mardi 8 avril 2025

Où va la Syrie ?

Le 8 décembre 2024, les islamistes de Hayat Tahrir al-Sham (HTS) entrent à Damas, renversant le régime de Bachar Al-Assad, que nous ne pouvons absolument pas regretter.

Leur chef, Al-Joulani, ancien d’Al-Qaïda, bénéficie d’un soutien occidental et arabe, ainsi que d’une couverture médiatique favorable. Pourtant, la situation syrienne reste explosive dans la poudrière moyen-orientale.

Une économie et une société en ruine
La guerre (2011-2024) a divisé le pays et détruit son économie. Le PIB a été divisé par deux, les infrastructures agricoles et énergétiques sont en lambeaux. Les sanctions internationales ont aggravé la crise à tous les niveaux. 66 % des Syriens vivent dans l'extrême pauvreté, la couverture vaccinale est quasi inexistante et près de la moitié des enfants ne sont pas scolarisés. L’extrême brutalité du régime et sa politique après 2011, sa corruption endémique, la libéralisation du marché, qui explique la rapidité de sa chute, et l’absence de soutien populaire, ainsi que les sanctions internationales, ont aggravé la crise à tous les niveaux.

Le nouveau régime opte pour le néolibéralisme : privatisations massives, licenciements dans la fonction publique. Sa participation au dernier Forum de Davos, grand-messe du libre-échange gage cette orientation. Objectif : obtenir la levée des sanctions en achevant de démanteler l'appareil économique et social syrien.

Un pouvoir islamiste autoritaire
Le 13 mars 2025, une déclaration constitutionnelle instaure un régime présidentialiste. Président par intérim, Ahmad Al-Charaa, concentre tous les pouvoirs. La transition de 18 mois (selon l’ONU) est étendue à cinq ans. La charia devient source principale de législation, ce qui constitue une menace pour les minorités et les droits des femmes. Ces mesures se placent dans la continuité de celles prises par ce même pouvoir islamiste dans la région d’Idlib. Le « gouvernement syrien du salut » a mis fin à des programmes d’aide aux femmes dans les camps de réfugiés et a pris pour cible ses opposants et des journalistes. La nomination du gouvernement le 30 mars lui assure les pleins pouvoirs.
Minorités en danger

La minorité kurde syrienne apparaît comme l'une des plus menacées. L’accord signé le 10 mars entre Ahmad Al-Charaa et Mazloum Abdi, chef des Forces démocratiques syriennes (FDS) dominées par les Kurdes, semble fragile : la Turquie – alliée du régime – menace le Rojava et on peut douter de la volonté réelle du gouvernement islamiste syrien de tolérer les pratiques plutôt égalitaires de l’Administration autonome du Nord et de l'Est de la Syrie (AANES) et la place importante des femmes dans les institutions. De plus, cette dernière est menacée et attaquée par l’Armée nationale syrienne, bras armé d’Erdogan en Syrie.

Les Alaouites et les Chrétiens subissent des exactions ; le massacre dans l’ouest du pays de nombreux civils non armés, de familles entières, femmes, enfants, personnes âgées, manifeste la haine sectaire des groupes islamistes.

Les Druzes sont partagés, certains ont prêté allégeance au nouveau régime tandis que d’autres voudraient d’abord obtenir des garanties quant à leur place dans le futur État syrien.

Une Syrie otage des puissances régionales
Le régime cherche une reconnaissance internationale : des responsables politiques d’États occidentaux et de l'Union européenne se sont rendus à Damas et rétablissent des liens. La France réouvre son ambassade. Objectif : ancrer la Syrie dans le camp occidental pour en faire un relais de leurs intérêts dans la région.

Les pays du Golfe et notamment l'Arabie saoudite et le Qatar reprennent leur relation avec Damas afin de renforcer un « axe sunnite » dans la région, face au Hezbollah libanais et au régime iranien.

En dehors de ces jeux d'alliance, la réalité concrète de la Syrie est déjà marquée par d'autres États de la région qui cherchent à tirer profit de la confusion politique pour accroître leur présence : c'est le cas de la Turquie, mais aussi de l’État d’Israël qui dès le changement de régime a lancé plusieurs frappes sur des sites militaires syriens, et entend profiter du rapport de force favorable pour pérenniser et renforcer l’occupation illégale du plateau du Golan. Sous couvert de modération, HTS impose un régime autoritaire, aggravant les fractures et livrant la Syrie aux appétits étrangers.

La concentration du pouvoir par Ahmed Sharaa et ses affidés dans une Syrie fracturée, paralysée par des années de sanctions et de guerre civile, n’augure aucune perspective positive dans l’intérêt du peuple syrien et l’avenir du pays. Et loin de garantir une stabilité elle peut entraîner le pays dans le chaos, sa dislocation et par la même la réalisation du projet de division du pays voulue de longues dates par les occupants américains, israéliens et turcs. Ce qui indubitablement impacterait l’ensemble les acteurs régionaux.

Collectif Proche et Moyen-Orient du secteur international du PCF

Article publié dans CommunisteS, numéro 1036 du 2 avril 2025.

 

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