Avec
 leur vente solidaire annuelle de fruits et légumes, PCF et Modef 
démontrent, le temps d’une journée, que les classes populaires ne sont 
pas condamnées à se priver de produits de qualité et à un prix juste.
Déguster
 un gratin de courgettes, une tarte aux prunes ou même une salade de 
tomates relève parfois du luxe pour des familles aux revenus modestes ou
 des retraités aux pensions faibles. Mais, au pied des immeubles des 
villes populaires d’Île-de-France comme sur la place de la Bastille, au 
cœur de Paris, ils seront encore des milliers aujourd’hui à pouvoir 
s’offrir des fruits et légumes frais, de qualité, et à des prix justes, 
aussi bien pour le producteur que pour le consommateur. En réalisant 
leur initiative annuelle de vente à prix coûtant, la Confédération 
syndicale agricole des exploitants familiaux (Modef) et le Parti 
communiste français réduisent, le temps d’une journée, la différence du 
contenu des assiettes entre les couches sociales.
Les plus modestes, davantage victimes de diabète et d’obésité
Car, si la France est le 4e producteur de fruits et 
légumes en Europe (après l’Espagne, l’Italie et la Pologne), tous ses 
citoyens n’y ont pas accès de la même manière. Un rapport réalisé tous 
les sept ans par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de 
l’alimentation, et publié l’an dernier, démontre combien les habitudes 
alimentaires sont un reflet saisissant des inégalités sociales. Dans ces
 habitudes, la consommation de fraises, petits pois, tomates et 
aubergines est davantage le fait d’individus ayant un niveau d’études 
supérieur à bac + 4 que de leurs compatriotes ayant quitté les bancs de 
l’école en primaire ou au collège, qui en mangent en proportions 
moindres. Ces derniers, davantage touchés par le chômage ou occupant des
 emplois d’ouvriers ou d’employés, perçoivent des revenus moins 
importants. Leurs choix se portent davantage sur de la viande rouge, 
pourtant peu bon marché, mais symbole de l’assiette des catégories 
aisées, ou sur des pommes de terre et des produits issus de céréales, 
jugés plus nourrissants. D’autant que, selon Faustine Régnier, docteur 
en sociologie de l’alimentation à l’Institut de recherche agronomique 
(Inra), les ménages modestes, qui consacrent une part importante de leur
 budget à leur alimentation, sont plus sensibles aux variations des 
prix. Or, saisonnalité oblige, les prix des fruits et légumes frais 
passent parfois du simple au double en quelques mois sur les étals. Le 
résultat de ces arbitrages contraints n’est pas sans conséquence sur la 
santé, puisque les Français aux revenus modestes sont davantage victimes
 de maladies cardio-vasculaires, de diabète ou d’obésité.
Pourtant, les pouvoirs publics avaient bien initié une 
campagne choc, il y a une quinzaine d’années, avec l’ordre intimé de 
consommer cinq fruits et légumes par jour. Depuis, si le slogan a été 
intégré par une majorité de Français, les études s’accordent à constater
 que le conseil n’est pas suivi. À tel point que, depuis dix ans, 
l’obésité reprend sa progression. Selon le Centre de recherches pour 
l’étude et l’observation des conditions de vie, la proportion d’enfants 
en surpoids ou obèses était de 19,8 % en 2017, contre 15,8 % en 2007, 
avec une surreprésentation de « 35 % dans les foyers avec moins de 9 900
 euros annuels par unité de consommation ». Ceux qui précisément font 
l’impasse sur les fruits et légumes frais. C’est dire si la seule 
injonction, voire la culpabilisation des consommateurs, ne suffit pas à 
modifier leur comportement alimentaire. D’autant que les messages de 
recommandation ne sont pas entendus de la même manière selon les 
catégories sociales. Dans les foyers modestes, la priorité est plutôt 
donnée au goût et à l’abondance, tandis que, chez les plus aisés, 
l’alimentation est davantage associée à la santé.
Aux Restos du cœur, les melons, radis, courgettes… sont prisés
Force est d’ailleurs de constater que les qualités 
organoleptiques des fruits et légumes proposés en grande surface ne sont
 pas au rendez-vous, contrairement à celles des produits que l’on peut 
se procurer sur les marchés de producteurs et dans les magasins bio. 
Pour Catherine Richard, directrice de recherche à l’Inra d’Avignon 
(Vaucluse), les sélections génétiques des fruits et légumes 
majoritairement consommés portent davantage sur leur résistance aux 
maladies et aux ravageurs et sur leur facilité à être transportés plutôt
 que leurs qualités nutritives. Ainsi, des tomates récoltées tournantes 
(orangées) par le producteur et passées par une succession de chambres 
froides n’auront pas le même goût que les mêmes tomates récoltées mûres 
et vendues peu de temps après. L’une et l’autre ne contiendront pas non 
plus le même taux de lycopène, ce nutriment qui prévient le cancer de la
 prostate et que l’on trouve dans les tomates récoltées mûres. Là aussi,
 les inégalités se retrouvent dans l’assiette.
Pourtant, chez les plus précaires aussi les fruits et 
légumes sont également prisés, dès l’instant qu’ils y ont accès. Aux 
Restos du cœur, on constate que, lors des distributions de denrées 
alimentaires, bananes, melons, radis ou courgettes ont toujours du 
succès. Signe que le revenu est un facteur décisif dans le contenu de 
l’assiette.
Mais Arnaud Faucon, secrétaire national de l’Indecosa CGT,
 rappelle que, même quand les couches populaires pourraient avoir accès à
 des fruits et légumes, ceux-ci sont d’une qualité inférieure à ceux qui
 garnissent les plats des catégories aisées. Et le syndicaliste de 
pointer la culpabilisation que l’on fait subir aux consommateurs qui 
devraient « bouger plus », manger « moins gras », ne pas gaspiller ou 
consommer « plus de légumes ». L’Association pour l’information et la 
défense des consommateurs de la CGT se bat d’ailleurs pour la 
démocratisation de l’accès aux fruits et légumes, tout en rappelant que,
 d’un côté, les producteurs sont contraints d’écraser leurs prix de 
vente et, de l’autre, les citoyens sont soumis à des prix élevés.
Un encadrement des prix, qui puisse rémunérer le producteur
Une situation qui s’aggrave, selon Arnaud Faucon, avec la 
concentration des centrales d’achats, symptômes du système capitaliste 
monopolistique, qui rend captifs producteurs et consommateurs. Tout en 
saluant l’initiative annuelle du Modef et du PCF qui se décline dans 80 
points de vente en Île-de-France (voir encadré), il estime que, pour 
permettre à tous de bien se nourrir, une augmentation des salaires et 
des pensions est nécessaire, ainsi qu’un encadrement des prix, qui 
puisse rémunérer le producteur et permettre au consommateur de manger 
équilibré. Un moyen d’inverser la tendance que défendent les 
agriculteurs du Modef depuis longtemps et dont le PCF s’est emparé. Son 
porte-parole, Olivier Dartigolles, explique que « ni les états généraux 
de l’alimentation, ni la loi agriculture et alimentation telle qu’elle 
est ne donneront de résultats en faveur des consommateurs et des 
producteurs tant qu’il n’y a pas de remise en cause de la logique 
dominante ». Pour le dirigeant communiste, l’accès aux fruits et légumes
 pour tous est un enjeu de santé publique. Enjeu qui peut s’inscrire 
dans un cercle vertueux où une plus juste rémunération du travail des 
paysans remplacerait l’accaparement de la valeur ajoutée par les 
intermédiaires. Pour y parvenir, une proposition de loi, retoquée en 
2016, émanant des parlementaires PCF et visant à garantir le revenu des 
agriculteurs tout en encadrant les marges de la grande distribution est 
prête à être rediscutée.

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire