vendredi 2 novembre 2018

PARADIS FISCAUX. « LES GOLDEN VISAS COMPROMETTENT LA FIN DU SECRET BANCAIRE »

Les programmes offrant aux très riches d’acheter des droits de résidence sont devenus une nouvelle stratégie d’évasion fiscale, selon l’OCDE.
L’OCDE a présenté ses solutions pour limiter les risques des golden visas. L’organisation se révèle moins alarmiste sur la question que de nombreuses ONG.
Quels sont les risques de ces programmes en matière fiscale ?
Pascal Saint-Amans Ces procédés présentent un risque réel pour l’intégrité de l’échange automatique des renseignements, donc pour la fin du secret bancaire. La Suisse et le Luxembourg, par exemple, ont commencé à échanger automatiquement les informations bancaires sur les clients qui ne sont pas des résidents de leurs pays. Certains utilisent les certificats de résidence ou des passeports achetés pour contourner cette transparence. Ainsi, un Français achète un passeport de Saint-Kitts-et-Nevis, ouvre ses comptes à Singapour et donne à sa banque son adresse et son certificat de résidence sur l’île des Caraïbes. Résultat, la banque enverra automatiquement les renseignements le concernant à Saint-Kitts, qui ne taxera pas, et non à la France, qui n’aura pas les informations.
Comment limiter ce problème ?
Pascal Saint-Amans On a regardé ces programmes un à un – il y en a plus d’une centaine, répartis dans 85 pays – et on en a identifié une vingtaine posant de vrais risques. Pour ceux-là, nous préconisons un échange de renseignements entre pays et des vérifications poussées de la part des banques. Pour reprendre notre exemple, lorsqu’un Français achète un passeport à Saint-Kitts-et-Nevis, le pays en informe la France automatiquement. Mais il faut que les banques ne se contentent pas du certificat de résidence et qu’elles mènent des enquêtes poussées pour vérifier que leur client est réellement résident de Saint-Kitts. Ce qui est possible, puisqu’il y a 55 000 « vrais habitants » de l’île, mais plus de 15 000 passeports y ont déjà été vendus. L’idée est de faire de ces mesures un standard mondial et de les transposer dans la loi. Notre position ne repose pas sur un principe moral, il s’agit d’identifier un risque et de proposer une solution pour le neutraliser. Nous nous voulons plus pragmatiques que nombre d’ONG qui prônent une harmonisation des règles fiscales à l’échelle de l’ONU, ce qui est hypothétique. Nous préférons la coopération et des résultats rapides.
Plus de 100 000 golden visas ont été vendus en Europe, et cela s’accélère. Est-ce principalement pour des raisons fiscales ?
Pascal Saint-Amans Nous ne sommes pas sûrs que la raison fiscale soit la principale, nous savons juste que cette pratique est répandue. Leur succès s’explique aussi par l’explosion des inégalités et l’augmentation du nombre des super-riches, notamment dans des pays plutôt instables. Et puis, en mettant à mal le secret bancaire, l’OCDE a attaqué le modèle économique de certains paradis fiscaux comme Saint-Kitts qui vivaient beaucoup sur l’opacité et qui se sont mis à vendre leur nationalité pour en tirer de nouvelles ressources.
La vente de visas au sein de l’espace Schengen accroît-elle les risques d’évasion fiscale ?
Pascal Saint-Amans De ma position de fiscaliste, pas vraiment. D’autres personnes au sein de l’OCDE tentent d’identifier des risques plus systémiques en matière de blanchiment d’argent ou de corruption. Précisons que les raisons de l’existence de ces programmes ne sont parfois pas illégitimes : des gens persécutés ou se sentant menacés dans leur pays peuvent ressentir le besoin d’obtenir un droit de résidence pour y échapper. Mais là où cela reste injuste, c’est que ces golden visas sont réservés aux riches.
Pascal Saint-Amans
Directeur du centre de politique et d’administration fiscale de l’OCDE

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