jeudi 15 novembre 2018

Budget italien. Un bras de fer dangereux pour l’Union européenne

Si la Commission européenne refuse à nouveau le budget italien – qui fait la part belle aux plus riches –, elle va renforcer l’idée que la seule opposition à l’Europe provient d’un gouvernement nationaliste. Et c’est sans compter l’agitation sur les marchés financiers.
À quelques mois des élections européennes de mai 2019, la mise en scène est habile, propice à enfermer le débat entre eurolibéraux et nationaux-libéraux. Il y aurait d’un côté les garants de la « démocratie libérale », apôtres de la bonne gestion des comptes publics – la Commission européenne – ; et de l’autre ceux qui prétendent défendre la « souveraineté » en présentant un « budget du peuple » – le gouvernement italien. En réalité, entre Bruxelles et Rome, on s’entend comme larrons en foire sur cette partition. L’exécutif de Giuseppe Conte devait envoyer hier soir son projet de budget à la Commission européenne. Cette dernière avait rejeté une version précédente, courant octobre. Il était reproché à Rome de ne pas suivre la trajectoire de déficit programmée par le gouvernement précédent, à savoir 0,8 %. Hier, les dirigeants italiens affirmaient vouloir tenir bon sur leur objectif d’un déficit de 2,4 %. La Commission européenne a jusqu’au 21 novembre pour évaluer la nouvelle copie. Et elle pourrait décider de placer Rome en procédure de déficit excessif, ce qui lui vaudrait une amende équivalant à 0,5 % de son PIB. Une mesure inédite.
Si telle était la décision de la Commission de Jean-Claude Juncker, il rendrait un grand service au gouvernement des démagogues du Mouvement 5 étoiles (M5S), emmenés par Luigi Di Maio et des xénophobes de la Ligue, dirigés par Matteo Salvini, à l’heure où ces deux-là s’écharpent sur certains dossiers, comme la réforme de la justice ou les grandes infrastructures. Car, à première vue, le projet de budget mis sur la table est le premier à faire progresser les dépenses sociales depuis le début de la cure d’austérité, en 2011 : 14 milliards d’euros y sont prévus à cet effet. Symboliquement, la Commission s’en prendrait à un budget qui, en apparence, desserre l’étau de l’austérité.

Le diable se niche dans les détails

Ces fonds permettront de répondre aux demandes – parfois clientélistes – des électorats du M5S et de la Ligue. La mesure phare de ce « budget du peuple », tel que baptisé par ses architectes, est l’instauration d’un « revenu de citoyenneté ». D’un coût de 7 milliards d’euros, il permettrait à presque toutes les familles d’arriver à un revenu équivalant au seuil de pauvreté, à savoir 780 euros. En termes d’affichage, la mesure est belle, et pourrait bénéficier à 4,5 millions de personnes. Mais le diable se niche dans les détails, qui ne seront connus que dans le courant de l’année prochaine, quand les décrets-lois seront publiés. Selon les premiers éléments dévoilés par les représentants du M5S, les bénéficiaires de cette sorte de RSA pourraient se voir contraints de travailler huit heures par mois au service de la collectivité. Comme en Allemagne avec la loi Hartz IV, ils seraient tenus d’accepter les emplois qui leur seraient proposés, dans une Italie où n’existe pas de salaire minimum… Enfin, cette allocation pourrait s’apparenter, dans certains cas, à une aide aux entreprises : celles qui embauchent un chômeur pourraient percevoir pendant trois mois le revenu de citoyenneté pour les aider à payer un salaire.
La deuxième mesure qui alourdit la dépense publique est hautement symbolique, car elle annule une partie des effets de la réforme des retraites, dite Fornero, approuvée en 2011, qui a porté brutalement à 67 ans l’âge de départ en retraite (contre 60 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes auparavant), à la demande de la Banque centrale européenne. L’exécutif M5S-Ligue prévoit d’ouvrir, courant 2019, le droit à une pension dès 62 ans, à condition d’avoir cumulé 38 années de cotisations. 6,7 milliards d’euros sont prévus à cet effet. « Cette réforme ne revient que partiellement sur la loi Fornero et ne règle en rien le problème de nombreuses femmes qui n’ont pas assez d’années de cotisations en fin de carrière. À terme, suite à la crise, nombre de salariés précaires se trouveront dans la même condition », dénonce Roberta Fantozzi, dirigeante du Parti de la refondation communiste. À cela s’ajoutent les chiffres du Bureau parlementaire du budget, publiés lundi, selon lesquels, en cas de réforme, ceux qui partiraient un an avant leur 67e année perdraient 4 % de pension et ceux partant quatre ans avant 30 %.

Un bras de fer entre Bruxelles et Rome nourrirait la spéculation

Ces mesures masquent une politique fiscale inégalitaire, qui bénéficiera surtout à la clientèle électorale de petits entrepreneurs de la Ligue de Matteo Salvini. Une gigantesque amnistie fiscale est prévue – la cinquième en quinze ans, dans la plus pure tradition berlusconienne –, alors que l’évasion est estimée à 110 milliards d’euros par an. Celui qui a caché au Trésor public 100 000 euros ne paiera que 20 % sur cette somme, quand un salarié qui touche 20 000 euros annuels est taxé, lui, à 27 %. De plus, sera instaurée une flat tax, un impôt à taux unique de 15 % pour les seuls travailleurs indépendants… soit en deçà de ce que versent les salariés. La Ligue envisage d’autres cadeaux aux riches les années suivantes.
Si la Commission s’engage dans un bras de fer, elle installera le gouvernement xénophobe italien comme l’opposant numéro un à ses politiques, jusqu’au scrutin de mai 2019. Un repoussoir facile pour les eurolibéraux de tout poil, qui comme Emmanuel Macron endossent le rôle de bouclier face aux nationalismes. Objectif : étouffer les réponses de gauche pour sortir du carcan austéritaire, comme celles du Portugal (voir ci-contre). Pis, ce bras de fer nourrirait la spéculation. Pour le moment, seule l’Italie est touchée, avec des emprunts à dix ans à plus de 3,5 %, un niveau extrêmement élevé. Mais le risque est grand qu’en cas de long conflit d’autres pays du Sud soient touchés.

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