dimanche 28 octobre 2018

SÉNAT. NOUVELLE ATTAQUE LÉGISLATIVE CONTRE LE DROIT DE MANIFESTER

Une proposition de loi votée en première lecture au Sénat veut durcir les restrictions de participation aux manifestations, prétextant la présence d’éléments violents lors des mobilisations, sans remettre en cause la stratégie policière.
«Le droit d’exception continue de polluer notre droit commun au détriment des libertés publiques. » La sénatrice communiste Éliane Assassi n’est pas la seule parlementaire inquiète de la proposition de loi de droite, votée mardi au Sénat, pour « prévenir ou sanctionner les violences lors des manifestations ». Et pour cause : après une quintuple prorogation de l’état d’urgence, puis une reprise de nombreuses dispositions restrictives de nos libertés dans la loi antiterroriste entrée en vigueur en novembre 2017, ce nouveau texte continue dans la surenchère sécuritaire qui entrave les militants. Cette fois-ci, au nom du « libre exercice du droit de manifester », Bruno Retailleau (LR) et sa proposition de loi « rognent clairement sur les libertés publiques et laissent craindre la mise en place de mesures interdisant toute manifestation », dénonce Éliane Assassi. Dissimuler son visage derrière un foulard pour supporter les gaz lacrymogènes, un geste déjà considéré comme une infraction, devient un délit passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Détenir ou faire usage « sans motif légitime » de fusées d’artifice dans une manifestation est considéré comme un délit, puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Et les personnes interdites de manifester seront répertoriées sur un même fichier national.

« Le contrôle des foules est un procédé liberticide »

« La question du fichage est un véritable problème, estime la sénatrice Esther Benbassa. Notre pays a une histoire où le fichage a mené à des catastrophes, comme le fichier Tulard en 1940, précurseur du registre listant les juifs. C’est aussi un texte inopérationnel : comment voulez-vous que des policiers identifient ou non des black blocs qui entrent dans les manifestations non encagoulés, habillés comme tous les autres jeunes ? » L’élue EELV, qui a voté contre comme les sénateurs PS, PCF et LaREM, s’émeut d’un texte populiste, écrit par des personnes « n’ayant jamais participé à des manifestations, sauf peut-être à la Manif pour tous », qui vise principalement à freiner les actions revendicatives. « Le contrôle des foules est un procédé liberticide. Si nous ne nous opposons pas à une telle mesure répressive, la France pourrait subir une énième condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme. » Et la sénatrice de suggérer que la tactique policière, elle, pourrait être revue, pour ne pas attiser la violence, en encadrant par exemple plus discrètement les rassemblements. Tactique et stratégie policière avaient été mises en cause par un rapport d’Amnesty International en 2017, à propos des manifestations contre la loi travail, car elles avivaient « les tensions plutôt que de les faire redescendre ».
Pour Dominique Curis, d’Amnesty International France, ce nouveau texte présenté par Bruno Retailleau revient malheureusement à « un nouveau renforcement du pouvoir administratif dit préventif, contraire à la présomption d’innocence de tout citoyen ». Où l’on présume de la dangerosité d’une personne à partir d’actes non réalisés en interdisant à l’avance la participation. Un scénario de science-fiction que veulent remettre au goût du jour les sénateurs de droite. « On propose de prendre des mesures très restrictives envers des personnes soupçonnées d’aucun crime ni délit, hors du cadre contradictoire d’une procédure judiciaire, analyse Dominique Curis. C’est la restriction du droit fondamental de manifester pacifiquement dans l’espace public. Un droit qui n’est pas anodin, et essentiel de la vie en société. »
Si la proposition de loi s’affiche comme une réponse aux « black blocs » ou autres « casseurs de vitrines », « briseurs de la République », comme les définit le rapporteur LR, les syndicats ne sont pas dupes. La CGT dénonce une « absence totale de contrôle de l’autorité judiciaire de ces mesures » et une attaque « tellement virulente et attentatoire à la liberté de manifester, voire simplement d’aller et venir, que l’on se demande si tout cela est bien sérieux ». Si le texte devrait a priori ne pas passer le vote de l’Assemblée nationale, il pourrait cependant être utilisé pour sonder le débat public. Avant d’inspirer une nouvelle écriture qui, cette fois-ci, pourrait séduire les parlementaires LaREM.

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