La
mobilisation et la solidarité des habitants de la région ont permis à
quatre Soudanais menacés d’expulsion de s’installer à Faux-la-Montagne,
dans la Creuse.
Les
pensées tournées vers un avenir incertain, Noordeen, 21 ans et condamné
à l’expulsion, semble perdu à Roissy. Il y a déjà deux ans et demi
qu’il a fait ses valises pour fuir les massacres de son Soudan natal.
L’assassinat de membres de sa famille, sous ses yeux, a poussé le jeune
homme à prendre la route de la Libye, où il fut réduit en esclavage.
Avec ses compagnons d’exode, il a ensuite rallié l’Europe, et la France,
dans l’espoir d’y créer une destinée plus paisible… Un policier tire
Noordeen de ses cauchemars. Ce 11 juillet, il apprend qu’il ne
retournera finalement pas au Soudan, où la mort l’attendait. Ni même en
Italie, où règne la peur des exactions commises sur les migrants.
Noordeen Essak est autorisé à déposer sa demande d’asile en France. Il
retourne sous son nouveau toit, à Faux-la-Montagne (Creuse), sur le
plateau de Millevaches. Tout cela grâce à la mobilisation des habitants
du village, sa nouvelle famille.
La Creuse a caché nombre d’enfants juifs sous l’Occupation
Tout a commencé il y a un peu moins d’un an. Marc
Bourgeois, citoyen de Faux qui héberge encore aujourd’hui Noordeen,
prend alors le train Paris–Eymoutiers. Il y rencontre Abdulaziz : « Il
était attendu au centre d’accueil et d’orientation (CAO) de
Peyrat-le-Château, mais est arrivé un jour plus tôt à Eymoutiers. Je lui
ai donc proposé de dormir chez moi. » Malgré le refus du jeune
Soudanais, les deux hommes se rendent visite, et Abdulaziz s’investit
dans les activités associatives du village, en cuisinant et en récitant
des poèmes en arabe. Marc Bourgeois, lui, se rend compte de la « mise en
léthargie » des migrants dans les CAO et de la « partie de ping-pong
entre la France et l’Italie » dont ils font l’objet. Entrés en Europe
par l’Italie, les accords de Dublin les obligent à y déposer leur
demande d’asile. Entre-temps, il rencontre Mudethir, Abdelmajid et
Noordeen, trois autres Soudanais, victimes impuissantes de la fermeture
des frontières de l’Europe, que la communauté locale souhaite aussi
recueillir.
« C’est une terre d’accueil et de résistance, fortement
marquée par le communisme rural. Le plateau de Millevaches est l’un des
premiers maquis français, et la Creuse a caché nombre d’enfants juifs
lors de la Seconde Guerre mondiale », résume Marc Bourgeois pour
expliquer la mobilisation des habitants en faveur des exilés. Une
tradition dont témoigne aussi l’actuelle maire de Faux-la-Montagne,
Catherine Moulin, arrivée il y a trente-cinq ans dans la région.
« François Chatoux, le maire de l’époque, a fait preuve d’une ouverture
formidable en faisant tout son possible pour que l’on s’installe. Sa
philosophie était d’accueillir tout le monde, sans tri. » Les habitants
du village ont perpétué cette hospitalité creusoise envers les quatre
exilés soudanais. D’autant que ces derniers, en quelques mois, se sont
fait apprécier des presque 400 âmes de Faux-la-Montagne. « Ils ont
rencontré beaucoup de monde, ont appris le français et se sont investis.
On ne fait pas de différence entre eux et les jeunes d’ici. S’il y
avait des jeunes de Faux-la-Montagne dans cette situation, je voudrais
que des gens les accueillent comme ça », ajoute Marc Bourgeois.
Noordeen parvenait donc à oublier son passé et son
douloureux périple quand, huit mois après son arrivée, il est convoqué à
la gendarmerie de Felletin et apprend qu’il est sous le coup d’une
expulsion. C’est le 9 juillet qu’il y retourne, en compagnie de Marc
Bourgeois, qui l’héberge, mais aussi de 200 personnes révoltées qu’on
leur « arrache l’un des leurs ».
« On empêche que l’un des nôtres soit enlevé »
La fraternité rassemble ces familles, ces enfants, ces
personnes âgées devant les grilles de la gendarmerie. « C’est
inconcevable de le laisser partir, c’est une aberration complète,
s’émeut Marc Bourgeois. C’est une évidence pour tous qu’il fallait se
mobiliser. On ne défend pas un migrant : on empêche que l’un des nôtres
soit enlevé. » Sous la chaleur, dans une ambiance décontractée et
pacifique, tous les membres de la nouvelle famille de Noordeen veulent
empêcher son départ, ou du moins le retarder : à un jour près, le cas du
Soudanais ne serait plus géré par l’Italie, mais par la France ! Hélas,
la préfète de la Creuse, pour qui les villageois étaient « organisés et
d’ultragauche », reste insensible au sort du réfugié et à l’appel des
Fallois. « Elle n’a pas voulu utiliser son pouvoir décisionnaire,
dénonce Catherine Moulin. Dans son discours se mélangeaient d’autres
choses, notamment sa frustration de la non-condamnation des accusés de
Tarnac. C’était sa façon de régler ses comptes… » La préfète va même
jusqu’à ordonner l’assaut des forces de police contre les manifestants.
Alors que ces derniers sont mis à terre et aspergés de gaz lacrymogène,
les gendarmes à l’intérieur du bâtiment menottent et frappent Noordeen.
Ils découpent un grillage pour le faire passer par-derrière et
l’embarquent en voiture vers le centre de rétention de Roissy. Mais la
mobilisation des Fallois a payé : deux semaines plus tard, la préfecture
renonce. Noordeen et au moins deux de ses amis peuvent déposer leur
demande d’asile en France. Mais pas question d’en rester là. Des
habitants ont lancé un appel intitulé « Il n’y aura pas d’expulsion sur
la montagne limousine ! ». Un énième acte de solidarité signé par de
nombreuses personnalités, dont l’écrivain Pierre Bergounioux : « On ne
va pas laisser ces Soudanais crever à notre porte ! s’indigne-t-il. Le
Limousin est une région pauvre, résistante et une terre d’accueil. Il y
aura invariablement des pouilleux et des gueux dans ces parages pour
s’opposer à toute forme d’injustice et de barbarie quand il leur en
prendra l’envie. »
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