vendredi 8 février 2019

INDUSTRIE. BRUXELLES EMPÊCHE LE MARIAGE DANGEREUX ENTRE ALSTOM ET SIEMENS

La Commission européenne a rejeté la fusion des deux géants européens du ferroviaire. Si, pour elle, ce rapprochement risquait de fausser la concurrence, les syndicats espèrent en profiter pour faire émerger un nouveau projet de développement plus coopératif.
Un « ouf de soulagement », « une satisfaction », pour les syndicats d’Alstom ; « une erreur », « un cadeau pour la Chine », « une mauvaise décision » pour le gouvernement. Après plusieurs mois de tractations, Bruxelles a refusé ce mercredi de célébrer la noce entre Alstom et Siemens Mobility. Malgré les pressions de Paris et Berlin, les concessions de dernière minute, la Commission européenne, après avoir planché sur « plus de 800 000 documents » depuis juillet 2018, « a interdit la concentration parce que les parties n’étaient pas disposées à remédier aux importants problèmes de concurrence que nous avons relevés », a déclaré la commissaire Margrethe Vestager, lors d’un point presse. « L’opération financière » dénoncée par l’ensemble des syndicats n’aura pas lieu, évitant au passage les 4 000 à 7 000 suppressions de postes redoutées en Europe par les organisations syndicales. La commissaire à la Concurrence a en effet vu dans la constitution de ce géant une position de domination telle qu’elle aurait entraîné, à terme, « une hausse des prix pour les systèmes de signalisation qui assurent la sécurité des passagers et pour les futures générations de trains à très grande vitesse ».

La vision de Macron boit la tasse

De son côté, l’exécutif français ne décolère pas. Après Bruno Le Maire, c’était au tour de la secrétaire d’État à l’Économie, Agnès Pannier-Runacher, d’exprimer son mécontentement, estimant que Bruxelles est « à côté de la plaque ». « Aujourd’hui, on n’a pas un champion européen qui soit capable d’avoir les reins suffisamment solides pour investir, pour innover et pour continuer à gagner des appels d’offres », a martelé la secrétaire d’État, en appelant à « reconstruire » le droit de la concurrence. La veille, même le patronat français, jusqu’ici peu bavard sur cette fusion, était sorti du silence. « La constitution de champions européens est absolument indispensable » face à la concurrence chinoise et américaine, avait ainsi affirmé Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef. Il faut dire qu’avec cette décision c’est toute la vision d’Emmanuel Macron, définie dès 2015 alors qu’il était encore en poste à Bercy, qui boit la tasse. Celle-ci consistant à promouvoir la création de grands champions européens dans les secteurs stratégiques, comme l’énergie, la navale ou encore le ferroviaire.
C’est bien cette vision que la commissaire européenne à la Concurrence a taclée. « Il est très important de ne pas tomber dans le piège de penser que le grand est toujours mieux. Certes, nous avons besoin de grandes coopérations (…) mais, en même temps, tout notre écosystème est plus fort s’il ne dépend pas entièrement d’une ou de quelques entreprises géantes. » D’autant que la menace de la concurrence chinoise agitée par l’exécutif et les dirigeants des deux groupes reste pour le moment « très virtuelle », explique l’économiste Marc Ivaldi, interrogé par France Info. « CRRC (constructeur de matériel ferroviaire chinois – NDLR) réalise 90 % de son chiffre d’affaires en Chine. Mais il n’y a aucune perspective d’entrée des Chinois sur le marché européen de la grande vitesse en Europe dans un avenir prévisible », estime aussi Margrethe Vestager. Quant à leur situation sur le marché de la signalisation ferroviaire, la commissaire juge qu’« ils ne sont nulle part en Europe ».
« Pour pouvoir rentrer sur ces marchés européens qui sont extrêmement désagrégés, il faudra que les Chinois investissent beaucoup », analyse pour sa part Marc Ivaldi. Une conviction partagée par les syndicats. « La Commission (européenne) vient de rappeler, comme la FTM-CGT (métallurgie) l’a toujours dit, que le péril chinois n’est qu’une contrevérité », estime l’organisation. D’autant que si tel avait été le cas, pourquoi CRRC « est-il l’un des partenaires les plus importants d’Alstom ? Pourquoi le gouvernement français ne se bat-il pas plutôt pour l’ouverture réelle du marché chinois et la fermeture du marché européen tant qu’il n’y aura pas réciprocité ? » poursuit la CGT. Plutôt que de fabriquer des géants, le gouvernement serait plus efficace en se battant pour « la mise en place d’un European Buy Act, pour protéger notre marché et assurer la localisation des productions », préconise de son côté le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel.

« Il n’y pas de “plan B” »

Après l’annonce, Alstom et Siemens ont annoncé poursuivre leur route « chacun de leur côté », selon l’expression du patron du groupe français, Henri Poupart-Lafarge, interrogé par le Figaro. « Nous avons un carnet de commandes de plus de 40 milliards (d’euros) à exécuter, les équipes sont largement occupées », s’est-il réjoui. Le dirigeant a par ailleurs balayé tout éventuel nouveau projet de fusion ou de démantèlement, contrairement à Siemens qui s’apprête à placer en Bourse Siemens Mobility. « Il n’y a pas de plan B », a assuré Henri Poupart-Lafarge.
Loin du statu quo, les représentants des salariés d’Alstom veulent assurer l’avenir de ces derniers et construire un véritable projet industriel, afin que l’entreprise « se batte sur d’autres arguments que le prix », explique Olivier Kohler, délégué CFDT à Alstom Belfort. « Répondre de façon optimale à ce futur marché doit passer par le développement de groupements d’intérêt économique (GIE) avec les partenaires européens en matière de recherche-développement, de production, d’exportation », explique de son côté la CGT.

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