dimanche 22 septembre 2019

172 décès au travail recensés au 1er semestre 2019 : le patronat tue en silence


« Allô Muriel Penicaud, c’est pour signaler un accident du travail » : depuis début 2019, le compte twitter « Accident du travail : silence des ouvriers meurent‏ » recense les accidents du travail à partir de leur médiatisation dans la presse quotidienne régionale. 172 décès ont été recensés depuis le 1er janvier.

Clément, 35 ans, salarié au centre de tri de l’unité de traitement des ordures ménagères de Saran près d’Orléans (usine exploitée par une filiale de Veolia), est mort le 21 mai dernier asphyxié, après avoir été happé par une machine [1].
David, 36 ans, chauffeur de poids lourds, est décédé le 23 avril sur le parking de la plateforme logistique d’Amazon, à Saran également [2].
Depuis début 2019, le compte twitter « Accident du travail : silence des ouvriers meurent » recense les accidents du travail à partir de leur médiatisation dans la presse quotidienne régionale. Au 1er semestre 2019, ce sont 469 victimes d’accidents graves ou mortels qui ont été recensées, dont 172 décès.


Plus de 1 000 décès au travail chaque année

En 2017, l’Assurance Maladie a recensé 542 accidents de travail (12 de plus qu’en 2016), 264 accidents de trajet considérés comme accidents de travail et 336 décès liés à une maladie professionnelle [3]Chaque année, ce sont plus de 1 100 travailleurs et travailleuses qui meurent au turbin.
Trois personnes meurent chaque jour, en France, d’un accident ou d’une maladie liés à leurs conditions de travail, ouvriers et ouvrières en grande majorité.
Le BTP, le transport-livre-communication et la métallurgie sont les trois industries avec les niveaux de mortalité les plus élevés. L’industrie du bois, papier, carton, textile, cuirs et peaux et les activités de service (banque, assurance, intérim, action sociale, nettoyage…) ont connu entre 2016 et 2017 une hausse de mortalité affolante, respectivement 40,6% et 16,5%.
En 2017, près de quatre décès sur cinq pour maladie professionnelle avaient pour cause une exposition à l’amiante. Et pourtant les patrons continuent d’être exonérés de leurs responsabilités et de bénéficier de non-lieux, telle l’entreprise Eternit le 10 juillet suite à la plainte déposée pour homicides et blessures involontaires par d’anciens salariés de l’amiante en 1996 [4]. Ou encore les cinq anciens directeurs de l’usine Ferrodo-Valeo à Condé-sur-Noireau dans le Calvados le 18 juillet [5].


Des données partielles sur les accidents au travail, une logique gestionnaire et comptable au bénéfice des entreprises

Parce qu’il s’agit d’un décompte fait par les patrons, à partir des déclarations d’accidents du travail transmises à l’Assurance Maladie, ce décompte ne concerne que les salarié·es du secteur privé (régime général) et ne prend pas en compte les accidents mortels non déclarés [6], ni les accidents mortels dans la fonction publique, des agent·es statutaires (par exemple des industries électriques et gazières), des travailleur·ses indépendant·es ou des auto-entrepreneur·ses.
« Ces données (de l’Assurance Maladie sur les accidents de travail, trajet et maladies professionnelles) n’ont pas pour fonction de donner l’alerte. Elles sont établies dans une logique assurantielle, d’indemnisation forfaitaire, explique au Monde Véronique Daubas-Letourneux, sociologue, enseignante-chercheuse à l’École des hautes études en santé publique. C’est juste une logique comptable et financière, qui permet de calculer le taux de cotisation des employeurs à la branche "accidents du travail-maladies professionnelles" de la Sécurité sociale. Ces statistiques ne sont pas conçues comme des données de santé publique visant à permettre une connaissance globale de la situation » [7].


Une prévention insuffisante concernant les expositions professionnelles

Selon un rapport de la Commission européenne datant de 2014, la moitié des morts liées au travail concernaient l’exposition à des substances chimiques. La France pointait en bas du tableau européen, 25ème sur 28 pour trois des facteurs de risques les plus importants : risques liés aux agents chimiques et biologiques, risques ambiants et risques liés à la posture et aux gestes [8].
Déjà en 1954, le cinéaste Georges Franju pointait dans le documentaire Les Poussières [9] les conditions de travail difficiles et la nécessaire prévention à mettre sur place sur différents sites industriels particulièrement dangereux (industrie du lin, broyage de galets, fabrication de porcelaine, forage de tunnels, industrie du charbon de bois) où les travailleurs sont très exposés. Dans une note de mai 2019, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) tire la sonnette d’alarme quant aux carences de prévention aux risques professionnels, en évoquant 365 000 travailleur·ses exposé·es à la silice cristalline dans la verrerie, fonderie, chimie ou encore le bâtiment. L’Agence estime qu’entre 23 000 et 30 000 travailleur·ses sont exposé·es à des niveaux excédant la valeur limite d’exposition professionnelle actuellement en vigueur. L’exposition chronique à la silice peut induire diverses pathologies mortelles (silicose, cancer bronchopulmonaire, lupus systémique…) [10].
Dans son bulletin « Et voilà » n° 65 d’avril 2019 intitulé « Le travail tue » et sous-titré : « Le travail tue, mutile, brise des corps, des vies. Ne perdons plus la vie à la gagner », l’Union syndicale Solidaires interviewe Matthieu, administrateur du compte twitter « Accident du travail : silence des ouvriers meurent » cité précédemment‏, à propos des évènements ou constats les plus remarquables dans les six mois passés. Il répond :
« Deux dramatiques accidents début janvier m’ont particulièrement marqué et justement poussé à reprendre ce travail de recensement. D’abord, la mort d’un ouvrier auto-entrepreneur de 68 ans à Versailles. Ensuite, celle de Frank Page (en janvier 2019), jeune livreur UberEats de 18 ans. Voilà deux drames qui sont les symboles de la précarisation des conditions de travail et des conséquences que cela induit. Les dernières données de la CARSAT pointent d’ailleurs une augmentation de la sinistralité dans l’intérim. La mort en 2017 de Quentin Zaroui-Bruat, un jeune cordiste intérimaire de 21 ans, en est malheureusement l’illustration. Pour conclure, puisqu’on m’interpelle souvent sur l’absence de femmes dans mon recensement, je tiens à rappeler que s’il est vrai que les accidents les plus graves touchent essentiellement des hommes (ouvrier du BTP…), le secteur des services à la personne, où beaucoup de femmes sont employées, reste l’un des plus accidentogènes. »

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