mercredi 14 novembre 2018

ÉDUCATION. ÉDOUARD-BRANLY, UN LYCÉE EN COLÈRE APRÈS LA TEMPÊTE

Secoué par l’affaire de la prof braquée par un pistolet factice, l’établissement de Créteil (Val-de-Marne) était bloqué hier. Pour montrer qu’il est avant tout, et qu’il veut rester, un lieu où enseignants et lycéens partagent la passion du savoir et de la citoyenneté.
«Le regard porté sur nous a changé, à cause de toute cette affaire. Mais on se serrait déjà les coudes avec les profs : maintenant, on le fait encore plus. » Devant le lycée Édouard-Branly de Créteil, Charles, élève en BTS électronique, tire déjà des leçons des trois dernières semaines. Édouard-Branly, souvenez-vous : c’est ce lycée polyvalent (c’est-à-dire mêlant ­filières générales et filières professionnelles) où, à la veille des vacances de la Toussaint, le 18 octobre, un élève a braqué une enseignante avec une arme factice, avant que la vidéo de la scène fasse le tour des réseaux sociaux, déclenchant un véritable tsunami médiatico-politique.
Hier, à l’occasion de la journée d’action dans l’éducation nationale, les enseignants d’Édouard-Branly avaient décidé de bloquer l’établissement. Accrochées sur le portail, deux banderoles taillées dans des draps posent les données du problème. D’un côté : « De vrais moyens, comment faire sans ? », avec des exemples de ce dont le lycée a besoin : « Un prof d’électrotechnique, un CPE, une infirmière… Plus d’heures, plus de postes. » Et, de l’autre côté, une sorte de mise au point : « Peur des réformes, pas de nos élèves. » Devant ces banderoles, une cinquantaine d’enseignants, d’élèves, et quelques parents. On distribue des gâteaux pour tenir sous la pluie froide et pénétrante qui tombe sans faiblir.

« Ce qui a été dit et montré n’est pas la réalité de Branly »

Barbe et crinière poivre et sel, Didier Sablic, prof d’EPS et responsable syndical du Snep-FSU (Syndicat national de l’éducation physique), explique les raisons du blocage : « À la rentrée de la Toussaint, des représentants du rectorat sont venus. Ils se sont engagés à nous soutenir dans tous nos projets. Mais, sur les problèmes du quotidien, nous n’avons eu aucune réponse ! Il nous manque un prof d’électrotechnique, qui est une matière essentielle : la moitié des élèves en section professionnelle l’ont au programme, pour certains c’est 10 heures par semaine en première et 8 heures en terminale. Mais le poste n’a pas été pourvu, tout simplement parce qu’il n’y a pas eu de place ouverte au concours… On nous parle de “l’école de la confiance”, mais, ne pas mettre un enseignant qualifié en face des élèves pour qu’ils réussissent leur scolarité et leur insertion professionnelle, c’est quoi ? De la confiance ou du mépris ? »
Cheveux blonds attachés en fouet, sa jeune collègue Marion Barlogis, professeure de lettres-histoire, oppose les mesures de nature répressive annoncées à la suite des événements à ce qui constitue, selon elle, « la vraie prévention » de ce genre d’incidents : « Nos élèves viennent de milieux qui ne sont pas favorisés sur le plan socioculturel. Ils ont besoin de beaucoup d’heures pour discuter, découvrir et comprendre le monde, combler certaines lacunes… » Avec une passion évidente, elle raconte : « On montre toujours ce qui se passe mal, mais pas ce qui se passe bien. Nous portons la parole de la République, c’est notre mission. C’est précisément pourquoi la réforme du bac pro génère une énorme inquiétude : c’est pendant les heures d’enseignement général qu’on aborde avec les élèves des questions comme le vote, l’égalité homme-femme, les valeurs de la République… Or, la réforme, c’est 60 heures d’enseignement général en français-histoire perdues, de la seconde à la terminale ! La réforme va nous couper les moyens de faire notre métier. »
Un sentiment d’injustice partagé Albert Serfati, parent d’élève FCPE : « On a tous subi ce buzz médiatique. Ce qui a été dit et montré n’est pas la réalité de Branly. ». Son fils, aujourd’hui en BTS, a passé cinq ans dans l’établissement, « sans jamais aucun problème. C’est un bon lycée ! Je n’ai jamais vu des profs aussi investis qu’ici ». Tous affirment que les élèves – définitivement exclus par le conseil de discipline – impliqués dans l’incident sont des « cas isolés ». Pour Manon, en terminale STI2D, « dans tous les lycées il peut se passer des choses comme ça. Mais les médias n’ont montré que ça. Ils disent “pas d’amalgame”, mais ils le font quand même ». Clairement, s’il y a traumatisme à Édouard-Branly, il n’est pas dû à l’incident lui-même, mais au traitement particulièrement stigmatisant dont il a fait l’objet par la plupart des médias et responsables politiques, en décalage total avec le vécu quotidien de tous les membres de la communauté éducative. Non sans conséquences concrètes. Parfois négatives : « Certains élèves ont perdu leur stage à cause de tout ça, lance Julien. On n’a plus voulu les prendre ! »

« Ici, ils ne jugent pas que sur les notes »

Mais aussi positives. Jonah : « Ils (les profs) sont à l’écoute, ils discutent avec nous quand il y a un problème. » Charles : « Ici, ils ne jugent pas que sur les notes. Moi, je bossais, mais j’étais un élève moyen : les efforts que j’ai faits ont été mis en valeur, et maintenant je suis en BTS. » Loin des unes tapageuses, sans aucun doute, voilà le vrai visage du lycée Édouard-Branly à Créteil. Un établissement où enseignants, élèves et parents tirent tous dans le même sens, où tous craignent de voir leurs efforts mis à mal par une politique qui leur retire peu à peu, méthodiquement, sans égards pour leur réussite, les moyens de travailler. Et où personne ne laissera une nouvelle réforme jeter à bas des années de travail et de passion.

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