La protestation en Algérie contre un cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika a changé la donne. Rien ne sera plus comme avant. Analyse.
Qu’Abdelaziz Bouteflika dépose sa candidature – à moins qu’il y renonce ! – en cachette dans un quartier barricadé par la police par crainte de manifestations hostiles, voilà qui est inhabituel pour un président dont on disait il y a peu que c’est à l’appel du peuple qu’il a décidé de briguer un cinquième mandat. Alors question : le pouvoir politique dispose-t-il d’autres options pour se sortir de cette crise qu’il n’a pas vu venir et qu’il a manifestement sous-estimée ?
Pour l’heure, même si ce n’est pas encore gagné, même si le pouvoir politique n’a pas vacillé, les imposantes manifestations populaires de vendredi ont rebattu les cartes, brouillé le scénario préétabli d’un 5e mandat devant passer comme une lettre à la poste au point de programmer une conférence nationale après le scrutin du 18 avril, conférence à laquelle étaient conviés sans exclusive tous les partis politiques. Et ce, sans compter les remous apparus au sein de la coalition au pouvoir et son lot de victimes collatérales.
Ainsi en va-t-il du directeur de campagne du président-candidat, l’ex-premier ministre Abdelmalek Sellal, limogé brutalement samedi pour cause de diffusion à son insu sur les réseaux sociaux de sa conversation téléphonique avec le chef du patronat algérien Ali Haddad. On a vu aussi, la veille de ces manifestations, le chef d’état-major et vice-ministre de la Défense obligé de retirer de son intervention devant des cadres de l’armée un passage incriminant les manifestants. Une partie de la direction du FLN s’est démarquée des propos du coordinateur du parti, Mouad Bouchareb, et a réclamé son départ pour avoir déclaré, entre autres, que « Dieu a envoyé le président Bouteflika en 1999 pour réformer la nation ». Le FCE (Forum des chefs d’entreprise), le Medef algérien, n’est pas en reste. En désaccord avec le soutien apporté par son chef Ali Haddad à la candidature de Bouteflika, son vice-président Amor Benomar a démissionné, ainsi que les patrons du groupe Alliance Assurance, de l’entreprise Sogemetal… Et ce, sans compter les propos du premier ministre Ahmed Ouyahia, dont le départ du gouvernement est acté, qui ont enflammé la rue et les réseaux sociaux… Ça fait quand même désordre.
Dès lors, qu’Abdelaziz Bouteflika maintienne ou non sa candidature ne change rien à la donne. Il devait rendre sa décision hier à l’heure où nous écrivions ces lignes. Maintenir coûte que coûte l’élection présidentielle avec un président-candidat gravement affaibli par son AVC, c’est prendre le risque d’aggraver davantage la crise. Réprimer les manifestations à la manière d’un Sissi en Égypte après que l’Algérie a connu dix ans de terrorisme et plus de cent mille morts, c’est prendre un risque encore plus considérable : la troupe ne suivra pas. C’est une ligne rouge que les militaires instruits par les événements d’octobre 1988 ne sont sans doute pas prêts à franchir.
Avec une population de plus de 41 millions d’habitants, l’Algérie de 2019 n’a plus rien à voir avec celle de 1999, époque où les réseaux sociaux n’existaient pas. Elle est mieux informée et ne peut plus être gouvernée de la même manière qu’il y a vingt ans, au sortir de dix années de violence islamiste. Et évoquer ce passé pour dissuader les jeunes de manifester ne leur parle pas : d’autant que vingt ans après, le souvenir de la « décennie noire » s’est éloigné d’eux. La plupart n’ont pas connu la décennie noire (les années de terrorisme) et le pouvoir a tout fait pour en occulter la mémoire. Pour Bouteflika et ses soutiens, il ne reste qu’une option : écouter le cri du peuple, d’une jeunesse qui a envie de voir la génération issue de la guerre d’indépendance nationale passer le flambeau comme l’avait promis le chef de l’État algérien en mai 2012… avant son AVC. Quoi qu’il en soit, il y aura un avant et un après 1er mars 2019.
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