Le coup de ciseaux dans la carte de France prévu par le projet gouvernemental risque de mettre à mal l’organisation institutionnelle de nos territoires.
La modernité a parfois bon dos.
Depuis plus de deux ans, Nicolas Sarkozy ne cesse de vilipender l’organisation de notre territoire en communes, départements, régions. Ce « mille feuille institutionnel » serait inefficace pour répondre aux besoins des Français. À ses yeux, la nécessaire « modernisation » de nos institutions s’impose ! Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, a rendu public « un avant-projet de loi relatif aux collectivités territoriales ». Celui-ci conduirait, en l’état et à terme, à un véritable bouleversement de l’organisation institutionnelle de nos territoires, remettant en cause ce qui fait l’originalité de notre pays, fruit de notre histoire et des luttes du peuple français, c’est-à-dire, pour l’essentiel, la démocratie locale de proximité, avec pour corollaire, l’éloignement du citoyen des lieux de décision. Contre l’avis maintes fois exprimé de l’Association des régions de France (ARF) et celle des départements de France (ADF), l’avant-projet du gouvernement prévoit, suivant les préconisations du rapport Balladur, l’élection de « conseillers territoriaux », en lieu et place des conseillers régionaux et départementaux, qui siégeraient dans les deux assemblées.
Ce dispositif, qui conduirait à une diminution de 30 à 40 % du nombre d’élus, s’accompagne, pour ces deux institutions, de la fin de la « compétence générale », qui leur permettait, au-delà de leurs responsabilités spécifiques, de répondre aux besoins des populations. Même s’il n’est pas indiqué, noir sur blanc, la fin des départements, ce qui demanderait une révision constitutionnelle, ce projet c’est la mort programmée des départements et des communes. Pour Jean-Paul Dufresgne, président communiste du conseil général de l’Allier : « Quand je mesure aujourd’hui le rôle du département en terme de proximité sur les questions sociales, d’aménagement, de services aux populations, on ne peut que s’opposer à une telle réforme. » Cet avant-projet prévoit la création d’une collectivité à statut particulier : la métropole. Ces entités seraient créées à partir de 500 000 habitants, (Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Nantes et Nice sont dans ce cas). Ce niveau pourrait être abaissé pour permettre à des villes de la taille de Strasbourg d’en faire partie. Ces métropoles se substitueraient aux départements sur leur territoire ; elles en récupéreraient les compétences, de même que celles des communes qui les composent. Lesquelles deviendraient de simples arrondissements ou quartiers de la métropole. L’initiative de leur création en revenant soit à une majorité de communes soit… au préfet. De même, la carte des intercommunalités, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), devrait être bouclée au 1er janvier 2014. Leur périmètre, avec regroupement éventuel de plusieurs EPCI, permettrait de former de plus importantes entités territoriales. Le tout se faisant sur la base du volontariat des villes… le préfet tranchant en dernière instance. Ces EPCI auront des compétences élargies, en lieu et place des communes qui les composent. Les conseillers communautaires seront élus en même temps que les conseillers municipaux, transformant ainsi les EPCI en collectivités territoriales de plein exercice. Nous passerons de la coopération entre communes à l’intégration dans une nouvelle entité. D’ailleurs, l’avant-projet prévoit la création de « nouvelles communes » en lieu et place des EPCI regroupant moins de 500 000 habitants. Ces nouvelles communes seraient créées sur propositions des villes concernées qui deviendraient des arrondissements, après référendum des habitants et… décision du préfet.
Ce texte, qui sera débattu en septembre au Sénat avant de passer ensuite devant l’Assemblée nationale, procède d’une logique qui aboutirait, à terme, à ce dont une partie de la droite, mais pas seulement, a toujours rêvé, la disparition de ce foyer démocratique que constitue, fait unique en Europe, l’existence de 36 000 communes. Certes, chaque année, des fusions de communes se réalisent pour faire face aux besoins des populations et au développement des territoires, mais ce qui se concocte va bien au-delà des enjeux politiciens immédiats ou la droite veut faire reculer la gauche majoritaire dans les régions et les départements. Il se dessine une tout autre organisation du territoire où il n’existerait plus que des métropoles et des nouvelles communes ou des intercommunalités et des régions. Celles-ci, aujourd’hui au nombre de 22, pourraient demain être moins nombreuses. La région parisienne n’est pas concernée. Pour cette dernière, au sujet de laquelle le président de la République est particulièrement attentif avec son projet de Grand Paris, une loi devrait être déposée à l’automne.
La réforme des collectivités territoriales, qui dessine la France dans laquelle nous vivrons demain, permettra-t-elle de faire vivre la démocratie locale ? Avec ce projet, on peut craindre le contraire… quoi qu’il en soit, là est l’enjeu.
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