Sécurité sociale, retraites, service public… C’est dans une France en ruines que, à la Libération, nos papys (et mamies) qui faisaient de la résistance ont bâti tout ça. Aujourd’hui, la France est la cinquième puissance économique mondiale – et nous n’aurions plus les moyens de cette « solidarité nationale » ?
On les nomme « héros ».
Mais de quoi les traiterait-on, aujourd’hui ?
En 1944, « les destructions couvrent tout notre sol, rappelle le Général de Gaulle dans ses Mémoires. Il manque des logements pour six millions de Français. Et que dire des gares écroulées, des voies coupées, des ponts sautés, des canaux obstrués, des ports bouleversés ? Quant aux terres, un million d’hectares sont hors d’état de produire, retournés par les explosions, truffés de mines, creusés de retranchements. Partout, on manque d’outils, d’engrais, de plants, de bonnes semences. Le cheptel est réduit de moitié. Nos finances sont écrasées d’une dette publique colossale, nos budgets condamnés pour longtemps à supporter les dépenses énormes de la reconstruction. »
Et c’est sur ce champ de ruines qu’ils instaurent la Sécurité sociale !
Et les retraites !
Et le service public !
A ces fous à lier, on enverrait la camisole ! Vite, une piqûre !
C’est qu’en plein cauchemar, ils avaient fait un rêve.
Au cœur de la nuit nazie, dans les prisons, dans les maquis, dans l’exil, les résistants imaginent « Les Jours heureux », songent éveillés à l’« éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie », à « un plan complet de sécurité sociale », à « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours », bref, à « une République nouvelle qui balaiera le régime de basse réaction ». Des cocos aux cathos, syndicalistes, socialistes, droite patriote, à l’unanimité, tous signent au printemps 1944 ce « Programme du Conseil National de la Résistance ».
La Libération obtenue, leur rêve deviendra largement réalité :
« En l’espace d’une année, relate avec fierté le Général de Gaulle, les ordonnances et les lois promulguées sous ma responsabilité apporteront à la structure de l’économie française et à la condition des travailleurs des changements d’une portée immense. » Et d’ajouter « les privilégiés » ne bronchent pas : « Sur le moment, tous, mesurant la force du courant, s’y résignent aussitôt et d’autant plus volontiers qu’ils avaient redouté le pire. »
C’est que règne la peur chez les possédants. Les maquis viennent de se soulever. Les armes sont aux mains des gueux. Avec le Parti Communiste, première formation du pays, les ouvriers sont organisés. Bref, les choses pourraient très mal tourner. Alors, mieux vaut ne pas les énerver. Endurer. Patienter.
Bien vite, le souffle de révolte va retomber. Et les banquiers, industriels, patrons de presse vont se ressaisir, défendre leurs intérêts, répéter que « les réformes vont trop loin ». On connaît la chanson.
Et maintenant ?
La France est la cinquième puissance économique mondiale. Son territoire n’est menacé d’aucune invasion. Ses firmes accumulent les milliards de bénéfices, même par temps de « crise ». Ses grands magasins sont bourrés de produits, la plupart inutiles. Malgré cette prospérité, ils – les mêmes, les banquiers, les industriels, les patrons de presse – nous l’affirment : « Ce n’est plus possible. Regardez les déficits. Regardez la courbe démographique. » Au-delà de tous ces arguments, techniques, financiers, Denis Kessler, ex-numéro 2 du MEDEF, dévoile le vrai motif : « La liste des réformes ? C'est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »
Derrière toutes les statistiques, évaluations, projections, derrière tous les rideaux de fumée, c’est à ce mouvement historique que nous assistons. Au retour, sur l’avant-scène publique, des forces d’Argent, discréditées à la Libération. A la revanche des collabos – dont les héritiers spirituels viennent récupérer le butin.
Malheureusement, Nicolas Sarkozy et sa bande du Fouquet’s n’ont pas entamé cette liquidation.
Eux viennent y mettre un point final, essayer du moins, mais le gros du boulot était abattu avant eux. Depuis le milieu des années 80. Depuis que les socialistes se sont convertis au « réalisme », et les gaullistes au libéralisme, de « réformes inéluctables » en « adaptations nécessaires », toutes les conquêtes de la Libération sont lentement rongées, grignotées, par les gouvernements successifs – y compris de gauche...
A notre tour, alors, certes, de défendre le rêve des résistants contre Nicolas Sarkozy et sa bande du Fouquet’s - les éternels banquiers, industriels, patrons de presse. Mais il s’agit surtout, au plus vite, de refermer la parenthèse, ouverte au milieu des années 80. De lutter pour que la gauche d’abord, le pays ensuite, sorte de cette ornière libérale.
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