dimanche 26 août 2018

Alimentation. La lutte des classes se joue aussi dans l’assiette

Avec leur vente solidaire annuelle de fruits et légumes, PCF et Modef démontrent, le temps d’une journée, que les classes populaires ne sont pas condamnées à se priver de produits de qualité et à un prix juste.
Déguster un gratin de courgettes, une tarte aux prunes ou même une salade de tomates relève parfois du luxe pour des familles aux revenus modestes ou des retraités aux pensions faibles. Mais, au pied des immeubles des villes populaires d’Île-de-France comme sur la place de la Bastille, au cœur de Paris, ils seront encore des milliers aujourd’hui à pouvoir s’offrir des fruits et légumes frais, de qualité, et à des prix justes, aussi bien pour le producteur que pour le consommateur. En réalisant leur initiative annuelle de vente à prix coûtant, la Confédération syndicale agricole des exploitants familiaux (Modef) et le Parti communiste français réduisent, le temps d’une journée, la différence du contenu des assiettes entre les couches sociales.

Les plus modestes, davantage victimes de diabète et d’obésité

Car, si la France est le 4e producteur de fruits et légumes en Europe (après l’Espagne, l’Italie et la Pologne), tous ses citoyens n’y ont pas accès de la même manière. Un rapport réalisé tous les sept ans par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, et publié l’an dernier, démontre combien les habitudes alimentaires sont un reflet saisissant des inégalités sociales. Dans ces habitudes, la consommation de fraises, petits pois, tomates et aubergines est davantage le fait d’individus ayant un niveau d’études supérieur à bac + 4 que de leurs compatriotes ayant quitté les bancs de l’école en primaire ou au collège, qui en mangent en proportions moindres. Ces derniers, davantage touchés par le chômage ou occupant des emplois d’ouvriers ou d’employés, perçoivent des revenus moins importants. Leurs choix se portent davantage sur de la viande rouge, pourtant peu bon marché, mais symbole de l’assiette des catégories aisées, ou sur des pommes de terre et des produits issus de céréales, jugés plus nourrissants. D’autant que, selon Faustine Régnier, docteur en sociologie de l’alimentation à l’Institut de recherche agronomique (Inra), les ménages modestes, qui consacrent une part importante de leur budget à leur alimentation, sont plus sensibles aux variations des prix. Or, saisonnalité oblige, les prix des fruits et légumes frais passent parfois du simple au double en quelques mois sur les étals. Le résultat de ces arbitrages contraints n’est pas sans conséquence sur la santé, puisque les Français aux revenus modestes sont davantage victimes de maladies cardio-vasculaires, de diabète ou d’obésité.
Pourtant, les pouvoirs publics avaient bien initié une campagne choc, il y a une quinzaine d’années, avec l’ordre intimé de consommer cinq fruits et légumes par jour. Depuis, si le slogan a été intégré par une majorité de Français, les études s’accordent à constater que le conseil n’est pas suivi. À tel point que, depuis dix ans, l’obésité reprend sa progression. Selon le Centre de recherches pour l’étude et l’observation des conditions de vie, la proportion d’enfants en surpoids ou obèses était de 19,8 % en 2017, contre 15,8 % en 2007, avec une surreprésentation de « 35 % dans les foyers avec moins de 9 900 euros annuels par unité de consommation ». Ceux qui précisément font l’impasse sur les fruits et légumes frais. C’est dire si la seule injonction, voire la culpabilisation des consommateurs, ne suffit pas à modifier leur comportement alimentaire. D’autant que les messages de recommandation ne sont pas entendus de la même manière selon les catégories sociales. Dans les foyers modestes, la priorité est plutôt donnée au goût et à l’abondance, tandis que, chez les plus aisés, l’alimentation est davantage associée à la santé.

Aux Restos du cœur, les melons, radis, courgettes… sont prisés

Force est d’ailleurs de constater que les qualités organoleptiques des fruits et légumes proposés en grande surface ne sont pas au rendez-vous, contrairement à celles des produits que l’on peut se procurer sur les marchés de producteurs et dans les magasins bio. Pour Catherine Richard, directrice de recherche à l’Inra d’Avignon (Vaucluse), les sélections génétiques des fruits et légumes majoritairement consommés portent davantage sur leur résistance aux maladies et aux ravageurs et sur leur facilité à être transportés plutôt que leurs qualités nutritives. Ainsi, des tomates récoltées tournantes (orangées) par le producteur et passées par une succession de chambres froides n’auront pas le même goût que les mêmes tomates récoltées mûres et vendues peu de temps après. L’une et l’autre ne contiendront pas non plus le même taux de lycopène, ce nutriment qui prévient le cancer de la prostate et que l’on trouve dans les tomates récoltées mûres. Là aussi, les inégalités se retrouvent dans l’assiette.
Pourtant, chez les plus précaires aussi les fruits et légumes sont également prisés, dès l’instant qu’ils y ont accès. Aux Restos du cœur, on constate que, lors des distributions de denrées alimentaires, bananes, melons, radis ou courgettes ont toujours du succès. Signe que le revenu est un facteur décisif dans le contenu de l’assiette.
Mais Arnaud Faucon, secrétaire national de l’Indecosa CGT, rappelle que, même quand les couches populaires pourraient avoir accès à des fruits et légumes, ceux-ci sont d’une qualité inférieure à ceux qui garnissent les plats des catégories aisées. Et le syndicaliste de pointer la culpabilisation que l’on fait subir aux consommateurs qui devraient « bouger plus », manger « moins gras », ne pas gaspiller ou consommer « plus de légumes ». L’Association pour l’information et la défense des consommateurs de la CGT se bat d’ailleurs pour la démocratisation de l’accès aux fruits et légumes, tout en rappelant que, d’un côté, les producteurs sont contraints d’écraser leurs prix de vente et, de l’autre, les citoyens sont soumis à des prix élevés.

Un encadrement des prix, qui puisse rémunérer le producteur

Une situation qui s’aggrave, selon Arnaud Faucon, avec la concentration des centrales d’achats, symptômes du système capitaliste monopolistique, qui rend captifs producteurs et consommateurs. Tout en saluant l’initiative annuelle du Modef et du PCF qui se décline dans 80 points de vente en Île-de-France (voir encadré), il estime que, pour permettre à tous de bien se nourrir, une augmentation des salaires et des pensions est nécessaire, ainsi qu’un encadrement des prix, qui puisse rémunérer le producteur et permettre au consommateur de manger équilibré. Un moyen d’inverser la tendance que défendent les agriculteurs du Modef depuis longtemps et dont le PCF s’est emparé. Son porte-parole, Olivier Dartigolles, explique que « ni les états généraux de l’alimentation, ni la loi agriculture et alimentation telle qu’elle est ne donneront de résultats en faveur des consommateurs et des producteurs tant qu’il n’y a pas de remise en cause de la logique dominante ». Pour le dirigeant communiste, l’accès aux fruits et légumes pour tous est un enjeu de santé publique. Enjeu qui peut s’inscrire dans un cercle vertueux où une plus juste rémunération du travail des paysans remplacerait l’accaparement de la valeur ajoutée par les intermédiaires. Pour y parvenir, une proposition de loi, retoquée en 2016, émanant des parlementaires PCF et visant à garantir le revenu des agriculteurs tout en encadrant les marges de la grande distribution est prête à être rediscutée.

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