Alors que le gouvernement rogne sur de nombreuses prestations sociales pour limiter les déficits publics, la bascule du crédit d'impôt en allégements de charges pérennes pour les entreprises va coûter plusieurs dizaines de milliards d'euros à l'Etat… et obliger l'exécutif à bricoler son budget.
Visiblement, les coups de rabot ne valent pas pour tout le monde. Ce dimanche 26 août dans le JDD, Edouard Philippe a annoncé un budget 2019 taillé à la serpe pour les Français : revalorisation riquiqui pour l'aide personnalisée au logement (APL), les allocations familiales et les pensions de retraite, suppression de postes de fonctionnaires, poursuite de la réduction des contrats aidés… Bref, la rigueur est à l'ordre du jour, et ce afin de rester sous les fameux 3% du PIB de déficit public imposés par l'Union européenne. Mais une autre mesure, destinée aux entreprises celle-ci, semble avoir échappé à ces résolutions d'austérité : la bascule du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), transformé le 1er janvier prochain en allégements de charges, va coûter entre 20 et 25 milliards d'euros supplémentaires aux comptes publics.
Explications : créé en 2013 par François Hollande, le CICE est une réduction d'impôts calculés sur les salaires inférieurs à 2,5 fois le Smic. Initialement fixé à 4% de la masse salariale brute, il a augmenté pour se situer aujourd'hui à 7%. Dans son programme de campagne présidentielle, Emmanuel Macron a promis de transformer ce crédit, souvent dénigré pour sa complexité, en baisse de cotisations pérennes de six points (toujours appliquées aux salaires inférieurs à 2,5 Smic) pour les entreprises.
Mais comme pour la mise en place du prélèvement de l'impôt à la source, ce nouveau dispositif suppose une année de "bascule" très coûteuse pour l'Etat : en 2019, les entreprises vont se faire rembourser par la puissance publique les créances portant sur les salaires de 2018, puisque le CICE est toujours versé de manière différée (jusqu'à quatre ans de décalage) ; les allégements de cotisations patronales, eux, sont presque automatiques (les charges sociales sont versées par les entreprises 3 mois après le versement des salaires). "La bascule aurait donc pour effet de cumuler en 2019 dans le solde budgétaire la créance de CICE portant sur les salaires versés en 2018 et les allégements de cotisations patronales au titre des salaires versés en 2019, soit un déficit additionnel temporaire de l’ordre de 1 point de PIB", calcule dans un rapport l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), classé à gauche. Additionnés, le CICE et les baisses de charges représentent près de 40 milliards d'euros...
L'efficacité du CICE en question
Emmanuel Macron affiche sa volonté de serrer la vis budgétaire et n'hésite pas pour se faire à tailler dans les dépenses sociales. Mais, comme François Hollande avant lui, il engloutit des dizaines de milliards d'euros publics (près de 20 milliards par an) dans le CICE, sans que son efficacité ait pu être démontrée. En mars 2017, France Stratégie, l'organisme chargé d'évaluer le dispositif, a rendu un rapport chiffrant ses résultats en termes de création d'emploi à 100.000 entre 2013 et 2015… mais dans une grande fourchette, allant de 10.000 à 200.000 emplois ! Le CICE n'aurait pas non plus eu d'impact sur l'investissement, la recherche & développement, pas plus que sur les exportations ou même les salaires, exceptés ceux des "cadres et des professions intellectuelles supérieures". France Stratégie en conclut que le crédit d'impôt, au coeur du "pacte de responsabilité" promu par François Hollande entre l'Etat et les entreprises, a in fine servi à restaurer les marges des entreprises. En 2017, les allégements de cotisations patronales et le CICE représentaient 51,9 milliards d'euros, un chiffre supérieur à l'argent public investi dans l'école cette année-là. Dans un pays où les montants de distribution de dividendes battent régulièrement des records, une telle prodigalité interroge.
D'autant que la nouvelle mesure de transformation du CICE en allégements de cotisations ne devrait pas non plus provoquer de miracles concernant l'emploi. D'après les calculs de l'OFCE, la bascule "aurait un effet nul sur l'activité économique et positif sur l'emploi salarié marchand"... avec seulement 16.000 créations d'emplois d'ici 2020. Les bénéfices de l'idée sont à chercher ailleurs : simplification des démarches administratives pour les entreprises, suppression du décalage temporel entre le versement des salaires et le bénéfice du CICE, et avantage pro-business gravé dans le marbre : il est relativement aisé d'annuler des crédits d'impôts, beaucoup moins de revenir sur des allégements de cotisations.
Bricolage budgétaire
La bascule a de tels effets sur les comptes publics qu'elle oblige le gouvernement à sortir la boîte à outils pour rafistoler le budget. Ce lundi 27 août, Bruno Le Maire a annoncé le report en catastrophe d'une mesure prévue de longue date : un allégement supplémentaire de quatre points des cotisations sociales au niveau du Smic a été décalé du 1er janvier 2019 au 1er octobre.
Nous maintenons la bascule complète du CICE en baisse de charges pérennes en 2019. Mais les entreprises aussi seront mises à contribution cette année : l'allégement supplémentaire des charges de 4 points au niveau du Smic sera décalé au 1er octobre 2019 #RTLMatin
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Soit plus de deux milliards d'économies décidées en urgence pour conserver les déficits publics à un niveau inférieur à 3% du PIB… et qui pénaliseront les entreprises ! En effet, à court terme, la bascule du 1er janvier 2019 comporte un effet pervers pour les patrons. Le CICE est un remboursement partiel de l'impôt sur les sociétés, calculé sur les bénéfices ; or la transformation du CICE en baisse de charges améliore les résultats des entreprises… et fait mécaniquement grimper l'impôt sur les sociétés. En troquant 25 milliards d'euros de CICE pour 25 milliards d'euros d'allégements fiscaux, l'Etat alourdit le coût du travail pour les entreprises à court terme. D'où l'idée de ces allégements "compensatoires" prévus initialement pour le 1er janvier. En les reportant à octobre, le gouvernement retarde la compensation de la hausse de l'impôt sur les sociétés. En parallèle, Bruno Le Maire a annoncé devant des journalistes de la presse économique la suppression d'un milliard d'euros de diverses aides aux entreprises en 2019, arguant que la "contribution au rétablissement des comptes publics doit être le fruit d'un effort collectif".
Pas de quoi, cependant, inquiéter excessivement le patronat : l'orientation libérale du gouvernement est toujours de mise, comme en témoigne l'assimilation par Edouard Philippe des arrêts maladie aux congés payés. Surtout, ce petit contretemps dans le décalage des allégements d'impôts ne doit pas faire oublier que l'année 2019 sera extrêmement profitable aux entreprises, qui bénéficieront en simultané des créances du CICE et de la baisse des cotisations patronales. "Nos choix ont le mérite de la clarté et du courage", a ainsi plastronné Bruno Le Maire, défenseur convaincu d'une politique économique très libérale et favorable aux entreprises. Motif de satisfaction supplémentaire pour les patrons : l'impôt sur les sociétés va passer à 25% d'ici 2022, contre 33,3% au début du quinquennat. Soit, à un rythme de croisière, 8 milliards d'euros supplémentaires transitant chaque année de l'Etat vers les entreprises.
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