Alors
que leur 79e congrès s’est ouvert hier, les bailleurs sociaux tentent
de trouver des solutions pour faire face aux obligations de
réorganisation et à la ponction financière imposée par le gouvernement.
Comment
faire face au coup de massue budgétaire ? Réuni pour son congrès annuel
à Marseille jusqu’à jeudi, le mouvement HLM se partage entre
scepticisme et inquiétude. « Le secteur est pris en étau et on ne voit
pas bien où sont les moyens pour s’en sortir », résume Marianne Louis,
directrice générale de l’Union sociale pour l’habitat (USH), qui fédère
plus de 700 organismes. Durant trois jours, bailleurs, locataires ou
encore élus locaux vont témoigner des menaces qui pèsent sur ce secteur
malmené comme jamais par le gouvernement. Pour beaucoup, loin de simples
évolutions, c’est bien le modèle du logement social, dont 10 millions
de personnes bénéficient en France, que l’exécutif tente d’abattre.
1,7 milliard de manque à gagner
En s’attaquant tout d’abord à son financement. Notamment
avec la mesure phare de la loi de finances 2018 qui, histoire de faire
des économies budgétaires, consiste à rogner l’aide personnalisée au
logement (APL) versée aux locataires tout en exigeant des bailleurs une
baisse des loyers équivalente. Un dispositif – baptisé réduction de
loyers de solidarité (RLS) – qui devait coûter 800 millions d’euros au
secteur en 2017 et en 2018. La réalité est pire. « Non seulement cette
RLS coûtera cette année près de 850 millions, mais il faut y ajouter 700
millions de coûts supplémentaires liés à la hausse de la TVA dans le
secteur, qui passe de 5 % à 10 %, et au gel des loyers », explique
Dominique Hoorens, directeur des études économiques et financières à
l’USH. Bilan : le manque à gagner en 2018 pour le logement social grimpe
à 1,7 milliard d’euros. « Un artifice comptable qui permet à l’État de
transférer sa dette sur celle des bailleurs HLM qui n’est pas
comptabilisée dans les déficits publics », résume Manuel Domergue,
directeur des études à la Fondation Abbé-Pierre (FAP).
Cette ponction se fait sur fond de désengagement complet
de l’État. En baisse depuis des années, les aides à la pierre, ces
subventions accordées au logement social, vont, pour la première fois en
2019, être supprimées. « Si nous sommes maintenant dans un système en
vase clos, où seuls les HLM contribuent en abondant l’intégralité du
Fonds national des aides à la pierre, c’est la notion même de solidarité
nationale qui est remise en question », souligne Marianne Louis.
Les mesures de compensation proposées par le gouvernement
ne font que repousser le problème. Le gouvernement a gelé le taux du
livret A à un niveau bas (0,75 %). Cette épargne sert à financer la
construction de HLM sous forme de prêt dont le taux est aligné sur celui
du célèbre livret. Mais la mesure n’est prévue que pour deux ans et se
paye sur le dos des petits épargnants. De même, la Caisse des dépôts et
consignations, bras financier de l’État, a proposé au secteur HLM pour 2
milliards d’euros de prêts à taux zéro pendant les vingt premières
années. Asphyxiés, beaucoup d’organismes se sont précipités. Mais cela
ne réglera rien. « On anesthésie le problème en apportant une réponse à
court terme et en générant un accroissement de dette à long terme »,
analyse Dominique Hoorens.
Quant au fonds de péréquation, qui permet de mettre de
côté une partie de l’argent des bailleurs pour compenser les difficultés
de ceux qui hébergent plus de locataires bénéficiant des APL, il est
jugé insuffisant. « Tout au plus, ça atténue l’effet de la RLS pour ceux
qui ont plus de 50 % de locataires “apéalisés”, mais pour ceux qui en
ont 20 % ou 30 %, le coût restera le même », estime Alain Cacheux,
président de la fédération des OPH, qui regroupe les bailleurs liés à
des collectivités locales.
Dans ces conditions, les organismes HLM, désormais
contraints de vivre des seuls bénéfices de leurs loyers, risquent d’être
plus hésitants à accueillir des ménages avec APL. « Pour ce qui est de
l’accueil des “apéalisés”, je suis interrogatif car, à partir du moment
où ils coûtent beaucoup d’argent, la tentation est grande de ne pas les
loger », admet Alain Cacheux.
Investissements en berne
Autre problème, la mise en place de la RLS et l’injonction
faite dans la loi Elan de se regrouper pour former des entités d’au
moins 12 000 logements coûtent du temps, de l’énergie et de l’argent.
« Pendant deux ou trois ans, l’agenda des dirigeants des bailleurs va
être : comment on se regroupe ? Avec qui ? Comment on fait des
services ? Ils vont être mobilisés là-dessus à plein temps au détriment
du lancement de projets », estime Manuel Domergue. Et malgré une
échéance assez brève – le regroupement doit être terminé en 2021 – la
commission de réorganisation censée accompagner le mouvement n’est
toujours pas en place. L’avenir pourrait être encore plus sombre. Le
rapport Cap 22 sur la réduction des dépenses publiques comporte des
mesures mortifères pour le logement social. Comme assujettir les
bailleurs sociaux, organismes à but non lucratif, à l’impôt sur les
sociétés. Ou encore prélever des impôts sur le 1 % logement, cette taxe
versée par les entreprises pour participer au logement des ménages
modestes. « Le gouvernement a décidé de faire la peau au logement
social », résume Ian Brossat, chef de file du PCF aux élections
européennes et en charge du logement à la mairie de Paris.
L’effet des mesures adoptées se fait déjà sentir. Les
permis de construire ont baissé de 19 % entre 2017 et 2018. La
programmation est passée de 123 000 logements en 2016 à 113 000 en 2017
et la baisse devrait atteindre au moins 5 % en 2018, selon l’USH. Et le
pire est à venir. La RLS devrait grimper à 1,5 milliard en 2020. « On
est très inquiets. Pour beaucoup d’organismes, la marche de 2020 paraît
infranchissable, observe Alain Cacheux. À cela s’ajoute l’incertitude
sur 2021. Dans un secteur qui travaille sur le long terme, ces
perspectives sont dramatiques. Dès aujourd’hui, les organismes serrent
les comptes sur les travaux d’entretien et réduisent leurs engagements
sur ce qu’il y a de plus coûteux, la construction neuve et la
réhabilitation énergétique. » Territoire Habitat a fait ses calculs.
Pour ce bailleur, qui gère 11 310 logements dans le Territoire de
Belfort, les coupes se traduisent par 43 % de mises en chantier en moins
et par un arrêt total de la programmation dès 2019 ! « Les conséquences
ne se voient pas encore sur le terrain, beaucoup d’opérations étaient
trop engagées pour être arrêtées. Mais il risque d’y avoir une forte
baisse de la production à partir de 2020, prédit Alain Cacheux. On
rentre dans une zone de turbulences dont on aura du mal à sortir. »
Les plus modestes paieront le prix
Les ménages les plus modestes vont faire les frais de
cette politique. De plus en plus dépendant des rentrées offertes par les
loyers, les bailleurs se détournent du logement très social. Le recul
des agréments, constaté par la Fondation Abbé-Pierre, en témoigne :
– 11% pour les Plai, logements réservés aux personnes en grande
précarité, et – 12% pour les Plus, la tranche juste au-dessus. En
revanche, le nombre d’agréments pour les PLS, réservés aux ménages qui
ont plus de 3 900 euros de revenus mensuels, reste stable. C’est encore
plus vrai en zone tendue, où la demande est forte et les prix élevés.
« Avec la conjonction de la RLS, de la hausse de la TVA, du prix du
foncier devenu délirant en Île-de-France, et de la hausse du coût de
construction, notre seule possibilité pour compenser la baisse des
subventions c’est de gagner plus avec les loyers en faisant plus de
PLS », confirme Delphine Valentin, directrice générale d’IDF habitat, un
bailleur situé dans l’Essonne et en petite couronne. Sur une ville
comme Champigny, elle faisait 20 % de PLS, 20 % de Plai et le reste en
Plus. Aujourd’hui, elle est passée à 35 % de PLS…
Le risque de désengagement vis-à-vis des ménages le plus
en difficulté est encore renforcé par une disposition de la loi Elan qui
permet la modulation des loyers en fonction des revenus des ménages.
« Théoriquement, ça devrait baisser les loyers pour les ménages les plus
modestes. Mais, à partir du moment où les loyers sont la recette
principale – voire unique – des organismes HLM, on voit mal comment
cette disposition ne peut pas avoir d’effet pervers sur l’effectivité de
l’accueil des ménages modestes », observe Anne-Katrin Le Doeuff,
directrice générale déléguée d’Espacité, une agence de conseil en
politique de l’habitat.
Pour certains bailleurs, le logement pourrait même devenir
une activité marginale. Pour compenser la suppression des subventions
de l’État et les pertes de financements, le gouvernement propose de
vendre des logements. Son calcul est simple : un logement vendu permet
de dégager les fonds pour construire trois nouveaux logements. « Oui,
mais pour construire, encore faut-il avoir du terrain ! souligne Manuel
Domergue. Dans les métropoles qui manquent le plus de logements sociaux,
ce terrain manque et risque d’être plus cher que le prix d’un logement
vendu. » De même, vendre à des locataires aux revenus limités n’est pas
simple. En 2017, seules 8 000 ventes ont eu lieu sur 100 000 mises sur
le marché. L’USH estime ne pas pouvoir aller au-delà de 17 000, loin des
40 000 espérées par le gouvernement.
Avec l’obligation de trouver des fonds pour survivre, de
nombreux bailleurs n’auront pas le choix. Ils vendront, quitte à perdre
des revenus à long terme. Et auront alors la tentation de délaisser le
logement social. Avec la possibilité qui leur est donnée par la loi Elan
de diversifier leurs activités, ils pourront se tourner vers la
production de logements intermédiaires – certains le font déjà –, à
peine moins chers que le prix du marché, mais plus rentables que les
HLM. Ils risquent aussi de développer l’accession à la propriété, moins
risquée que la location. L’allongement de cinq à dix ans du décompte des
logements en accession comme logement social les y encourage.
Un changement radical du modèle du logement social à la
française est à l’œuvre. En quête de financements pour combler les
coupes subies, et poussés à grossir, nombre de bailleurs sont tentés de
se tourner vers des fonds privés et de se transformer en groupes
immobiliers, avec l’obligation de dégager de la rentabilité pour verser
des dividendes. « Ce sont des pans entiers du logement qui jusque-là
échappaient au marché qui risquent d’être privatisés, prévient Ian
Brossat. Avec comme conséquence, d’un côté, moins de logements sociaux
et plus d’attente pour les demandeurs et, de l’autre, faute de moyens,
le développement d’un logement low cost caractérisé par une dégradation
du bâti et des services. »
Camille Bauer
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire