Monsieur le Président,
Je suis un témoin de la Guerre d’Algérie. De juin 1961 à mars 1962, j’ai été affecté à la Villa Susini, en temps qu’appelé. Ces 9 mois ont été pour moi un terrible traumatisme, puisque j’y ai découvert ce qu’était la pratique systématique de la torture. Cette Villa, à Alger, a, en effet, le triste privilège d’avoir fonctionné durant TOUTE la Guerre, en centre de torture, sans interruption, de nombreux autres centres n’ayant eu cette affectation que de façon éphémère de quelques semaines, mois ou années. J’avais bien lu le témoignage "La Question" écrit par Henri ALLEG, en version clandestine, avant de partir en Algérie. Mais, à cette époque, j’avais pensé qu’il ne s’agissait que d’un cas assez isolé, un "dérapage" d’une unité militaire. La dure réalité à laquelle j’ai été confronté montre bien que cette pratique était, hélas, en fait, devenue une institution. Comme j’ai pu le dire dans les nombreux témoignages que j’ai fait, y compris télévisuels, je continue de vivre depuis cette période avec ce terrible traumatisme : il m’a fallu apprendre à le gérer, comme un handicap qu’on gardera toute sa vie.
La disparition de Henri Alleg, donc bien évidemment, me touche profondément. Depuis des années, nous nous retrouvions tout naturellement ensemble, dans le même combat, pour dénoncer la pratique de la torture, en particulier pendant la Guerre d’Algérie, et demander que la France reconnaisse et condamne sa responsabilité à ce sujet.
Votre réaction avec le communiqué de la Présidence de la République m’a profondément choqué. Certes, vous déclarez : "Il fut un grand journaliste, d’abord à Alger Républicain, dont il assura la direction ; puis à L’Humanité, dont il fut le secrétaire général et auquel il collabora jusqu’en 1980. Henri ALLEG est constamment resté fidèle à ses principes et à ses convictions." Mais quand vous dites : "Son livre, La Question, publié en 1958 aux éditions de Minuit, alerta notre pays sur la réalité de la torture en Algérie. Toute sa vie, Henri ALLEG lutta pour que la vérité soit dite." Alors, comment le Président de la République Française ne reconnait-il pas, aujourd’hui, dans cette logique, la responsabilité de notre pays dans cette odieuse pratique ? Pourquoi ne la condamne-t-il pas ?
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