dimanche 30 septembre 2018

La Gauche et l'immigration : la réponse du PCF au questionnaire de Médiapart

Mediapart a publié le 26 septembre un long article : « Immigration: six partis de gauche répondent à nos quinze questions clés » dont chacun-e peut prend connaissance sur son site.
Pour faciliter la lecture des réponses apportées par le Parti communiste français (sous la plume de Cécile Dumas et Lydia Samarbakhsh, membres du Comité exécutif national du PCF), nous avons choisi de le publier ici d'un seul tenant avec le mot introductif qui nous a été adressé lors de l'envoi des questions.

MEDIAPART – La gauche et l'immigration

Après les épisodes de l’Aquarius, et alors que l’extrême droite progresse partout en Europe, la question migratoire – qui recouvre à la fois la question de l’asile, et l’immigration structurelle – est aujourd’hui au cœur des débats nationaux et européens. Des partis de gauche, en France et en Europe, estiment que leur doctrine sur le sujet doit être repensée.
A quelques mois des élections européennes, où la question migratoire pourrait se retrouver au cœur des débats, Mediapart a souhaité interroger les organisations de gauche et écologistes françaises afin de mieux connaître leurs prises de position sur ce sujet.
Nous soumettons ce « questionnaire » à toutes les organisations politiques habituellement classées à gauche qui prévoient de présenter une liste aux élections européennes de 2019 : NPA, EELV, France insoumise, PS, PCF, et Génération.s.
Merci de répondre aussi précisément que possible.
Vos réponses à ce « questionnaire » seront utilisées dans un article de synthèse, et seront également publiées telles quelles sur le site de Mediapart.


1°) Diriez-vous que l’Europe fait face à une « crise » migratoire ? Sinon, comment qualifiez-vous les phénomènes migratoires actuels ? Considérez-vous qu’ils sont inédits par leur ampleur ? Par leur nature ?
Le terme « crise migratoire » a envahi la scène politique et médiatique européenne. La réalité n’est pas vraiment celle d’une crise migratoire mais bien de celle d’une crise de l’accueil des réfugiés en Europe.
Il y a un travail d’information de la réalité à mener, certains journalistes d’ailleurs se sont organisés pour le mener, et de notre côté, il est indispensable de rappeler en permanence que les migrations sont constitutives de l’humanité et une réalité qui existe depuis des siècles.
Aujourd’hui, le nombre de femmes et d’hommes concernés n’a jamais été aussi important du fait du développement des insécurités sur tous les plans, et c’est un enjeu international, européen. Mais ce n’est pas en Europe qu’afflue l’essentiel des migrants, déplacés ou réfugiés, auquel les peuples peuvent ensemble donner des solutions humaines.
Vérité des chiffres : Non, il n’y a pas d’ « invasion » de l’Europe. Il y a actuellement 258 millions de migrants internationaux dans le monde, soit 3,3% de la population mondiale contre 2,9% en 1990 et 5% en 1900, époque où c’étaient surtout des Européens fuyant persécutions et misère.
En revanche, aujourd’hui, les migrations concernent quasiment tous les pays du monde qui sont à la fois pays de départ, d’arrivée et de transit. Les migrations se sont mondialisées.
On voit que les mouvements de population ne se sont amplifiés autant que certaines communications du gouvernement français voudraient nous le faire croire.
La France est un pays avec un solde migratoire quasiment nul.
D’ailleurs, 105 millions de migrants sont originaires d’Asie, 60 millions d’Europe et 36 millions d’Afrique. Au prorata de la population respective des continents, ce sont toujours les Européens qui migrent le plus.
Le mot « crise » a donc bien dans la bouche de l’extrême droite ou de dirigeants européens et français une fonction politique qui traduit la volonté des gouvernements des pays européens de durcir les politiques migratoires en particulier vis-à-vis des pays du sud.
2°) Avec le recul, quel regard portez-vous sur les décisions prises par Angela Merkel en 2015, au pic de l’arrivée des réfugiés qui fuyaient la guerre en Syrie ? Et sur l’attitude du président François Hollande ?
S’il y a un pays qui ne peut pas donner de leçon aux pays membres de l’UE, c’est bien la France. L’Allemagne, elle, a montré plus de solidarité que notre pays et pas simplement pour des raisons de besoin de main d’œuvre mais parce qu'Angela Merkel a dû prendre en compte le mouvement citoyen de solidarité avec les migrants déjà à l’œuvre.
Les conditions d’accueil sont plus dignes en Allemagne qu’en France mais Angela Merkel s’est laissée ensuite « mettre sous pression » par les conservateurs allemands et a commencé à vouloir marchander sur ce terrain avec la Turquie d’Erdogan ou lors du Sommet de La Valette en appuyant l’idée d’externalisation de la gestion des flux migratoires portée par E. Macron alors qu’au sein même de l’UE, c’est la ligne la plus xénophobe qui pour l’heure donne le tempo.
La France s’était alors engagée à accueillir un peu plus de 19 000 demandeurs d’asile et en septembre 2017, seulement 4278 étaient accueillis en France.
Nous restons persuadés que si la solidarité européenne avait été organisée et, en particulier, vis-à-vis de la Grèce et de l’Italie, nous n’en serions pas à ce stade de montée de l’extrême-droite. La France a une responsabilité importante dans cette absence de solidarité que ne masqueront jamais tout à fait les coups de communication d’Emmanuel Macron quand il accueille 60 migrants de l’Aquarius.
C’est le déshonneur de la France, qui est historiquement un pays d’émigration et d’immigration, d’avoir abandonné sa politique d’accueil pour des raisons électoralistes.
3°) Êtes vous favorable à la liberté de circulation ? A la liberté d’installation ? Etes-favorable à la suppression des frontières ?
Le droit à la circulation est sans conteste pour nous un des droits humains universels fondamentaux. Pour l’heure, seul un tiers de la population mondiale a réellement accès.
Nous sommes favorables au droit à la circulation avec des voies légales — et sécurisées— de migrations, seule façon effective de démanteler les trafics d’êtres humains.
Il est urgent de réorienter la politique migratoire européenne en conformité avec la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui énonce que « toute personne a le droit de circuler librement, de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat, toute personne a le droit de quitter tout pays y compris le sien, et de revenir dans son pays ».
Nous n’acceptons pas une conception de la mondialisation qui ne donne la liberté de circulation qu’aux capitaux et aux marchandises et pas aux êtres humains, surtout quand il s’agit de vie ou de mort !
4°) La distinction entre « réfugiés » d’un côté, migrants « économiques » de l’autre, vous semble-t-elle pertinente ? Sinon, pourquoi ?
Pour les communistes, il n’est en aucun cas question de souscrire à ce tri sélectif entre « bons réfugiés » et « mauvais migrants économiques ».
Qu’elle soit réfugiée, c’est-à-dire contrainte de solliciter une protection internationale, qu’elle soit demandeuse d’asile, qu’elle soit migrante pour aller chercher un travail, rejoindre sa famille ou à cause de catastrophes naturelles, chacune de ces personnes se déplace d’une manière plus ou moins contrainte et doit avoir le droit de choisir une autre vie et d’être protégée dans le respect de ses droits élémentaires.
La prétendue hiérarchie entre « bon ou mauvais » migrants sert aux calculs les plus froids et cyniques.
5°) Diriez-vous-vous que l’immigration a pesé défavorablement sur les conditions de travail et les salaires ces dix dernières années en France ? Si oui, en déduisez-vous qu’il faudrait prendre de nouvelles mesures pour limiter ou réduire le nombre d’entrées (hors réfugiés) sur le territoire?
Toutes les études sérieuses ont mis en évidence que la France a bénéficié de l’apport migratoire quelqu’en soit sa provenance d’origine, et aussi bien sur le plan économique que culturel alors même que plusieurs générations d’immigrés, et leurs enfants, ont été maltraités et humiliés dans notre pays par les autorités. L’immigration ne sera pas l’éternel bouc émissaire de la politique du patronat sur les conditions de travail et les salaires.
Ce sont bien les politiques d’austérité et les exigences de profit des patrons qui ont pesé défavorablement sur les conditions de travail.
Ce sont bien les politiques d’austérité et les exigences de profit des patrons qui organisent le dumping social et la concurrence entre les individus.
Ne nous trompons pas de cibles, c'est bien ensemble que les luttes doivent se mener pour de nouveaux progrès sociaux !
6°) Faut-il renforcer Frontex et les contrôles aux frontières de l’Union européenne ?
C’est ce qui est fait actuellement et cela depuis des années pour quel résultat ? Les migrants ne sont pas des criminels mais les passeurs et réseaux, si. C’est à la sécurisation des voies de migrations, et au démantèlement des réseaux de trafiquants d’êtres humains que Frontex doit servir. L’Union européenne, pressée par ses Etats-membres les plus réactionnaires a pour obsession de « sécuriser » ses frontières par des murs physiques ou électroniques. Ces politiques ne servent à rien et ont un coût faramineux alors que tout manque dans l’aide humanitaire et dans les services administratifs d’accueil et d’orientation. Nous proposons de réorienter les missions de Frontex vers le sauvetage et l’ouverture de voies légales sans conditions.
7°) Par ailleurs, diriez-vous qu’il faut réduire le nombre de « sans papiers » en France en procédant à davantage de régularisations (30 000 par an ces dernières années sur la base d’une circulaire de Manuel Valls datant de 2012) ? Si oui, quels critères faut-il revoir ? Faut-il régulariser l’ensemble des travailleurs « sans papiers » ?
La France héberge dans des conditions souvent déplorables des dizaines de milliers de personnes sans droits, des migrants que l’on appelle souvent des « ni, ni », c’est-à-dire déboutées du droit d’asile et impossible à expulser. Cette situation administrative est ahurissante.
C’est cette logique sécuritaire qui crée les « sans papiers », alors, oui il faut une grande politique de régularisation fondée sur le plein respect des droits : regroupement familial, droit au travail, droit à la santé, droit à l’éducation…
8°) Faut-il augmenter l’aide au développement dans les pays d’émigration ? Avec pour objectif principal de limiter les départs ? Cette aide doit-elle être conditionnée ? Si oui, à quelles contreparties ?
Depuis des années, les Nations unies demandent à chaque pays développé de consacrer au moins 0,7% de son produit national brut à l’aide publique au développement des pays du sud. En 2016, la France n’en était qu’à 0,38% soit 8,6 milliards d’euros et le 1er ministre a fixé comme
objectif en 2022 de 0,55%.
Il est grand temps que la France réponde aux exigences des Nations unies, et vise un objectif plus ambitieux en la matière, en volume de fonds, en personnels et dispositifs mais aussi en mettant un terme à la « sous traitance » aux ONG, voire à la quasi privatisation de son action. L’État doit jouer pleinement son rôle et ce, aux côtés des collectivités territoriales qui jouent un rôle décisif mais de plus en plus seules sur ce terrain.
En revanche, il est aussi indispensable de ne pas conditionner les aides au développement à des conditions de réadmission et la plupart des études le disent les départs d’un pays ne sont pas liés au développement des pays en question.
L’arrêt des ventes d’armes seraient certainement plus efficaces à la paix et à la fin de mouvements de population contraints par la guerre.
Il faut aussi rappeler que l’apport personnel des migrants à leur pays d’origine est 3 fois plus important que l’aide publique au développement.
En 2017, les migrants ont renvoyé 596 milliards de dollars dans leur pays d’origine et 450 milliards de dollars vers les pays en voie de développement.
9°) Faut-il élargir le droit d’asile ?  En particulier,  êtes-vous favorables à la création de nouveaux droits liés aux violences subies non plus seulement dans les pays d’origine, mais durant le parcours migratoire (comme en Libye) ?
Oui, il faut surtout agir pour un droit d’asile européen, débat que refusent les pays membres depuis 10 ans. Quelle que soit la nature des violences, il faut ouvrir la possibilité du droit d’asile, cela fait partie de l’ouverture de voies légales de migrations et c’est la seule solution de lutter contre le trafic d’êtres humains et les passeurs mafieux.
10°) Comment mieux garantir aux migrants accessibles au statut de réfugié la possibilité de faire valoir leurs droits en France et en Europe ?
Tout d’abord avec une politique de solidarité européenne et ne pas laisser l’Italie et la Grèce seuls.
Nous devons garantir les droits des personnes, assurer la diversité de traducteurs pour permettre une meilleure compréhension des démarches administratives et laisser le temps nécessaire au demandeur d’asile pour choisir sa vie.
Pour cela, nous proposons d’élaborer une loi de programmation de 50 000 places d’hébergement en CADA (Centre d’accueil de Demandeurs d’Asile) avec la nécessité de réduire l’accueil hôtelier.
Ce plan de programmation doit être réfléchi avec les territoires pour favoriser le lien social avec l’environnement et l’accès aux services publics.
Il faut aussi permettre aux départements d’avoir les moyens d’accueillir les mineurs isolés comme la loi l’oblige. Tout mineur devrait être accompagné par un travailleur social de l’ASE pour élaborer avec lui un parcours scolaire ou professionnel. Les financements doivent être croisés entre le département, l’État et l’Europe et permettre le respect des conventions des droits de l’enfant.
11°) Faut-il autoriser les bateaux humanitaires de secours en Méditerranée (tel l’Aquarius) à débarquer leurs rescapés en France ?
Bien sûr, les ports français sur la Méditerranée ne manquent pas. Le parti communiste français mène d’ailleurs une campagne #OuvronsNosPorts pour encourager cet accueil.
12°) Faut-il créer des plateformes de débarquement sur la rive Sud de la Méditerranée où seraient examinées les demandes (comme envisagé par les dirigeants de l’UE au conseil européen de juin dernier) ? D’une manière générale, faut-il favoriser le traitement des demandes d’asile depuis les pays tiers (Niger, etc) pour éviter que les migrants non-accessibles au statut de réfugié se risquent en Libye, en Méditerranée, etc ? Seriez-vous favorable au traitement des demandes d’asile dans les pays de départ ? 
Non, il faut respecter les droits internationaux, le droit d’asile donne la possibilité de choisir son pays d’arrivée. La politique de l’Union européenne et des États membres d’externaliser sa politique migratoire n’a pas de sens.
Sous contrôle du HCR et de l’OIM, il faut construire des corridors humanitaires et permettre des visas humanitaires à celles et ceux qui fuient les zones de conflit.
Il faut actuellement permettre le rapatriement des 8 000 personnes abandonnées à Tripoli en Libye et qui traversent un martyre.
13°) Pour les demandeurs d’asile arrivant dans l’Union européenne, faut-il des quotas de répartition contraignant entre pays européens ? Si oui, quels leviers utiliser pour convaincre ou contraindre les Etats européens réfractaires (Hongrie, etc.) ?
On ne peut pas être dans l’Union européenne sans montrer de la solidarité et de la coopération entre pays membres. Mais il faut aussi respecter le choix des demandeurs et en particulier le lien avec le pays demandé et faire sauter sauter le verrou du 1er pays entrant (accord dits de Dublin).
Nous proposons de couper les fonds européens aux pays réfractaires de l’Union européenne.
14°) Etes-vous favorable à une réforme du règlement européen de Dublin qui prévoit que le pays responsable d’une demande d’asile est celui où les migrants ont été enregistrés en premier (le plus souvent la Grèce, l’Italie, l’Espagne) et qui permet à la France d’y transférer des demandeurs d’asile pourtant entrés sur son territoire ? Si oui, quelle réforme ? En attendant, faut-il que la France suspende toutes les procédures de renvoi des « dublinés » dans leur pays d’entrée ?
Tout d’abord, il faut souligner que la France n’a aucune obligation de renvoi, et refuser le « dublinage » serait un acte de solidarité de notre pays qui est un des pays qui acceptent le moins de demandes d’asile.
Nous souhaitons l’abrogation des règlements dits « de Dublin ». Une des propositions que nous soumettons est que les pays de 1ère entrée dans l’UE ne soient plus automatiquement responsables des demandeurs d’asile.
A leur arrivée, un dispositif d’accueil doit les prendre en charge, se renseigner sur l’existence de liens familiaux, professionnels ou scolaires dans les Etats membres.
L’existence de tels liens doit permettre l’installation des personnes dans le pays concerné sinon, le demandeur d’asile sera automatiquement confié à un Etat membre sur la base d’une clé de répartition définie par l’UE.
15°) Etes-vous favorable à des charters européens pour expulser les déboutés du droit d’asile (comme le promeut le directeur de Frontex) ?
Non, et c’est malheureusement ce qui est fait de plus en plus par Frontex. Il faut rappeler que la plupart des déboutés d’asile sont inexpulsables selon le droit.
Nous refusons la notion de « pays sûr » qui est défini par les États membres sur des critères bien obscurs et qui qualifie aujourd’hui des dictatures. Comment expliquer que l’Allemagne définisse l’Afghanistan comme un « pays sûr » ! Aucune politique d’État ne doit « fabriquer » de personnes « sans droit ».

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