mercredi 20 décembre 2017

Paradis fiscal pour les riches, enfer pour tous


Tribune de Pascal Savoldelli, groupe CRCE au Sénat, parue dans l’Humanité du 15 décembre 2017 

Il y a quelques jours, un grand quotidien économique, toujours soucieux de la bonne santé des marchés financiers, titrait « La pression fiscale en France est la plus élevée de l’Union européenne ».
Comme n’importe quel lecteur, je note ce formidable paradoxe : d’un côté une pression fiscale « intolérable » – dont le journal oublie de rappeler la finalité, à savoir financer des politiques publiques –, de l’autre la situation catastrophique des comptes publics, avec des caisses de l’État désespérément vides et une dette publique qui atteint des sommets ?
Je m’empresse donc de consulter l’étude de référence, émanant d’Eurostat, le service statistique de la Commission européenne, qui titre en fait : « Le ratio recettes fiscales/PIB en légère hausse tant dans l’UE que dans la zone euro ». Et de confirmer, dans cet ensemble, la stabilité du taux des recettes fiscales de la France.
Rien à voir en effet avec la nouvelle ponction imposée aux Grecs pour 2016 (plus de 2 % de hausse du poids de leurs impôts), avec le énième plan d’austérité que conditionne l’aide plutôt chiche de l’UE à ce pays, mis en coupe réglée par Merkel, Juncker, Schäuble et Lagarde !
Vient alors le taux mesuré par Eurostat : « 47,6 % du produit intérieur brut marchand ».
Un taux élevé, qui recouvre en fait impôts… et cotisations sociales. Car, depuis 1945, en effet, et la mise en œuvre du grand dessein de la Résistance porté par la pugnacité et la détermination d’Ambroise Croizat, lassé de voir mourir des vieux dans la misère et des travailleurs accidentés dans la pauvreté, nous nous sommes construit un système de Sécurité sociale.
Un système qui couvre autant que possible l’ensemble de la vie humaine, du berceau à l’au revoir final, et qui a puissamment contribué, depuis plus de soixante-dix ans, à faire de notre pays l’une des premières puissances économiques de la planète. La maladie affrontée, la famille aidée, les enfants éduqués, la retraite heureuse, voilà les atouts apportés par la Sécurité Sociale, à sa création. Que cela provienne d’un partage des richesses créées par le travail de tous est le meilleur moyen d’en assurer la pérennité.
J’en reviens à la fameuse étude : 18,8 % de cotisations nettes au regard du PIB – c’est leur part mesurée par Eurostat –, au regard des 0,2 % de déficit de la Sécurité sociale en 2018, ce n’est pas si mal géré que cela !
Que reste-t-il alors ? 47,6 % moins 18,8 %, cela donne 28,6 % d’impôts stricto sensu, soit un taux très proche du ratio de l’Union européenne entière (26,7 %). De quoi relativiser l’enfer fiscal qui semble hanter la rédaction des Échos. D’autant que certains pays financent la protection sociale soit par la fiscalité, soit par les cotisations personnelles dans le cadre de programmes de capitalisation, qui laisse le sort des retraités dans les mains de fonds de pension dont chacun connaît les vertus philanthropiques.
Nous avons donc en France 28,6 % d’impôts. Et c’est dans l’examen de sa structure que le débat prend une nouvelle tournure. 16,1 % du produit de ces impôts concernent en effet la consommation (TVA, taxes sur le carburant, contribution carbone, droits d’importation…) et 12,5 % les revenus des ménages et des entreprises.
Pour ces dernières, le taux de l’impôt en France atteint 33,33 %, évidemment présenté comme antiéconomique. Mais Eurostat confirme que les impôts sur les sociétés en France constituent 2,6 % du PIB, soit l’exacte moyenne de la zone euro. Ça l’est encore moins lorsqu’on compare ce chiffre à celui de nos voisins européens : la moyenne est de 2,7 % en Allemagne, 3,4 % en Belgique, 2,7 % en Irlande, 2,8 % au Royaume-Uni… 3,1 % en Suisse !
Loin d’atténuer de prétendus excès, les discours hallucinants sur la trajectoire de baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, sur la baisse de l’imposition locale des entreprises, sur l’exonération des plus-values, et j’en passe, ne viseraient-ils pas, en fait, à construire un authentique paradis fiscal, singulièrement pour les plus grands groupes ?
Fraîchement arrivé dans cette institution méconnue qu’est le Sénat, j’ai pu voir la droite rivaliser d’imagination avec le projet de société de la République en marche, pour baisser le taux d’imposition des plus-values, alléger la fiscalité des stock-options ou trouver une nouvelle niche pour les entreprises. Et il en fallait, de l’imagination, tant les ministres Le Maire, Darmanin ou Dussopt avaient mis la barre très haut, pour que « nouveau monde » et capital filent le parfait amour, pour que l’argent, faut d’avoir des idées, fasse de l’argent ! Les uns comme les autres se seront révélés moins audacieux pour entendre nos propositions en faveur d’une fiscalité sur les ménages, plus juste et plus efficace, pesant moins sur la consommation populaire.
L’impôt sur le revenu se trouve sous la moyenne européenne, grâce essentiellement à la baisse du taux maximal à 45 %, et aux 30 milliards de niches fiscales, dont la plupart portent sur les revenus de capitaux ou ceux du patrimoine, à l’image des dividendes de particuliers qui génèrent 5,4 milliards d’euros de crédit d’impôt.
Mais la part des impôts venue des ménages (200 milliards d’euros et 8,7 % du PIB marchand) est composée de 130 milliards d’euros de la CSG et de la CRDS, bien plus que les 70 milliards d’un impôt sur le revenu, que la baisse de la taxe sur les plus-values notamment va encore réduire.
Il n’y eut donc personne sur les bancs du gouvernement et à droite de l’Hémicycle pour entendre nos propositions en faveur d’un allégement de la taxation de la consommation populaire, à travers la TVA ou les taxes intérieures sur la consommation de produits énergétiques.
Que voulez-vous, la droite aime beaucoup les droits indirects, qui frappent indistinctement et « silencieusement » les consommateurs. Dans ses pas, la République en marche recycle de vieilles idées. Pour trouver quelques recettes de poche pour la Sécurité sociale cette année, on a relevé la taxe sur les sodas, trop sucrés, pour un motif de santé publique, en épargnant toutefois les producteurs de spiritueux.
On appelle cela de la fiscalité « comportementale », et la fiscalité écologique qui croît et embellit depuis quelques années en procède aussi. Ne culpabilise-t-on pas le consommateur, accusé de remplir les poubelles des emballages plastiques et chimiques que les groupes de la grande distribution produisent sans cesse plus ?
Dans l’univers fiscal de la France de 2017, la TVA est censée rapporter plus de 150 milliards d’euros, soit plus de deux fois l’impôt sur le revenu, et plus de cinq fois un impôt sur les sociétés. Avec sa copine TICPE (la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques), que chacun paie à la pompe à essence ou sur sa facture d’électricité, elle fait la majorité des recettes fiscales de l’État.
Alors, entre nos concitoyens d’un côté et les grands groupes et les marchés financiers de l’autre, pour qui l’enfer et pour qui le paradis ?

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