samedi 29 juin 2019

Pourquoi des médicaments très controversés continuent d’être prescrits face à la maladie d’Alzheimer

Le gouvernement a déremboursé l’année dernière les médicaments anti-Alzheimer, jugés peu efficaces et aux effets indésirables parfois graves. Pourtant, des médecins continuent de les défendre et ont demandé l’annulation de cette décision. Leurs liens d’intérêts avec les labos auraient-ils quelque chose à y voir ? De plus en plus de troubles chez les personnes âgées tendent en outre à être étiquetés Alzheimer, et à faire l’objet de prescriptions médicamenteuses. « La maladie d’Alzheimer est devenue un énorme fourre-tout »« on a tendance à qualifier tous les troubles psychiques d’Alzheimer », alertent certains observateurs. Enquête.
Les quatre médicaments principaux anti-Alzheimer figurent encore dans la liste noire 2019 de la revue Prescrire, qui recense les traitements plus dangereux qu’utiles. Selon la revue médicale indépendante qui aide les médecins à mieux prescrire, à l’abri de la pression des labos pharmaceutiques, ils sont à éviter en raison des risques « disproportionnés » qu’ils font courir aux patients. Ce sont les mêmes traitements que le gouvernement a décidé de dérembourser en juin 2018, les estimant peu efficaces, voire dangereux, avec à la clé, 90,3 millions d’euros d’économies. Mais faute d’alternative, ils restent massivement prescrits malgré le manque de résultat. Il n’existe pas de remède pour soigner cette maladie qui toucherait 850 000 personnes dans l’Hexagone, selon France Alzheimer.
« Aucun de ces médicaments n’a d’efficacité démontrée pour ralentir l’évolution vers la dépendance », soulignait déjà Prescrire, au moment de l’arrivée sur le marché de ces traitements il y a vingt ans. « La maladie d’Alzheimer est fluctuante, parfois cela va de mal en pis, parfois cela va mieux, même si cela n’est pas forcément grâce aux médicaments », tente d’expliquer Bruno Toussaint, le directeur éditorial. Basta ! s’est surtout rendu compte que la promotion passée des fabricants de ces médicaments auprès des blouses blanches semblent encore récolter ses fruits aujourd’hui...

« Des effets indésirables graves, parfois mortels »

Il n’y a qu’à constater l’aveuglement d’une partie de la communauté médicale quant aux effets secondaires de ces traitements. En plus du manque d’efficacité, au fur et à mesure des avancées de la recherche, on s’est aperçu qu’ils exposaient « à des effets indésirables graves, parfois mortels », depuis plus de dix ans, comme le signale Prescrire. Troubles digestifs – dont des vomissements parfois graves –, neuropsychiques, cardiaques, dont des bradycardies, des malaises et des syncopes pour certains de ces médicaments [1]. Et pour l’un d’entre eux, en prime, des troubles sexuels compulsifs ont été recensés comme effets secondaires. Encore un autre médicament déremboursé [2] peut même entraîner des comportements violents.
Pourquoi les médecins continuent-ils de prescrire ces traitements malgré leur manque d’efficacité combiné à leurs effets secondaires graves ? Les liens d’intérêts tissés avec leurs fabricants peuvent-ils l’expliquer ? Étonnamment, ce ne sont pas les laboratoires fabricants – Eisai, Lundbeck, Novartis et Janssen-Cilag (Johnson&Johnson) – mais un collectif mené par des sociétés savantes comme la société française de neurologie et de gériatrie, ainsi que l’association de patients France Alzheimer qui sont montés au créneau. Ils ont déposé un recours devant le Conseil d’État pour faire annuler la décision de déremboursement le 27 juillet 2018. La procédure judiciaire est toujours en cours.
La fer de lance de ce recours, c’est la société française de neurologie qui regroupe les stars de la neurologie, grands influenceurs du secteur. Jérémie Pariente, son vice-président, est missionné par la société savante pour répondre à nos questions en tant que référent pour la maladie d’Alzheimer. « Si ces médicaments avaient été vraiment dangereux, les autorités publiques les auraient retirés du marché. Le débat ne porte pas tant sur les effets secondaires mais sur l’efficacité modérée. Ces traitements ont parfois eu mauvaise presse, déplore celui qui est aussi neurologue au CHU de Toulouse. J’ai vu des troubles digestifs apparaître chez certains de mes patients, mais aucun comportement violent ni pulsion sexuelle. »

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