Moins
de la moitié des électeurs se sont déplacés hier, rappelant l’ampleur
de la crise démocratique. Ce record d’abstention a favorisé le score des
macronistes, désormais quasi certains d’obtenir une majorité absolue
face à une gauche à terre.
Un
Hémicycle à 70, voire 80 % de députés macronistes ? Ce scénario,
ca-tastrophique pour la démocratie, semble désormais probable. Avec 32,2
% des voix pour la République en marche et une projection de 390 à
430 sièges, selon les estimations d’Ipsos, ce premier tour confirme
l’hégémonie d’un mouvement politique âgé d’à peine plus d’un an. Jamais,
le pouvoir législatif n’est autant apparu dans la main d’un seul homme.
Emmanuel Macron n’avait pourtant recueilli que 24,01 % des voix au
premier tour de la présidentielle. Avec seulement 15 % des inscrits, son
mouvement pourrait décrocher une majorité absolue ! Une aberration
démocratique d’autant plus inquiétante que ses premiers pas à l’Élysée
ont été marqués par une succession de révélations sur l’imposture de sa
campagne électorale. Mais les premières « affaires » touchant ses plus
proches, du cas Richard Ferrand à celui de François Bayrou, qui
contredisent les slogans du gouvernement, n’ont pas démobilisé son
électorat. Des détails de la « loi El Khomri XXL » à l’inscription de
l’état d’urgence dans le droit commun : ces propositions, que le
candidat Macron s’était bien gardé de rendre publiques, auraient pu
remobiliser contre elles l’électorat de gauche. Mais celui-ci a préféré
l’abstention.
Une aberration démocratique, liée à l’inversion du calendrier électoral
Avec moins de 50 % de votants, l’abstention atteint son
record historique, point d’orgue d’une campagne législative qui n’a pas
beaucoup intéressé les citoyens, lassés et désorientés après une année
électorale aussi violente qu’inédite. Cet échec démocratique est aussi
la conséquence implacable de l’inversion du calendrier électoral depuis
2002, qui vide de tout son sens l’élection législative. Ce sont les
jeunes et les classes populaires qui se seraient abstenues le plus
massivement, hier. À Clichy-sous-Bois, par exemple, certains bureaux de
vote affichent des taux de participation de 15 %.
C’est ce qui explique en partie l’effondrement des
formations politiques de gauche, pour qui ce premier tour laisse un goût
amer. Avec 14,8 % des voix (3,8 % pour le PCF et 11 % pour FI), la
gauche alternative est loin d’avoir rassemblé les 7 millions d’électeurs
qui s’étaient portés sur le bulletin de vote Jean-Luc Mélenchon, le 23
avril. La belle dynamique s’est évanouie au profit de luttes
fratricides. Dans une grande majorité de circonscriptions, les candidats
se sont neutralisés, éparpillant de rares et précieuses voix. La France
insoumise, qui espérait s’imposer comme la motrice d’une recomposition
de la gauche, risque de payer cher cette stratégie hégémonique avec une
projection de 11 à 21 sièges dimanche prochain, pour les deux formations
politiques. On est donc loin de l’objectif fixé par le quatrième homme
de la présidentielle, qui rêvait encore vendredi d’une majorité à
l’Assemblée nationale pour s’opposer à Emmanuel Macron.
« La division des forces de gauche se paie très cher, a
réagi dans la soirée Pierre Laurent. Les forces qui ont soutenu Jean-Luc
Mélenchon se sont retrouvées en concurrence à la suite des décisions de
la direction de la France insoumise. Elles en subissent toutes ce soir
les conséquences. C’est aussi le cas du Parti communiste, dont le
résultat national est historiquement bas. »
Mais ce sont les députés socialistes qui vont payer
proportionnellement le plus lourd tribut, chutant de plus de 300 députés
(avec le PRG) à moins de 30. Faute d’espace politique, payant très cher
le bilan du quinquennat Hollande, les candidats PS avaient déjà intégré
la défaite avant le premier tour. Avec le spectre d’un plus mauvais
score que lors de la fameuse déroute de 1993 (seulement 57 députés
socialistes élus cette année-là), c’est la survie même du PS qui est en
jeu. D’autant que les têtes d’affiche socialistes sont grandement
menacées, voire éliminées dès le premier tour, comme le premier
secrétaire national du PS Jean-Christophe Cambadélis à Paris, ou Aurélie
Filippetti dans la 1re circonscription de Moselle.
À droite, chez « Les Républicains », la situation à
l’issue de ce premier tour n’est guère plus reluisante, même si elle
arrive en seconde position et résiste mieux avec 21,5 % des voix. Le
parti, qui pensait pouvoir tenir sa revanche, va devoir se contenter,
selon les projections, de 85 à 125 députés. De quoi tout de même
composer la deuxième force de l’Assemblée. François Baroin, chargé de la
tâche ingrate de conduire la campagne « LR » après le fiasco de la
présidentielle, pensait un temps pouvoir imposer une « cohabitation » à
la majorité Macron. Mais l’aspiration par la République en marche d’une
série de responsables « LR » est venue compliquer un peu plus sa
campagne, devenue inaudible. « C’est un score décevant pour notre
famille politique », a convenu l’ancien président de l’Assemblée,
Bernard Accoyer. Si ce score se confirmait au second tour, dimanche
prochain, ce serait en effet la pire défaite législative de leur
histoire. Même si elle parvenait à sauver, dans le meilleur des cas,
plus de 130 sièges, combien d’entre eux rejoindront, par leur vote, la
majorité présidentielle ?
« Vu l’abstention, pas de majorité pour détruire le Code du travail »
Enfin, seule « bonne surprise » de ce scrutin, le FN, avec
un score de 14 %, obtiendrait de 1 à 10 sièges, bien loin de la
centaine que lui promettaient les sondages, il y a encore six mois. Même
si Marine Le Pen a des chances de l’emporter à Hénin-Beaumont, pour le
parti d’extrême droite, c’est « une déception », a reconnu son
vice-président, Florian Philippot.
Jean-Luc Mélenchon, qui estime qu’il n’y a « pas de
majorité pour détruire le Code du travail, vu l’immensité de
l’abstention », a demandé dès hier soir à ses électeurs de « ne jamais
permettre l’élection d’un candidat du FN ». « Il ne faut pas laisser le
second tour des élections législatives aggraver le fossé démocratique
créé », a lancé de son côté le secrétaire national du PCF, qui fera pour
le second tour « les choix les plus rassembleurs en fonction des
situations de chaque circonscription ».
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