Deux
rapports d’ONG pointent l’obstruction des diplomates de l’UE, au moment
où s’ouvre à Genève un nouveau cycle de négociations de l’ONU pour en
finir avec l’impunité des grandes entreprises qui violent les droits
humains et environnementaux.
Loin,
très loin des projecteurs de l’actualité, sur les bords du tranquille
lac Léman, une bataille diplomatique insoupçonnée va faire rage toute la
semaine pour tenter de favoriser l’adoption d’un traité de l’ONU sur
les multinationales. Un texte juridiquement contraignant – et c’est là
toute la nouveauté –, qui pourrait de ce fait être considéré comme
historique. Genève accueille à partir d’aujourd’hui, et jusqu’au 19
octobre, la quatrième session annuelle du groupe de travail
intergouvernemental, du Conseil des droits de l’homme des Nations unies
(CDH), chargé d’élaborer ce document visant à réguler les activités des
multinationales en matière de droits humains et environnementaux.
Aux diplomates des 47 pays du CDH (un système de rotation
est utilisé entre les 193 membres de l’ONU), se sont joints, en Suisse,
plus de 100 ONG et mouvements sociaux du monde entier pour en finir avec
l’impunité dont jouissent actuellement les sociétés mères et donneuses
d’ordres en raison de la complexité de leur structure juridique et de
l’absence de mécanismes judiciaires efficaces au plan international.
La tragédie du Rana Plaza a sans doute été celle de trop.
L’effondrement, le 24 avril 2013, de cet immeuble pas aux normes de
sécurité de la banlieue de Dacca, au Bangladesh, qui abritait les
ateliers de confection des sous-traitants de groupes internationaux de
l’habillement, fit plus de 1 000 morts et 2 000 blessés sans qu’aucune
de ces grandes marques ne soit à ce jour inquiétée. Six mois après, plus
de 140 organisations de la société civile formaient l’Alliance pour le
traité (Treaty Alliance), pour l’adoption d’un texte contraignant. Et le
26 juin 2014, le CDH de l’ONU adoptait la résolution 26/9 demandant la
création d’un groupe de travail sur ce sujet.
Ce n’est pas un hasard si c’est l’Équateur qui a présenté
cette résolution. Le pays bataille depuis des décennies (voir page 6)
dans les tribunaux contre le pétrolier Chevron, dont la filiale Texaco a
pollué une partie de l’Amazonie. Les deux premières sessions de la CDH,
en 2015 et en 2016, ont été qualifiées de « très réussies » par
l’Alliance pour le traité. Mais celle de 2017 a bien failli être la
dernière. En novembre 2017, l’Union européenne souhaitait tout stopper,
avant de se rétracter face au tollé suscité.
« Nous comprenons que la résolution 26/9 du CDH ne prévoit
que trois sessions du groupe de travail intergouvernemental à
composition non limitée », écrivait l’Union européenne. « Selon (cette
dernière), la résolution de 2014 ne préciserait que la tenue des trois
premières sessions. Estimant qu’elles ont déjà eu lieu, l’UE prétend que
le groupe intergouvernemental de négociation n’aurait plus de mandat »,
dénonçait alors l’association Sherpa. « L’Europe, principal obstacle
sur la route d’un traité international contre l’impunité des grandes
entreprises ? » s’interrogeait l’Observatoire des multinationales.
Deux rapports d’ONG pointent le rôle négatif de l’UE
Un an après, l’heure n’est plus aux interrogations mais
aux certitudes. Deux rapports d’ONG publiés à l’occasion de cette
réunion à Genève pointent clairement le rôle négatif joué par l’Union
européenne. Rédigé par le CCFD-Terre solidaire, le premier s’intitule :
« Une stratégie de diversion ». Ce document recense toutes les manœuvres
dilatoires de l’UE pour faire échouer le futur traité.
Ce rapport rappelle que l’ensemble des pays européens
siégeant au CDH ont rejeté, avec les États-Unis, le Japon et la Corée du
Sud, la résolution du 26 juin 2014 présentée par l’Équateur. L’UE a
ensuite boycotté la session de 2015, puis a assisté de manière passive à
celle de 2016, avant de vraiment se mêler aux débats en 2017. Puis
l’UE, face aux avancées des discussions, a obtenu de l’Équateur
l’organisation de pas moins de cinq réunions informelles entre mai et
juillet 2018. À chaque fois, « l’Union européenne n’a eu de cesse de
remettre en question le mandat du groupe de travail intergouvernemental
et de l’opposer aux principes directeurs des Nations unies ! »
s’insurgent les auteurs du document. Adoptés par l’OCDE, ces principes
sont des recommandations non contraignantes, que les gouvernements
adressent aux entreprises multinationales afin de respecter les droits
humains et environnementaux. « L’Union européenne, via son service
européen pour l’action extérieure, SEAE, a failli à soutenir ce
processus de négociation historique », conclut le CCFD-Terre solidaire.
Le titre du deuxième rapport, réalisé par les Amis de la
Terre, l’Observatoire des multinationales, le Cetim et TNI, est encore
plus explicite : « Impunité “made in Europe”. Les liaisons dangereuses
de l’Union européenne et des lobbies contre un traité contraignant sur
les multinationales ». « Dans ces négociations à l’ONU, l’Union
européenne dit exactement la même chose – avec les mêmes arguments et
parfois les mêmes mots – que les lobbies des multinationales », dénonce
Juliette Renaud, des Amis de la Terre France. Après quatre années de
vaines obstructions, l’UE demande désormais que les entreprises
transnationales soient associées aux négociations. Une nouvelle bataille
en perspective.
Damien Roustel
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire