François
Hollande, le 19 septembre 2013, à l’aéroport de Bamako, venu assister à
la cérémonie d’investiture d’Ibrahim Boubacar Keïta, élu le 11 août
président du Mali.
L’hôte
de l’Élysée participe à son dernier sommet Afrique-France, qui s’ouvre
aujourd’hui à Bamako, quatre ans presque jour pour jour après le
déclenchement de l’opération Serval au Mali.
Le
sommet Afrique-France qui s’ouvre vendredi à Bamako est-il, quatre ans
presque jour pour jour après le déclenchement de l’opération Serval au
Mali, un « coûteux monument éphémère à la gloire du renouveau de
l’interventionnisme militaire français » ? Ce jugement revient à
l’association Survie, qui brosse, dans un rapport intitulé « Cinq
guerres pour un empire », un bilan sévère de l’ingérence militaire
française en Afrique.
Point de départ : l’opération l’Harmattan, engagée par
Nicolas Sarkozy en Libye en 2011, après les déboires d’une diplomatie
française empêtrée dans les bévues tunisiennes de Michèle Alliot-Marie.
La démonstration de force franco-britannique sous le drapeau de l’Otan a
moins pour but de « sauver les populations civiles » de Benghazi que de
déboulonner Mouammar Kadhafi, auquel Nicolas Sarkozy, quelques mois
plus tôt, déroulait le tapis rouge à Paris. Début d’un engrenage
infernal avec, analyse Survie, « un enchaînement en cascade des
opérations, l’une amenant l’autre par ricochet », après l’alternance de
2012. Sous le parrainage des États-Unis, qui poussent Paris et Londres
en première ligne, l’effet déstabilisateur de la guerre en Libye ne
tarde guère à se faire ressentir sur le continent. Des combattants
touareg de l’armée de Kadhafi regagnent le nord du Mali, avec armes et
bagages. De quoi rallumer un irrédentisme latent.
Gbagbo tombe, tandis que la guerre secrète de Paris au Sahel s’aiguise
Au même moment, l’opération Licorne, en Côte d’Ivoire,
joue un rôle décisif dans la crise postélectorale qui secoue ce pays.
Dans cette affaire, la France a son poulain, Alassane Ouattara,
ex-directeur Afrique du FMI. Paris mobilise le même argumentaire «
humanitaire » qu’en Libye. Agitant le spectre d’un massacre imminent des
populations civiles par le clan de Laurent Gbagbo, l’ex-puissance
coloniale appuie l’offensive de l’armée de Ouattara, composée
d’ex-rebelles du Nord. Troupes soutenues par les casques bleus de
l’Onuci et les forces françaises, en dépit des massacres perpétrés dans
l’ouest du pays, comme à Duékoué. Auparavant, la France avait joué de
tous les leviers – médiatique, diplomatique, économique –, entravant
l’accès du régime de Laurent Gbagbo au système bancaire, qu’elle
contrôle toujours via le franc CFA, la monnaie régionale directement
liée à la Banque de France et à Bercy.
Gbagbo tombe, tandis que la guerre secrète de Paris au
Sahel s’aiguise. Dès 2008, avec la recrudescence des enlèvements
d’Occidentaux par al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), l’armée
française s’est engagée, avec l’opération Sabre, dans une guerre sans
merci contre les groupes armés sillonnant la région. Prélude à
l’implantation de bases militaires permanentes longtemps refusées par
Bamako et Niamey. Au printemps de 2012, au Mali, le coup d’État
militaire et l’effondrement du régime d’Amadou Toumani Touré, rongé par
la corruption, offrent aux Français une occasion rêvée de resserrer leur
emprise militaire sur le pré carré ouest-africain. L’offensive des
indépendantistes touareg du MNLA, soutenus en sous-main par Paris, se
solde finalement par la conquête des principale villes du nord par une
hétéroclite coalition d’irrédentistes et de groupes islamistes armés,
Ansar Dine, Mujao, Aqmi. L’Élysée met alors en scène l’improbable
conquête de Bamako par les djihadistes. François Hollande joue les chefs
de guerre. C’est l’opération Serval, qui se mue bientôt en opération
Barkhane, étendue sans consultation du Parlement à toute la bande
sahélo-saharienne, avec une réorganisation globale des forces militaires
françaises déployées dans la région. Le président français reprend la
rhétorique bushiste de « la guerre contre le terrorisme ». Les groupes
islamistes sont chassés de Kidal, Gao, Tombouctou ; Hollande crie
victoire et, pourtant, la situation est loin d’être stabilisée. À ce
jour, la Minusma, déployée au Mali, reste l’opération onusienne qui
enregistre les pertes les plus lourdes, et les soldats français ne sont
pas épargnés.
Paris joue un jeu trouble en laissant faire les rebelles de la Seleka
En République centrafricaine, c’est le même bourbier. Dans
ce pays emblématique de la Françafrique, Paris joue un jeu trouble,
laissant d’abord faire, à la demande du dictateur tchadien Idriss Déby
Itno, les rebelles de la Seleka qui chassent le président François
Bozizé du pouvoir. Avant de couvrir de sa bienveillance les exactions
des milices anti-balakas. Au total, juge Survie dans son rapport, « la
France s’embourbe dans une guerre civile où elle est à la fois juge et
partie ». Sans parler des accusations d’abus sexuels sur mineurs pesant
sur des soldats de l’opération Sangaris.
La grand-messe de Bamako, baptisée avec arrogance Sommet
pour le partenariat, la paix et l’émergence, ne tirera pas le bilan de
ces désastreuses guerres françaises sur le continent africain. Au mois
de février 2012, à Tombouctou, François Hollande se mettait en scène en
334e saint de la légendaire cité des sables pour crier victoire. Loin de
l’Élysée, il aura tout le loisir de méditer sur des défaites françaises
aux dangereuses répliques.
La CGT indésirable au Tchad
Sous le règne du dictateur Idriss Déby Itno, il faut
montrer patte blanche pour se rendre au Tchad. Les membres d’une
délégation de la CGT l’ont appris à leurs dépens : alors qu’un mouvement
social secoue le pays depuis bientôt cinq mois, ces syndicalistes
français, qui entendaient apporter leur soutien aux grévistes tchadiens,
ont essuyé deux refus de délivrance de visas. La première fois au mois
de décembre, la deuxième fois début janvier. Motif invoqué, sans ciller,
par le premier conseiller de l’ambassadeur du Tchad à Paris en présence
d’Alain Delmas, responsable Afrique au secteur international de la
CGT : « Les syndicalistes ne sont pas les bienvenus. »
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