Grâce
au soutien de l’ensemble des forces de gauche hors PS, le journaliste
et initiateur de Nuit debout est candidat à l’élection législative chez
lui, dans la Somme, dans une circonscription emblématique.
Ce
vendredi, dans la petite ville de Longueau, à la périphérie d’Amiens,
les oiseaux font entendre les chants que les habitants avaient oubliés
depuis des mois. Jusqu’à ce que, du parking de la mairie, un vacarme
tonitruant vienne faire voler en éclats la quiétude de cette fin
d’après-midi. Camion à (puissante) sono, drapeaux invitant à une
« Picardie debout », Çasuffix, la mascotte vivante en forme de
betterave : les gens du cru reconnaissent aisément la patte Fakir, celle
de François Ruffin, le journaliste amiénois, réalisateur du film Merci
patron ! et désormais candidat de la gauche (hors PS) à l’élection
législative dans la première circonscription de la Somme.
En 1984, Bernard Arnault accélère la casse de l’industrie locale
Le temps de se répartir dans les voitures, le cortège se
met en marche, haut-parleurs hurlants et drapeaux aux fenêtres. À chaque
village, de nouvelles voitures rejoignent la file. Direction
Flixecourt, cœur géographique de la circonscription, mais aussi son cœur
politique et social. Flixecourt, c’est une petite ville symbole de la
grande époque du capitalisme industriel familial et paternaliste. Toute
la cité s’est construite autour des usines de textile Saint-Frères :
crèches, magasins coopératifs, habitats ouvriers. Un passé révolu dont
reste aujourd’hui comme symboles les châteaux des maîtres dominant la
ville. À travers le temps, les maîtres ont changé. Et l’un d’eux a
accéléré la déchéance de l’industrie locale : en 1984, l’usine fait
partie des premières acquisitions d’un certain Bernard Arnault, qui en
pille les richesses avant d’entraîner sa liquidation. « Flixecourt,
c’est le point de départ de mon film, c’est le point de départ de la
fortune de Bernard Arnault », explique Ruffin. Ce sera donc aussi le
point de départ de sa campagne législative.
Le choix de cette circonscription ne relève donc
aucunement du hasard. Longtemps terre rouge vif (ce fut celle du député
PCF Maxime Gremetz), elle a légèrement pâli après le redécoupage des
circonscriptions en 2010. Aux législatives de 2012, c’est une
socialiste, Pascale Boistard, qui y a été élue. Devenue entre-temps
membre du gouvernement (secrétaire d’État aux Droits des femmes, puis
aux Personnes âgées), elle est depuis devenue l’une des ferventes
défenseuses de la ligne Valls. Mais sur cette circonscription, c’est
surtout le FN qui gagne du terrain. « 51 % des ouvriers qui se sont
déplacés aux urnes aux dernières régionales ont voté FN, rappelle
François Ruffin. Certains disent : “le plus gros parti c’est
l’abstention”, mais il y a les chiffres et puis il y a ce que tu sens
quand tu vas au bistrot. Les gens qui parlent maintenant, c’est ceux qui
votent FN. » Pour cette législative, l’extrême droite sera représentée
par le comédien Franck de La Personne, qui, malgré une carrière
médiocre, faisait récemment la fierté du FN.
Vendredi, à 19 heures, l’espace culturel Le Chiffon Rouge
est déjà plein à craquer. Sur scène, ce soir, ce sont les salariés de
Whirlpool à Amiens, qui ont récemment appris la fermeture de leur usine
pour 2018, qui sont à l’honneur. En mesure de rétorsion, Ruffin veut une
loi pour interdire les produits Whirlpool en France. Il rêve de
« nouvelles jacqueries qui partiraient de la Picardie » et fait sien le
mot d’ordre d’alors « Paix au hameau, feu au château ».
« Il a débloqué des trucs encore figés ailleurs. C’est incroyable ! »
Lui qui comme député veut être « un individu qui vote
librement, pas aux ordres d’un parti » a réussi un tour de force, à ce
jour unique dans le pays : rassembler autour de sa candidature
l’ensemble des forces de la gauche en dehors du PS : PCF, EELV, France
insoumise, Ensemble ! C’était même la condition qu’il avait fixée à sa
candidature. « Je n’ai jamais cru au mouvement citoyen qui venait de
zéro, explique-t-il. Je n’ai jamais cru qu’on pouvait aller dans une
lutte électorale sans avoir les organisations. Je ne suis pas du tout
“du passé faisons table rase”. » Ce soir-là, dans le public, à
Flixecourt, Julien Bayou, conseiller régional EELV en Île-de-France et
figure des mouvements sociaux de Jeudi noir à Nuit debout, est venu
soutenir la démarche. « C’est un beau pari de rassembler toute la
gauche. Il a débloqué des trucs encore figés ailleurs, notamment le
soutien de la France insoumise ! C’est incroyable »,
s’enthousiasme-t-il. À Flixecourt, ce vendredi soir, la dynamique du
rassemblement semblait en tout cas fonctionner. Au point même d’y
croiser quelques élus socialistes, encore incognito, mais prêts à faire
connaître bientôt leur choix de la gauche unie, face à celle qui a
renoncé.
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