Alors que leur grève s’étend, les soignants et les médecins des services d’urgences manifestent dans la capitale, ce jeudi. Leurs organisations syndicales demandent l’ouverture de négociations immédiates avec la ministre.
Le ton monte aux urgences. Selon le collectif Inter-urgences, 80 services sont actuellement en grève. Le mouvement non seulement continue de s’étendre mais s’installe. Il avait démarré le 18 mars dernier à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, puis avait gagné les services de l’AP-HP et la plupart des grands établissements, hôpitaux généraux et CHU de province. Des délégations se sont donné rendez-vous dans la capitale, ce jeudi, place Montparnasse, vers le ministère de la Santé, où les organisations syndicales (CGT, SUD, l’Amuf, Association des médecins urgentistes de France) entendent bien obtenir l’ouverture immédiate de négociations. Ils ont d’ailleurs reçu le soutien inattendu du Conseil national de l’ordre des médecins qui, hier, a appelé « avec gravité, dans le cadre du dialogue social, à l’organisation d’une concertation d’urgence (…) ». « La crise des services d’urgences est l’un des symptômes les plus aigus de l’extrême difficulté dans laquelle se trouve l’hôpital public », écrit l’Ordre, qui indique apporter « écoute et soutien à l’ensemble des médecins et des professionnels qui exercent dans des conditions de plus en plus difficiles ». Il se dit « prêt à prendre sa part dans l’élaboration des décisions ministérielles qui ne sauraient être plus longtemps différées ». En fait, ce sont les réquisitions de ces derniers jours, par des policiers venus chercher à leur domicile, en pleine nuit, des soignants, en arrêt maladie, qui a bousculé l’ordre des médecins, peu enclin à de telles déclarations.
« La majeure partie des soignants est en épuisement professionnel »
S’y sont ajoutés les propos tenus par Agnès Buzyn, mardi matin sur France Inter, qui, questionnée sur ces réquisitions et la multiplication des arrêts maladie parmi les professionnels de santé, en plein mouvement social, a accusé les urgentistes de « dévoyer la fonction des arrêts maladie » et de faire peu cas de leurs collègues. « Je pense que ce n’est pas bien, ça entraîne une surcharge de travail pour les autres », a-t-elle déclaré, provoquant de vives réactions jusque dans travées de l’Assemblée nationale et du Sénat où se poursuit le débat sur la loi « organisation et transformation du système de santé ».
En pleine crise, les services d’urgence vont-ils devoir fonctionner à marche forcée ? Pour les urgentistes, un pas a été franchi à Lons-le-Saunier (Jura) où, depuis jeudi dernier, des personnels médicaux et paramédicaux, en arrêt maladie, épuisés par des conditions de travail intenables, sont sommés par les gendarmes de reprendre leurs postes pour pallier les sous-effectifs. Le 28 mai, c’est à une heure du matin que les policiers sont venus tirer de leur sommeil des personnels des urgences sur réquisition du préfet, explique dans un communiqué l’intersyndicale Amuf-CGT-FO. Dans ce service, 70 % des agents toutes catégories confondues sont en arrêt maladie. « Une grande partie du personnel est en épuisement professionnel », explique le docteur Éric Loupiac, urgentiste membre de l’Amuf. Selon la CGT, 2 médecins, 4 infirmières et 2 aides-soignantes étaient concernés par ces réquisitions lundi. Depuis, les plannings ont été modifiés mais au détriment des repos programmés, annulés sans que les soignants n’en soient prévenus. Une méthode certes moins spectaculaire mais qui ne règle en rien le problème de sous-effectif, comme l’a raconté anonymement au Quotidien du médecin un jeune interne après ses deux nuits de garde. « Il y a eu des réquisitions parmi du personnel qui travaille déjà dans ce service d’urgences mais qui avait déjà fait les nuits précédentes. Un médecin du Smur de Champagnole (ville à proximité – NDLR) de 70 ans est venu en renfort. Il ne connaissait pas l’outil informatique. Moi, je suis arrivé en mai en stage. je ne maîtrise pas non plus tous les logiciels. Nous avions un rythme de fou. Tout était compliqué », raconte-t-il. L’interne dresse également le bilan médical inquiétant de ses heures de garde : « Une phlébite qui se transforme en embolie pulmonaire, un enfant de 13 ans “scopé” qui passe la nuit dans un box aux urgences, une fracture d’humérus qui attend 10 heures sur un brancard, sans antalgiques… »
Hier après-midi, un CHSCT extraordinaire avait été convoqué suite au dépôt d’un signalement de « danger grave et imminent » par le syndicat CGT, en raison de l’explosion du nombre d’arrêts maladie consécutifs à ces mauvaises conditions de travail. « Il y a trente ans que je connais le centre hospitalier, je n’ai jamais vu cela. Je ne veux pas être complice d’une telle catastrophe », s’alarme Rachid Hiebous, secrétaire CGT à Lons-Le-Saunier. Le syndicaliste précise qu’un rapport d’expertise « accablant » sur les effectifs et les absences, daté de mai 2018, décrivait déjà le phénomène très important de pré-burn-out et de burn-out touchant toutes les catégories de personnels, y compris les agents administratifs jusqu’alors moins exposés… « Une centaine de postes de contractuels ont été supprimés. La masse salariale régulièrement amputée. On ne peut pas répartir l’activité sur moins de personnel en pensant que cela n’aura pas de conséquences », poursuit Rachid Hiebous.
« À Lons, les urgentistes sont en grève depuis sept mois. Et comme partout, le refus de négocier entraîne la radicalisation du mouvement. La grève « sparadrap », qui consiste à faire grève sans arrêter de travailler, a ses limites. Il n’y a plus de temps à perdre. La ministre doit nous écouter d’autant que l’été approche et qu’il va falloir gérer les congés. Déjà des centaines de fermeture de lits sont programmées », alerte Christophe Prudhomme, urgentiste (Usap-CGT). Le collectif Inter-urgences met sur la table deux revendications : le renforcement des effectifs et une augmentation des salaires de 300 euros par mois. Mais, pour sortir de l’ornière, il faudra aller plus loin, explique-t-il : « Aux urgences nous avons un flux de patients entrant mais pas de flux sortant. Il faut arrêter de supprimer des lits. Pour notre part, nous demandons notamment un moratoire contre les fermetures, de lits, de services et d’hôpitaux. » Le 11 juin, les professionnels de santé manifesteront pour défendre non seulement les urgences mais aussi l’hôpital public.
Sylvie Ducatteau
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