Dans cette cité populaire de 12 000 habitants, au sud de Grenoble (Isère), personne n’a été surpris par les violences qui ont opposé, le week-end dernier, forces de police et jeunes du quartier. Le résultat d’une lente dégradation. Grenoble, envoyé spécial.
Pour qui s’attendrait à voir un paysage d’après bataille, la Villeneuve présente un aspect serein : plus de carcasses de voitures brûlées, à peine quelques vitrines portant les marques des caillassages. Seulement la présence massive des forces de police armées façon sections d’assaut rappelle les incidents du week-end. Pour Hosni, qui vit depuis trente-sept ans dans le quartier et milite dans une association culturelle, le maintien de ces « Rambos » dans la cité ne peut que renforcer les rancœurs. Son propos est relayé par cet employé municipal et syndicaliste, habitant en face de la Villeneuve, qui en a « marre du vol de nuit de l’hélicoptère dont le faisceau lumineux balaie les façades, empêchant les gens de dormir et ravivant chez les vieux émigrés de douloureux souvenirs des guerres coloniales ».pour les habitants, les incidents étaient prévisibles
Plus loin on croise Azouz, l’oncle de Karim Boudouda dont la mort fut l’étincelle aux derniers débordements. Il ne veut pas parler, tout à sa douleur. L’homme qui l’accompagne craint qu’après les obsèques, prévues aujourd’hui, on assiste à une nouvelle flambée de violence. Car ici, tout le monde s’accorde à dire que les incidents étaient prévisibles. Hosni énumère les fléaux qui, au-delà de la drogue et du banditisme, gangrènent la vie d’une cité qui fut un modèle de mixité sociale durant deux décennies : la solitude des plus âgés, la fatigue morale et physique, l’absence de dialogue entre autorités locales et habitants ne parlant pas le même langage. Il évoque le parcours du combattant se terminant le plus souvent par jet de l’éponge de celui qui doit se débattre avec la lourdeur administrative. Et les préjugés à l’heure de la recherche d’emploi. Habiter à la Villeneuve constitue dans un CV un handicap quasi insurmontable, une malédiction.
Pourtant, le quartier, lors de sa construction, en 1972, faisait figure d’utopie. Son concepteur, Jean-François Parent, y habite toujours. « On aurait pu faire mieux, concède-t-il aujourd’hui, mais on nous réduisait les moyens au fur et à mesure. » Il rappelle que « ce n’est pas le quartier qui a changé, mais la société », qui « s’est repliée sur elle-même ; on vit désormais dans le tout-sécuritaire ». Et l’urbaniste de conclure : « C’est un leurre de croire qu’on peut résoudre les problèmes sociaux par des transformations architecturales. Il faut entretenir le quartier et éviter de concentrer les familles en grandes difficultés ».
« comme si on était tous des délinquants »
Le propos se vérifie sur le terrain : la Villeneuve est ce qu’on peut espérer de mieux en matière d’infrastructures sociales, sportives, culturelles ; et elle possède le plus beau parc de la ville avec ses 13 hectares. Mais voilà, les choses ont changé, comme le souligne Maurice Jay, Moïse, comédien et habitant des lieux depuis trente ans : « La mixité sociale, culturelle, a disparu, les incivilités étaient moins nombreuses avant », mais, ajoute-t-il, « les provocations verbales des ados ne se règlent pas en montrant ses muscles ».
Des femmes discutent en groupe. Elles condamnent les incendies de voitures qui touchent « des gens humbles ». Mais elles comprennent aussi « le ras-le-bol des jeunes qui sont doublement discriminés : parce qu’ils sont issus de l’immigration et parce qu’ils vivent à la Villeneuve ». Elles stigmatisent l’attitude de la police qu’elles qualifient de « raciste ». « Imaginez, ajoutent-elles, qu’en ce moment, on contrôle les voitures, on fouille les appartements, comme si on était tous des délinquants. »
La Villeneuve, de l’aveu même de ses concepteurs et du maire, Michel Destot, n’est pas suffisamment ouverte vers l’extérieur. Le sentiment de ghetto est renforcé par la mise à l’écart de la cité des manifestations culturelles concentrées au centre-ville. Les gens du quartier nuancent toutefois le terme de ghetto. Il existe des « poches de ghettoïsation », comme certains couloirs où sont concentrées les familles en plus grande difficulté. Les événements récents étaient donc prévisibles, appuie Serge Benito, responsable communiste. À la crise, le gouvernement a répondu par la répression, quand il s’agirait plutôt de promouvoir l’emploi, l’éducation, la santé. Et de regretter l’effacement de l’activité militante dans les grands ensembles populaires.
À l’heure où certains voudraient réduire les incidents à des actes isolés de délinquance ou de banditisme, il est des réalités qui ne s’accommodent pas de cette analyse. À la Villeneuve, où vivent 12 000 personnes, le taux de chômage est de 30 %, pourcentage encore supérieur chez les jeunes. Et le quartier est lui-même entouré d’autres cités populaires : Échirolles, Fontaine, Saint-Martin-d’Hères, villes dirigées par des communistes, à forte implantation de logements sociaux. Peu à peu, les difficultés se sont donc concentrées sur un même territoire, sapant le modèle de développement urbain que constituait la Villeneuve.
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