mercredi 3 juillet 2019

Au Brésil, des révélations étayent l’hypothèse d’une manipulation politico-judiciaire pour faire élire l’extrême droite

Le site d’informations indépendant The Intercept a publié des conversations tenues sur la messagerie cryptée Telegram entre des magistrats brésiliens, dont l’ancien juge Sergio Moro devenu ministre de la Justice de l’actuel gouvernement d’extrême droite. Il en ressort que le procureur en charge de l’affaire impliquant l’ancien président de gauche Lula émettait des doutes sur la véracité des éléments qui ont fait condamner et mené Lula en prison, l’empêchant de se représenter. D’autre part, les magistrats auraient manoeuvré pour faire interdire une interview de Lula, quelques semaines avant l’élection présidentielle d’octobre 2018. Les auteurs de ces révélations, qui ont provoqué un séisme au Brésil, sont désormais la cible de nombreuses menaces.
Il est le juge qui a fait emprisonner l’ancien président brésilien Lula da Silva – ce qui a empêché ce dernier de se présenter à l’élection présidentielle de 2018. Il est ensuite devenu le ministre de la Justice du nouveau président d’extrême droite Jair Bolsonaro. Considéré par certains comme un « héros » des opérations anti-corruption, le juge Sergio Moro se retrouve désormais lui-même au cœur d’un scandale politico-judiciaire. Des révélations remettent en cause son honnêteté et son impartialité dans sa bataille judiciaire pour faire incarcérer l’ancien président de gauche brésilien.
Le 9 juin, le site d’informations indépendant The Intercept Brasil – l’édition brésilienne du site fondé par le journaliste états-unien Glenn Greenwald, célèbre pour avoir participé aux révélations sur les programme de surveillance de masse des services secrets états-uniens – a rendu publiques des conversations entre l’ancien juge et des procureurs brésiliens. Ces discussions se sont déroulées sur la messagerie cryptée Telegram, pendant la vaste opération anti-corruption « Lava Jato », du nom d’un système de financement illégal impliquant de nombreux élus et partis politiques au Brésil. Initiée sous la présidence de Dilma Roussef (Parti des travailleurs, PT), qui avait succédé à Lula, Lava jato est la première opération anti-corruption d’ampleur, dans un contexte où la justice a gagné en indépendance. C’est dans ce cadre que Lula a été condamné en janvier 2018 à plus de douze ans de prison. Il était accusé d’avoir bénéficié de largesses d’entreprises du BTP, en l’occurrence un appartement triplex à São Paulo.
Sergio Moro devenant le ministre de la justice du président Bolsonaro, la question de sa probité s’est posée. Car, par son acharnement à faire condamner et emprisonner Lula, le juge a rendu un grand service à Jair Bolsonaro, débarrassé d’un rival en mesure de le battre à l’élection présidentielle. « Son exclusion de l’élection, basée sur la décision de Moro, a été un élément clé pour ouvrir le chemin à la victoire de Bolsonarosouligne le journaliste João Filho, de The InterceptIl y avait déjà des indices selon lesquels existait une collusion politique entre les procureurs et un juge qui agissait en fait pour influencer le jeu politique et manipuler l’opinion. Il en manquait la preuve flagrante. Ce n’est plus le cas », poursuit le journal en ligne.

« Les procès de cette opération sont contaminés par des intérêts politiques »

Il y a plusieurs semaines, The Intercept a reçu d’une source anonyme une masse d’archives de ces échanges tenus sur Telegram entre 2015 et 2018. Parmi eux, une conversation de 2016 dans laquelle le procureur en chef de l’opération Lava Jato, Deltan Dallagnol, doute des preuves sur lesquelles se base l’accusation contre Lula. Dans une autre conversation, qui se déroule en 2018, quelques semaines seulement avant l’élection présidentielle, le procureur et d’autres de ses collègues évoquent une interview que Lula doit accorder à des journaux brésiliens. Ils envisagent de l’interdire par crainte que cela « ne fasse élire Haddad » – le candidat de gauche à la présidentielle, remplaçant Lula – ou permette « un retour du PT » au pouvoir, écrit The Intercept. L’interview n’aura jamais lieu. Et Fernando Haddad sera battu au second tour par Jair Bolsonaro.

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