parlement, ce qui ne nous a
pas empêchés de travailler ! Ce qui frappe, c’est le manque de
squelette idéologique de ce groupe. On dirait que ces gens-là n’ont
jamais fait l’effort de convaincre personne, qu’ils ne saisissent pas
l’enjeu des textes qu’ils votent. Quand vous savez ce qu’est la
précarité, le chômage ou le Smic, vous ne vous trompez pas de bouton au
moment de voter. Vous ne renoncez pas à rédiger un amendement au
prétexte que vous ne connaissez pas les aspects techniques », rappelle
la députée.
D’autant que, comme le souligne Éric Phelippeau, « les
parlementaires – fussent-ils ou non compétents pour le faire – sont loin
d’être les seuls à intervenir dans la fabrique de la loi ». « Le
travail politique est aussi le produit de l’activité d’une foule
d’acteurs invisibles qui bénéficient souvent d’une stabilité statutaire
supérieure à celle des parlementaires, rappelle le docteur en sciences
politiques (1). C’est le cas des fonctionnaires des Assemblées, qui
orientent, canalisent et conseillent les nouveaux élus dans leurs
premiers pas. Mais il faut aussi mentionner l’importance moins connue
des collaborateurs politiques de groupes parlementaires qui jouent un
rôle de l’ombre essentiel ». Alors comment expliquer ce fiasco du groupe
majoritaire, qui a multiplié les bourdes, des applaudissements à tort
et à travers en passant par des erreurs de vote ou la passivité générale
pendant les débats, quand les députés communistes et insoumis
ferraillaient avec aisance dans l’Hémicycle, notamment contre la loi
travail ?
Le Parlement entre les mains d’une poignée de technocrates
« Des députés novices, il y en a partout, souligne le
député communiste des Bouches-du-Rhône Pierre Dharréville, dont le
groupe compte neuf nouveaux députés qui ont su se démarquer dans les
débats. Mais ce qui nous caractérise, c’est que nous avons tous une
longue expérience militante, politique et collective. Nous avons un
enracinement citoyen qui nous porte et nous donne de la légitimité. Pour
de nombreux députés LREM, leur seule expérience militante se résume à
quelques semaines de campagne pour les législatives, et cela se voit. »
Le 19 juillet, même la présidente LREM de la commission des Lois, Yaël
Braun-Pivet, s’agace sèchement du comportement de ses propres collègues.
Croyant son micro fermé, elle lâche : « On a un groupe qui dort, qui ne
sait pas monter au créneau, qui est vautré. » La droite LR, par la voix
de son chef de file, Christian Jacob, ouvre son procès en incompétence,
saisi comme une occasion de légitimer la « professionnalisation »
nécessaire des élus. « Attention à ce que la gauche ne tombe pas dans ce
piège », prévient Rémi Lefebvre. « Que l’opposition se saisisse de ces
maladresses, c’est de bonne guerre. Mais attention de ne pas renvoyer
l’idée que la politique ne serait qu’une affaire de compétences. Car,
avec ces mêmes arguments, on peut justifier qu’un ouvrier n’a pas sa
place dans l’Hémicycle, soulève le politologue. Bien sûr, la politique
nécessite des savoir-faire et des savoir-être, de mobiliser des savoirs
et des connaissances, qui bien souvent, pour les politiques,
s’acquièrent plus par le militantisme que par le niveau de diplômes. Que
les députés En marche ! ne sachent pas s’exprimer, c’est une chose,
mais ont-ils vraiment des choses à dire ? »
« La majorité a tendance à confondre la conduite du pays
avec celle d’une start-up. Elle a peu d’appétence pour le débat
démocratique », abonde Stéphane Peu, député communiste de
Seine-Saint-Denis, qui s’inquiète d’un rabougrissement du rôle du
Parlement au profit d’un exécutif aux mains d’une poignée de
technocrates.
L’élection de Macron, produit de la crise démocratique
Pour Adrien Quatennens, le spectacle affligeant donné par
la majorité dans l’Hémicycle ne doit pas non plus se traduire par un
procès en incompétence. « Nous sommes opposés à la professionnalisation
de la vie politique, rappelle le député de la France insoumise du Nord.
Il faut noter l’habileté d’Emmanuel Macron à perpétuer les politiques
libérales avec des habits neufs. Si les députés de la majorité
représentent la société civile, alors nous sommes les députés de la vie
ordinaire. » Le benjamin du groupe FI, qui s’est fait remarquer pendant
les débats sur la loi travail, rappelle que la majorité, loin du
renouvellement sociologique attendu (voir encadré), est essentiellement
composée de cadres et de professions libérales. « J’ai senti qu’ils
avaient l’habitude de donner des ordres, pas d’en recevoir,
ironise-t-il. Alors qu’ils devaient sans doute nous mépriser un peu,
ils ont trouvé face à eux des novices qui ont une expérience militante,
et ça fait toute la différence (voir article ci-contre). À gauche, on se
cultive, on s’intéresse, on écoute, toujours le crayon à la main. Être
un bon élu, ce n’est pas connaître par cœur le règlement de l’Assemblée,
mais servir l’intérêt général, loin des conflits d’intérêts. »
L’élection d’Emmanuel Macron, produit de la crise démocratique, et le
raz de marée qui s’en est suivi aux élections législatives ont
paradoxalement accentué tout ce que les Français reprochaient à la
pratique du pouvoir : sa concentration dans les mains d’une élite
technocratique étroitement liée aux milieux financiers. « Je suis
persuadé que cette majorité – un groupe soumis aux propositions de
Matignon et donc de l’Élysée – peut se fissurer », assure André
Chassaigne. « On le voit, quand on discute avec les élus de la majorité,
explique le chef de file des députés communistes, le malaise est en
train de naître. Certains mangent leur chapeau. Ils réalisent qu’ils
sont des élus de droite »…
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