lundi 1 juillet 2019

« Looser », « opposant », « timide » : au CHU de Toulouse, un document suggère de cataloguer des soignants

Seriez vous un « looser », fragilisé par des situations difficiles de travail ? Ou un « opposant » qui conteste trop souvent la direction ? Ou encore un « pessimiste » ? C’est en ces termes qu’une docteure influente a proposé de cataloguer les personnels soignants du centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse qui participent à certaines réunions de crise, suite au décès d’un patient notamment. Une manière de « neutraliser » les avis divergents, et un exemple supplémentaire de la façon dont la parole des soignants est considérée par la hiérarchie, alors que les mouvements sociaux se multiplient au sein des hôpitaux publics.
À quoi pensent les médecins en chef d’un grand hôpital public lorsqu’un patient vient de décéder et qu’une réunion est convoquée dans le but de comprendre ce qui s’est passé – et de faire en sorte que ça n’arrive plus ? Si l’on en croit le compte-rendu de la dernière réunion annuelle des médecins et encadrants du CHU de Toulouse, la priorité ne consiste pas à faire la lumière sur les faits. Mais bien à prévenir le risque d’une contestation interne.
Dans les réunions se glissent en effet des « opposants », des « loosers » et autres « corporatistes » qui menacent de faire « tâche d’huile », comme s’en inquiète une médecin en chef dans le verbatim de la réunion du 31 mai 2018, que Basta ! s’est procuré. Si l’on voulait éditer un guide pratique du management par la soumission aux chefs, on ne s’y prendrait pas mieux.

« Faut-il se préparer aux personnalités les plus dérangeantes ? »

Dans l’industrie aéronautique, suite à un crash, il est d’usage que les ingénieurs se réunissent avec les ouvriers pour tenter de comprendre ce qui a pu causer l’accident. À Toulouse, le centre hospitalier universitaire (CHU) – 280 000 hospitalisations et 15 800 personnels soignants en 2017 – fonctionne sur le même principe. Quand survient un « événement indésirable grave » ou un décès de patient, comme le 2 février aux urgences et le 11 mai aux soins intensifs digestifs, médecins et soignants tiennent une réunion de crise, appelée « Revue de mortalité et de morbidité » (RMM). Tous les ans, les responsables de ces RMM se retrouvent pour dresser le bilan de l’année écoulée et améliorer l’organisation pour éviter de nouveaux morts. Jusqu’ici, rien d’anormal.
Lors de la réunion annuelle du 31 mai 2018, une influente docteure, Béatrice Guyard-Boileau, gynécologue obstétricienne à l’hôpital Paule de Viguier, a tenu une conférence devant une trentaine de confrères du CHU de Toulouse. Thématique du jour : « Faut-il se préparer aux personnalités les plus dérangeantes pour la réunion ? »Sa prise de parole ne visait pas à améliorer l’organisation de l’hôpital, ni même à réclamer davantage de soignants, mais à transmettre aux responsables de ces réunions l’art et la manière de repérer les casse-pieds, afin de les « neutraliser » (sic) pendant ces réunions d’urgence. Nous avons passé en revue (morbide) les trucs et astuces imaginés par cette manageuse zélée.

« Contentez-vous de lui répéter que c’est un travail d’équipe, et qu’on y arrivera "tous ensemble" »

Le responsable de la RMM sera bien avisé de préparer sa réunion en amont, en nouant des alliances avec des « leaders » préalablement identifiés. Après avoir trouvé un bon leader, il faut démarrer la réunion en « communiqu[ant] sur les dérives (humanistes/règlements de compte) et les rappeler pour « donner le ton » en début de réunion. » Ici, le terme « humaniste » désigne un individu en pleine dérive, passablement aigri et prêt à régler des comptes. Ensuite, le responsable de réunion devra repérer les « personnalités difficiles » parmi sept catégories : le « donneur de leçons », le « looser », le « blagueur-bavard », le « pessimiste », le « timide »« le corporatiste/syndiqué/anti-direction, etc », et enfin, « l’opposant ». Et adopter l’attitude conseillée en fonction de chaque profil.
Si par malheur vous vous trouvez confronté en personne à ce type d’individu, ne paniquez pas, suggère la conférencière, « demandez-lui quelles solutions il aurait à proposer. Sinon, contentez-vous de lui répéter que "c’est un travail d’équipe" et qu’on y arrivera "tous ensemble" ».

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