Si
la Commission européenne refuse à nouveau le budget italien – qui fait
la part belle aux plus riches –, elle va renforcer l’idée que la seule
opposition à l’Europe provient d’un gouvernement nationaliste. Et c’est
sans compter l’agitation sur les marchés financiers.
À
quelques mois des élections européennes de mai 2019, la mise en scène
est habile, propice à enfermer le débat entre eurolibéraux et
nationaux-libéraux. Il y aurait d’un côté les garants de la « démocratie
libérale », apôtres de la bonne gestion des comptes publics – la
Commission européenne – ; et de l’autre ceux qui prétendent défendre la
« souveraineté » en présentant un « budget du peuple » – le gouvernement
italien. En réalité, entre Bruxelles et Rome, on s’entend comme larrons
en foire sur cette partition. L’exécutif de Giuseppe Conte devait
envoyer hier soir son projet de budget à la Commission européenne. Cette
dernière avait rejeté une version précédente, courant octobre. Il était
reproché à Rome de ne pas suivre la trajectoire de déficit programmée
par le gouvernement précédent, à savoir 0,8 %. Hier, les dirigeants
italiens affirmaient vouloir tenir bon sur leur objectif d’un déficit de
2,4 %. La Commission européenne a jusqu’au 21 novembre pour évaluer la
nouvelle copie. Et elle pourrait décider de placer Rome en procédure de
déficit excessif, ce qui lui vaudrait une amende équivalant à 0,5 % de
son PIB. Une mesure inédite.
Si telle était la décision de la Commission de Jean-Claude
Juncker, il rendrait un grand service au gouvernement des démagogues du
Mouvement 5 étoiles (M5S), emmenés par Luigi Di Maio et des xénophobes
de la Ligue, dirigés par Matteo Salvini, à l’heure où ces deux-là
s’écharpent sur certains dossiers, comme la réforme de la justice ou les
grandes infrastructures. Car, à première vue, le projet de budget mis
sur la table est le premier à faire progresser les dépenses sociales
depuis le début de la cure d’austérité, en 2011 : 14 milliards d’euros y
sont prévus à cet effet. Symboliquement, la Commission s’en prendrait à
un budget qui, en apparence, desserre l’étau de l’austérité.
Le diable se niche dans les détails
Ces fonds permettront de répondre aux demandes – parfois
clientélistes – des électorats du M5S et de la Ligue. La mesure phare de
ce « budget du peuple », tel que baptisé par ses architectes, est
l’instauration d’un « revenu de citoyenneté ». D’un coût de 7 milliards
d’euros, il permettrait à presque toutes les familles d’arriver à un
revenu équivalant au seuil de pauvreté, à savoir 780 euros. En termes
d’affichage, la mesure est belle, et pourrait bénéficier à 4,5 millions
de personnes. Mais le diable se niche dans les détails, qui ne seront
connus que dans le courant de l’année prochaine, quand les décrets-lois
seront publiés. Selon les premiers éléments dévoilés par les
représentants du M5S, les bénéficiaires de cette sorte de RSA pourraient
se voir contraints de travailler huit heures par mois au service de la
collectivité. Comme en Allemagne avec la loi Hartz IV, ils seraient
tenus d’accepter les emplois qui leur seraient proposés, dans une Italie
où n’existe pas de salaire minimum… Enfin, cette allocation pourrait
s’apparenter, dans certains cas, à une aide aux entreprises : celles qui
embauchent un chômeur pourraient percevoir pendant trois mois le revenu
de citoyenneté pour les aider à payer un salaire.
La deuxième mesure qui alourdit la dépense publique est
hautement symbolique, car elle annule une partie des effets de la
réforme des retraites, dite Fornero, approuvée en 2011, qui a porté
brutalement à 67 ans l’âge de départ en retraite (contre 60 ans pour les
femmes et 65 ans pour les hommes auparavant), à la demande de la Banque
centrale européenne. L’exécutif M5S-Ligue prévoit d’ouvrir, courant
2019, le droit à une pension dès 62 ans, à condition d’avoir cumulé
38 années de cotisations. 6,7 milliards d’euros sont prévus à cet effet.
« Cette réforme ne revient que partiellement sur la loi Fornero et ne
règle en rien le problème de nombreuses femmes qui n’ont pas assez
d’années de cotisations en fin de carrière. À terme, suite à la crise,
nombre de salariés précaires se trouveront dans la même condition »,
dénonce Roberta Fantozzi, dirigeante du Parti de la refondation
communiste. À cela s’ajoutent les chiffres du Bureau parlementaire du
budget, publiés lundi, selon lesquels, en cas de réforme, ceux qui
partiraient un an avant leur 67e année perdraient 4 % de pension et ceux
partant quatre ans avant 30 %.
Un bras de fer entre Bruxelles et Rome nourrirait la spéculation
Ces mesures masquent une politique fiscale inégalitaire,
qui bénéficiera surtout à la clientèle électorale de petits
entrepreneurs de la Ligue de Matteo Salvini. Une gigantesque amnistie
fiscale est prévue – la cinquième en quinze ans, dans la plus pure
tradition berlusconienne –, alors que l’évasion est estimée à 110
milliards d’euros par an. Celui qui a caché au Trésor public 100 000
euros ne paiera que 20 % sur cette somme, quand un salarié qui touche
20 000 euros annuels est taxé, lui, à 27 %. De plus, sera instaurée une
flat tax, un impôt à taux unique de 15 % pour les seuls travailleurs
indépendants… soit en deçà de ce que versent les salariés. La Ligue
envisage d’autres cadeaux aux riches les années suivantes.
Si la Commission s’engage dans un bras de fer, elle
installera le gouvernement xénophobe italien comme l’opposant numéro un à
ses politiques, jusqu’au scrutin de mai 2019. Un repoussoir facile pour
les eurolibéraux de tout poil, qui comme Emmanuel Macron endossent le
rôle de bouclier face aux nationalismes. Objectif : étouffer les
réponses de gauche pour sortir du carcan austéritaire, comme celles du
Portugal (voir ci-contre). Pis, ce bras de fer nourrirait la
spéculation. Pour le moment, seule l’Italie est touchée, avec des
emprunts à dix ans à plus de 3,5 %, un niveau extrêmement élevé. Mais le
risque est grand qu’en cas de long conflit d’autres pays du Sud soient
touchés.
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